Présidente de la principale association de professeurs d’histoire-géo, l’APHG, Joëlle Alazard fait un point rentrée un peu fâchée. Si l’APHG se réjouit du report des épreuves de spécialités en juin, elle vit mal l’utilisation politicienne qui est faite de l’histoire et de l’EMC. Elle annonce un calendrier chargé d’événements.
L’APHG a réagi vivement et immédiatement aux propos d’E Macron qui demandait un enseignement chronologique de l’histoire. Pourquoi ?
Nous avons été surpris que la rentrée du Président de la République se fasse à propos de l’Ecole. Surpris aussi d’apprendre que l’éducation entre dans son domaine réservé. Surpris enfin d’entendre ses propos. Pour quelqu’un qui parle de son domaine réservé, ils ne sont pas maitrisés. Nous avons eu l’impression d’un coup de communication avec un clin d’œil à la droite, venant juste après le renvoi de Pap Ndiaye qui était déjà une victoire de l’extrême-droite. Tous les professeurs d’histoire-géographie savent que les programmes sont chronologiques. Au point qu’une partie de la profession les a attaqués car elle jugeait qu’ils étaient précisément trop chronologiques. Nous nous sommes sentis méprisés, nous avons l’impression qu’on se sert de l’Ecole à des fins de seule communication politique.
Mais il faut aussi parler du Pacte, qui veut nous faire travailler plus pour gagner plus, de la revalorisation qui ne compense pas l’inflation. Le Pacte est aussi le poison de la division. Il nous met en colère car nous sommes les seuls à ne jamais avoir pu bénéficier d’une revalorisation digne de ce nom et sans contrepartie. Cela fait beaucoup…d’autant que quand nous sommes collectivement dénigrés, personne ne nous défend jamais ; quand ce sont les policiers, le ministre de l’Intérieur réagit très rapidement.
On sent dans les propos d’E Macron la volonté de se situer dans un courant qui demande à l’enseignement de l’histoire avant tout de « faire nation » à travers un récit national. L’enseignement de l’histoire a-t-il d’autres ambitions ?
Oui, bien sûr. Cet enseignement vise à former un citoyen autonome et critique , qui puisse participer à la vie démocratique. On ne peut pas réduire l’enseignement de l’histoire à la seule idée de « faire nation ». La chronologie est un point de départ fondamental. Mais l’histoire n’est pas une suite de dates. Son enseignement veut faire comprendre les sociétés passées. Enfin, dans notre enseignement il y a aussi la géographie, qui est toujours oubliée. Cela nous agace.
E Macron a aussi promis le doublement de l’horaire d’EMC et annoncé une réforme de cet enseignement. Un rapport du Sénat, un autre de la Cour des Comptes demandent le retour à une histoire des institutions en lieu et place des débats sur des questions de société. Quelle est la position de l’APHG là-dessus ?
Nous avons surtout vu l’EMC fondre, sans parler de « l’instruction civique » qui a disparu en 1969 ! L’enveloppe horaire de l’EMC est faible : 30 minutes par semaine, souvent en classe entière. Souvent l’EMC est vue comme une variable d’ajustement pour sauver un poste et l’EMC n’est pas toujours confiée aux professeurs d’histoire-géographie. Reconnaissons-le, l’horaire d’EMC sert aussi parfois à boucler les lourds programmes d’histoire-géographie. L’annonce d’un doublement de cet horaire constitue donc une bonne nouvelle. Mais l’idée avancée de faire lire un texte fondamental n’est pas dans l’esprit de ce qui se fait actuellement en classe. Les professeurs d’histoire-géographie utilisent des textes fondamentaux mais de telle façon qu’ils soient saisis par tous. L’EMC ne peut pas être un enseignement descendant. Enfin redonner sa place à l’EMC signifierait aussi lui donner sa place dans le Capes.
Il y a aussi la énième réforme de la réforme du bac. Etes-vous satisfaite du bac actuel ?
Le retour des épreuves de spécialités en juin était demandé. Mais il se fait dans l’impréparation et c’est regrettable : nous n’avons toujours pas les aménagements de programme. Et comme les collègues ne commencent pas tous la spécialité HGSPP par le même chapitre, il faudrait plutôt élaguer dans les points conclusifs que supprimer un thème. Nous attendons là-dessus un texte de l’Inspection générale. Nous souhaitons aussi une épreuve unique nationale comme nous l’avons rappelé dans plusieurs motions élaborées lors de nos réunions nationales.
L’enseignement de l’histoire et de la géographie a-t-il la place qu’il mérite dans le système éducatif aujourd’hui ?
L’histoire-géographie reste une discipline importante et qui plait aux élèves, stratégique dans la formation du citoyen. Les collègues trouvent les programmes très lourds. Mais ils sont enthousiastes car les programmes sont intéressants. A l’école élémentaire, les professeurs des écoles font bien progresser les enfants dans l’apprentissage de la temporalité, la construction de quelques repères. Au collège, les programmes, qui vont de la préhistoire au monde contemporain, sont plutôt bien conçus et classiques. Mais on aimerait un horaire plus important pour pouvoir développer des méthodes actives et l’autonomie des élèves. L’horaire actuel est trop faible pour approfondir et donner du sens au programme : il ne faudrait surtout pas que le doublement des horaires d’EMC s’effectue au détriment de l’histoire-géo, quand les programmes sont déjà difficiles à achever !
Quelle actualité pour l’APHG à cette rentrée ?
Nous avons plein d’événements prévus en plus que de nos activités habituelles. Nous reprenons les cafés virtuels, avec par exemple des interventions sur les archives diplomatiques et le concours Jeunes ambassadeurs ; ainsi que des rencontres qui présentent des publications récentes. Nous aurons par exemple, les 14 et 21 septembre, deux cafés virtuels sur le livre « Colonisations. Notre histoire » qui devrait devenir un outil apprécié des professeurs. Il y a aussi des cafés sur des points plus spécialisés, par exemple avec le Comcyber sur « les opérations militaires dans le cyberespace ». Nous avons des soirées réservées au « coup de pouce pour l’agrégation interne ». Nous aidons les adhérents – notamment ceux qui n’ont pas de formation académique – en organisant des rendez-vous avec des spécialistes sur les questions au programme ou sur la méthodologie.
L’APHG va aussi publier de nouvelles « Fenêtres sur cours » : des capsules vidéo qui aident les collègues à aborder le programme, comme nous l’avons fait avec Olivier Lazzarotti sur la notion d’ « habiter » ; celles de Côme Simien sur l’histoire de l’éducation (« Former le citoyen de demain, une exigence révolutionnaire ») devraient aussi beaucoup plaire aux collègues.
Il sera d’ailleurs aussi question de la Révolution lors d’une grande journée d’étude organisée en Sorbonne, le 18 novembre. Au programme de cette année également, beaucoup d’EMC et d’EMI : en collaboration avec nos partenaires de « Parlons démocratie », une journée au Sénat le 20 janvier sur l’état de la démocratie en France. Le 7 février probablement, une journée organisée en collaboration avec le Chef d’Etat-Major des armées sur « Information et désinformation en temps de guerre ». Nous aurons aussi une journée sur le changement climatique, la date est encore à définir.
Voilà pour le calendrier national. Mais les régionales sont elles aussi très actives. Par exemple, à Lille, la régionale organise nos Agoras, du 24 au 27 octobre : une belle série de conférences et de visites sur le patrimoine historique (du bassin minier à Gand en passant par les champs de bataille de la Somme par exemple) et géographique (Dunkerque, Valenciennes). Ce sera un temps de retrouvailles très festives dont nous nous réjouissons !
Propos recueillis par François Jarraud