Pascale Garnier, professeure des universités à l’université Sorbonne Paris Nord, revient sur les références nostalgiques d’Emmanuel Macron. Notamment sur celle à l’école Normale. « Si nostalgie il y a, elle devrait être avant tout celle des conditions de formation des enseignants et de leurs formateurs, non pas celle des « écoles normales » en tant que telles : une formation longue et rémunérée, ainsi que cette attention aux spécificités de l’exercice du métier en école maternelle et élémentaire et à ses polyvalences » écrit-elle. Elle signe cette tribune pour le Café pédagogique.
On ne compte plus les rappels nostalgiques des hommes politiques à ce qui aurait été un âge d’or de l’école (primaire), auréolé de la figure de Jules Ferry. On ne compte plus, tant elles sont nombreuses, les références contemporaines à cette figure tutélaire de la République (scolaire). Il faudrait d’ailleurs un véritable travail conjuguant histoire, sociologie et sciences politiques pour analyser à quels enjeux ces incantations répondent, dans quels débats et dans quels contextes elles s’inscrivent, quelles mobilisations et quelles traductions elles suscitent. L’idée de « « réinventer nos bonnes vieilles écoles normales », exprimée par M. le président de la République, le 1er septembre 2023, est de celles-là qui mériteraient un réel examen, depuis leur naissance jusqu’à leur fin et remplacement par les IUFM par la loi de 1989. À cette époque, les écoles normales primaires appartenaient déjà au passé, institutionnellement moribondes, vidées pour ainsi dire de leur substance, à mesure que les trois années de formation des instituteurs après le bac, se transformaient avec la mise en place d’un « DEUG » (diplôme d’études universitaires générales), spécifique au premier degré.
En même temps, en ce début des années 1980 il y avait, du moins pour le « professeur d’école normale » que j’étais, toute une effervescence pédagogique dans la formation des enseignants : laboratoire d’essais pédagogiques, micro-enseignement, analyse de pratiques professionnelles, échanges et séjours dans et hors la France… Moment d’entre-deux, de transition : l’ancienne normativité des écoles normales n’avait plus cours et n’était pas encore été remplacée par le poids écrasant des injonctions sur l’enseignement de la maîtrise de la langue et des savoirs mathématiques. Les formateurs avaient du temps pour travailler avec leurs « élèves instituteurs ». Pensez : trois années de formation initiale à temps plein, rémunérées ! Les nouveaux « professeurs d’école normale » de cette époque, professeurs agrégés ou certifiés du second degré, pouvaient eux-mêmes bénéficier d’une année complète de formation pour s’approprier des spécificités du métier dans le premier degré, celles de la polyvalence des enseignements, mais aussi les spécificités de l’école maternelle qui, jusqu’aux années 1980, tenaient une bonne place dans le programme de formation.
Impossible 40 ans plus tard de revenir à nos « bonnes vieilles écoles normales » et aux différences de qualification entre premier et second degrés, tant le contexte sociétal et celui des étudiants et de l’enseignement supérieur notamment, ont profondément évolué. Si nostalgie il y a, elle devrait être avant tout celle des conditions de formation des enseignants et de leurs formateurs, non pas celle des « écoles normales » en tant que telles : une formation longue et rémunérée, ainsi que cette attention aux spécificités de l’exercice du métier en école maternelle et élémentaire et à ses polyvalences. Les « réinventer » demande de s’inscrire dans un temps long, pour rebâtir une « culture du métier » mise à mal par le renouvellement incessant des prescriptions et les impératifs des agendas à court terme, un sous-investissement notoire, des inégalités territoriales qui s’amplifient et des concurrences entre public et privé qui s’exacerbent. Et puis, cette « culture de métier », loin d’être seulement l’œuvre d’une formation initiale, demande à penser ses synergies avec une formation tout au long de la vie, des possibilités récurrentes de « faire recherche » et de participer à une vie professionnelle sous toutes ses facettes. Trouver des solutions au « manque d’attractivité du métier », nécessite précisément qu’il y ait bien là un « métier », une culture professionnelle, un sens du collectif impossible à commander par la voie hiérarchique ou quelques bricolages à court terme.
Pascale Garnier