Claire Lommé, professeure de mathématiques en collège jusqu’en juillet dernier, a fait le choix de postuler sur un poste de coordinatrice ULIS. Elle partage sa première semaine avec les lecteurs et lectrice du Café pédagogique. « Ma première semaine de coordo ULIS, c’était comment ? Allez, je vous emmène pour une brève incursion dans cette semaine étourdissante. Je ne vais développer qu’un moment de chaque journée : chacune d’elle a été tellement riche ! »
Lundi : l’accompagnement d’élèves
J’avais rendez-vous le matin avec l’AED en préprofessionnalisation avec laquelle je travaille pour la quatrième année, avec bonheur. Objectif : lui présenter les documents que j’ai prévus, les applications auxquelles j’aurai recours, tout ça. Nous nous sommes assises, raconté les dernières nouvelles, et puis là, paf, une élève est arrivée dans la salle : elle était tellement angoissée par la reprise qu’elle n’arrivait pas à aller en classe. Bon. Je connaissais son dossier, je savais comme c’est crucial de la maintenir scolarisée et comme le fil de sa persévérance est fragile. Alors je l’ai accueillie, j’ai tenté de la rassurer, je lui ai expliqué que notre but premier est qu’elle soit présente au collège, dans le dispositif, mais aussi en inclusion, je l’ai félicitée d’être venue chercher de l’aide. Et j’ai négocié : si je venais en classe, moi, avec elle ? Les AESH étaient déjà dans des classes, mais ne peuvent pas être partout. Elle était d’accord : si je venais, elle y allait. Alors j’y suis allée. Comme la classe compte quatre élèves ULIS, cela m’a permis de les observer, de faire connaissance, de les aider. Et faire une rentrée de l’autre côté du bureau, c’était instructif (surtout dans un établissement que je ne connais pas) et plutôt amusant.
Mardi : coucou c’est moi !
Les élèves de sixième rentraient à leur tour mardi. Tous étaient accompagnés ; je pouvais donc me consacrer à la multitude de tâches pédagogiques administratives qui m’incombent. D’abord, rencontrer des familles : faire connaissance, rassurer, informer, expliquer, accumuler un maximum d’informations. J’en rencontrerai encore tous les jours, et la semaine prochaine. Je trouverai des solutions pour communiquer avec les familles qui ne parlent pas français, je laisserai la parole s’exprimer, avec les mouchoirs en papiers pas loin et un petit café à disposition. Je reconnaitrai le courage de parents isolés qui cumulent les emplois pour des salaires de misère, parce qu’ils veulent élever dignement leurs enfants malgré l’adversité. Je mettrai à distance pour continuer de réfléchir, aider à trouver des solutions, en compatissant, sans rien juger, mais sans me laisser bouleverser. Ces familles ont davantage besoin d’aide que de compassion.
Entre deux rencontres avec les parents, j’ai navigué entre le bureau de l’assistante sociale, de la secrétaire de direction, de l’intendance et de l’infirmière, pour que chacun(e) me parle des élèves avec son regard propre, sa perspective particulière. J’ai noté, noté, noté. Une page d’informations, dans mon cahier, une page d’idées et de choses à faire. Je ne dois rien oublier, car tout a une importance potentiellement décisive.
Mercredi : prendre soin de nos vies
Pour la première fois depuis presque 30 ans, je ne travaille pas le mercredi. J’aurais pu travailler toute la journée de chez moi. Mais non. J’ai conscience de devoir préserver mon équilibre. Et puis j’ai beaucoup travaillé cet été, et j’ai de l’avance. Alors j’ai commencé ma journée en faisant du sport. J’ai couru comme rarement : j’avais besoin d’expulser l’énergie accumulée à force de me contrôler en tout. Ce n’était pas à proprement parler de la tension. Mais il fallait que cette énergie-là sorte. Et puis j’ai repris une n-ième fois les emplois du temps des élèves et des AESH, appelé encore des familles pour caler des rendez-vous, vérifié que mes contenus étaient bien prévus et imprimés. J’ai échangé avec mon mari coordo sur mes difficultés, écrit à ma tutrice (car je passe le CAPPEI, alors j’ai une tutrice qui m’épaule). Une balade en forêt avec les enfants m’a aéré le cerveau, et puis je me suis consacrée à quelques rendez-vous téléphoniques pour organiser des formations que je donnerai dans l’année, par mon autoentreprise, et pour poser le cadre d’un nouveau projet éditorial. Car je ne veux renoncer ni à mes mathématiques, ni à mon activité de formatrice.
Jeudi : trou d’air
Drôle de journée, ce jeudi. Ça a été le premier jour où j’ai réussi à atteindre le collège sans GPS, où le prénom des collègues me venait naturellement, où ce nouvel établissement était mon milieu naturel, où j’ai fait une séance d’anglais qui m’a ravie. Ça a aussi été le premier jour où j’ai dû me fâcher très, très fort, devant les provocations d’un élève qui sans doute voulait me tester. Et puis une fois cet esclandre réglé avec une vigueur sans faille, alors que le calme était revenu, et avec lui la mise au travail, j’ai eu un moment de stupeur. Ce moment a été un moment long, de peut-être 10 minutes, pendant lesquelles j’ai perdu tous mes repères d’un coup. Je me suis demandé ce que je devais faire, et je me suis sentie perdue. J’ai rationalisé, je me suis dit avec tranquillité que ça allait passer, qu’après 30 ans de prof de maths il était normal d’avoir un moment de décrochage. Et en effet, l’effet trou d’air est passé. J’avais bien mis les élèves sur les activités que je m’étais définies en objectif pour chacun(e), et j’ai poursuivi encore plus claire dans ma tête qu’avant. Je ne me souviens pas, toutefois, d’avoir ressenti cette impression auparavant. Je me demande si je n’ai pas changé de fonction, profondément, à ce moment-là, d’un coup. Je savais toujours pourquoi j’étais là, pourquoi j’ai décidé de devenir coordinatrice ULIS, vers quoi je veux tendre. Mais je ne savais plus quels gestes professionnels déployer. Un peu comme si on me disait de faire des crêpes, que je savais que je sais en faire, mais que j’ai tout oublié, du lait à la poêle à frire. Cela n’a représenté que 10 petites minutes dans une journée, mais elles étaient d’une étrangeté absolue.
Vendredi : ah non, tout va bien
En arrivant vendredi, je me demandais si j’allais vivre un nouveau trou d’air. Mais non, pas du tout. Cette dernière journée de ma première semaine s’est déroulée dans une grande clarté, et j’ai ressenti le plaisir d’être là. Des heures de classe aux échanges avec les collègues, des problèmes techniques à régler pour faire fonctionner le vidéopro à d’autres rencontres avec des familles, d’entretiens avec des élèves qui ont des choses à dire à des ajustements d’aménagements de la classe, tout avait du sens. Et j’ai ressenti la joie d’être là, d’y être arrivée (même si maintenant il me faut le CAPPEI pour rester, et j’ai donc du pain sur la planche), avec un mélange d’allégresse, de fierté et de curiosité pour la suite. J’ai découvert le goûter-du-matin-de-la-salle-des-profs, avec des gâteaux faits maison avec des fruits du jardin, et une équipe dans laquelle on a le droit de ne pas être d’accord, et toujours on échange. Et puis on mange des gâteaux, c’est quand même super, ça !
Samedi et dimanche : la chèvre et le chou, le chou et la chèvre
J’ai travaillé, évidemment, ce weekend. Réajuster l’emploi du temps complètement irréaliste que je m’étais fixé, préparer la semaine, corriger les premières productions d’élèves, poser à l’écrit les informations glanées au sujet des élèves pour les mettre à disposition de l’équipe, imprimer-découper-plastifier-redécouper du matériel pédagogique, rappeler des intervenants pour organiser deux sorties en dehors du collège, etc. Mais aussi profiter des amis, de la famille, fêter des anniversaires, m’inscrire à un cours de hip-hop, un autre de chant, récolter la lavande pour les placards et en mettre dans des gâteaux (pour quand ce sera mon tour de m’occuper du goûter-du-matin-de-la-salle-des-profs), faire encore du sport, apporter ma contribution à la préparation de journées de l’APMEP.
Me réjouir. Cette entrée dans ma 50ième année est bien ébouriffante et joyeuse. Comme j’aime.
Claire Lommé