Alors que la tenue des élèves déchainent les passions, plusieurs personnalités politiques demandent de « restaurer » l’uniforme à l’école. Une uniforme qui n’a jamais été imposé à la totalité des élèves des écoles publiques françaises. Pour Claude Lelièvre, historien, on est plutôt dans l’« agitprop » et dans l’idéologie. Il répond aux questions du Café pédagogique.
Les élèves français ont-ils déjà porté un uniforme au sein de l’École publique ?
Il suffit de regarder les photos de classe d’époque – et il y en a des milliers sur Internet – pour constater de visu qu’il n’y a jamais eu d’uniformes dans le primaire public métropolitain et que si beaucoup d’élèves portaient des blouses, elles étaient plus ou moins disparates. Or c’était pourtant dans ces écoles communales qu’il y avait le plus de diversité socioculturelle et où aurait pu se poser le plus la question de »l’égalité » que l’on invoque comme raison supposée de l’imposition fantasmée d’uniformes ou de blouses uniformes. Le port de blouses a servi surtout à protéger les autres vêtements, en particulier contre les crachotis d’encre de la redoutable « plume sergent-major ». Ces blouses ont commencé à disparaître dans les années 1960 lorsque la pointe Bic l’a remplacée.
Des uniformes scolaires – ou des blouses uniformes – ont été portés au contraire dans les établissements où il y avait une certaine sélection socio-culturelle, à savoir dans beaucoup des établissements privés, mais aussi dans certains établissements secondaires publics – généralement les plus huppés. Ces uniformes étaient avant tout un signe de distinction d’établissement – dans tous les sens du terme, la mise en avant d’une appartenance à une communauté sélectionnée. Et chaque établissement avait donc son uniforme spécifique.
La seule période où il y a eu un uniforme identique porté par des élèves de l’enseignement secondaire dans un ensemble d’établissements publics est celle du Premier Empire, dans les lycées qui avaient été créés en 1802 par Napoléon Bonaparte, alors Premier Consul. A noter que seuls les internes étaient concernés, mais pas les externes… La pratique effective de ces prescriptions s’est peu à peu effilochée dans le temps…
C’est un sujet qui revient souvent. Comment l’expliquez-vous ?
Depuis le début du XXIème siècle, on a assisté régulièrement à des tentatives de mettre en plein débat public la question de l’uniforme à l’École. Cela a été porté essentiellement par une organisation politique : l’UMP – LR maintenant, et de façon plus sporadique par des organisations d’extrême droite.
Dès l’automne 2003, les dirigeants politiques de droite François Baroin et Renaud Donnedieu de Vabres ont évoqué le retour des « tabliers gris » pour lutter contre les enfants « fashions victims » et surtout combattre la « montée des communautarismes et le voile à l’école ».
En janvier 2015, le député UMP Bernard Debré – avec le concours d’une quarantaine de députés de droite, dont Eric Ciotti et Nicolas Dupont-Aignan – a déposé un projet de loi aux attendus significatifs – et erronés historiquement : « L’École doit être le lieu où se forme le sentiment d’appartenance à notre communauté nationale et à la République française […] Le port d’une tenue commune dans les établissements scolaires du premier et du second degré doit redevenir la règle ».
Deux ans avant la proposition de loi de Bernard Debré, en janvier 2013, une quinzaine de sénateurs de droite – dont Serge Dassault – avaient déjà déposé une proposition de loi rendant « obligatoire le port de l’uniforme ou de la blouse à l’école primaire et au collège ». L’article 2 précisait qu’il appartiendrait « à la direction de l’établissement de déterminer le vêtement, blouse ou uniforme, qui doit être porté en son sein », avec des attendus non moins significatifs : « L’uniforme a depuis toujours été utilisé pour symboliser un lien d’appartenance. Il n’est pas une panacée mais un outil permettant de gommer symboliquement les différences sociales, religieuses et ethniques»
« Patriotisme d’établissement », « sentiment d’appartenance », abolition dans les apparences des « différences sociales, religieuses et ethniques » , combat contre la « montée des communautarismes et le voile à l’école », l’antienne du « retour à l’uniforme » qui serait une restauration d’une rassurante école d’antan républicaine relève à l’évidence de la supercherie en vue de manœuvres des plus actuelles.
Le port de l’uniforme effacerait les inégalités et permettrait donc de restaurer l’autorité. Qu’en pensez-vous ?
Le moins que l’on puisse dire c’est que cela n’a pas effleuré le moins du monde Jules Ferry et les siens, les promoteurs d’une école républicaine et laïque, puisqu’ils n’ont pas songé un seul instant à rendre obligatoire un uniforme ou une blouse uniforme dans les écoles primaires publiques, là où se trouvaient pourtant la plupart des enfants et là où il y avait le plus de disparités socio-culturelles- contrairement à l’enseignement secondaire qui n’accueillait alors que moins de 5 % d’une classe d’âge et où se trouvaient des élèves moins mélangées socio-culturellement, comme dans les établissements privés.
Par ailleurs on sait que là où il y avait uniforme obligatoire beaucoup tenaient à se distinguer par d’autres moyens matériels – et y parvenaient aisément. Enfin, c’est donner beaucoup de poids aux apparences, à ce qui peut paraître aller dans le sens d’une discipline d’ordre militaire. Et c’est croire in fine que ce que l’on porte sur soi ou sur la tête l’emporte sur les enseignements, sur ce que l’on peut avoir en tête.
Finalement, un faux débat ?
Les termes en sont manifestement confus voire contradictoires. Les attendus invoqués sont multiples et ne convergent pas nécessairement, tant s’en faut. Ils sont souvent renvoyés à un passé mythifié. Ils n’échappent pas parfois à la contradiction sans que l’on s’en émeuve. Par exemple, dire que ce qui est visé c’est « l’appartenance à notre communauté nationale et à la République française » et proposer que chaque établissement ait son propre uniforme en promouvant de fait un « patriotisme » – voire un « communautarisme » – d’établissement. Bref, on est dans l’idéologie, et tant qu’il ne s’agit pas de passer effectivement à l’acte cela peut avoir pour beaucoup une certaine séduction. Mais quand on doit choisir et mettre effectivement en œuvre ce qui a été choisi, alors c’est tout autre chose comme l’ont montré quelques tentatives qui ont eu lieu ces dernières années dans certaines villes de France . Elles ont pour l’essentiel échoué. En réalité – si l’on peut dire – on est plutôt dans l’« agitprop ».
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda