Le 28 août 1963 dans son célèbre discours « I Have a Dream », Martin Luther King évoque ses 4 jeunes enfants pour former le vœu « qu’ils vivront un jour dans un monde où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau mais sur la valeur de leur caractère. ». Pour fêter cet anniversaire et rendre hommage au leader des droits civiques, c’est à 5 adolescent.es lauréat.es du concours « The more I say » que l’Education nationale a choisi de donner la parole pour « faire résonner les mots d’un discours historique, en faveur de l’égalité des droits, qui continue d’inspirer les plus jeunes. ». L’Ecole aurait-elle pour principe de parler pour ne rien voir ?
L’intention était louable, mais la réalisation calamiteuse a créé un « bad buzz » éminemment justifié, tant il était choquant, d’une part, qu’aucun.e de ces 5 adolescent.es – qui, il va de soi, n’y sont pour rien – ne soit racisé.e, et d’autre part que le thème du racisme ne soit pas une seule fois évoqué dans le montage mis en ligne. Vidéo retirée, explications embarrassées du Ministère. Incident clos.
Incident clos ? Pas si vite, car ce qui pourrait apparaître comme une simple maladresse mérite d’être interrogé. Comment une telle cécité a-t-elle été possible ? Comment est-il possible qu’à aucun niveau de validation l’énormité n’ait été perçue ?
Cet épisode n’est pas sans rappeler une autre calamiteuse campagne, cette fois pour le métier d’enseignant.e, en 2011, et les stéréotypes sexistes qui l’accompagnaient. Pleine elle aussi des intentions les plus louables, elle mettait en parallèle le « poste de ses rêves » d’une enseignante et le « poste à la hauteur de ses ambitions », d’un enseignant. Assis à un bureau, devant un ordinateur, celui-ci préparait avec grand sérieux un cours, que l’on devinait plutôt du côté des sciences, tandis que sa collègue, aux compétences manifestement plus littéraires, tenait négligemment un livre à la main, assise sur un bout de bibliothèque, sans même donc besoin de ce « lieu à soi », cher à Virginia Woolf. Campagne publicitaire retirée, explications embarrassées du Ministère. Incident clos.
Incident clos ? Pas si vite là non plus. Pas plus que la vidéo d’aujourd’hui incriminée ne relève d’un racisme conscient, nulle intention sexiste à l’époque, bien sûr, mais dans les deux cas, en revanche, un impensé qui fait sens. Par manque de conscientisation suffisante sur les questions d’inégalité entre les hommes et les femmes, le Ministère de l’éducation nationale montrait bien, à l’occasion de cette campagne de recrutement, que celles-ci n’étaient pas qu’extérieures à l’institution scolaire, mais résultaient aussi de son propre habitus.
Or penser que l’école n’est pas traversée par des discriminations sexistes, comme si elle pouvait laisser à sa porte tout ce qui agite notre société, ce n’est pas rendre service à l’école. Celle-ci ne demande qu’à se battre pour plus de justice, taire un problème n’a jamais permis de le résoudre, et il faut être lucide pour bien mener un combat.
Sur ce sujet, l’école s’efforce d’évoluer. Et même si elle peine encore à se remettre en question, elle prend par exemple, de plus en plus conscience que la lutte contre les discriminations entre les filles et les garçons doit absolument passer par la formation des enseignant.es. Il ne s’agit plus aujourd’hui seulement d’enseigner l’égalité filles-garçons à ses élèves, mais d’enseigner de manière égalitaire. Ce qui est autrement plus difficile peut-être, tant cela oblige à se remettre en question, à interroger ses pratiques, à prendre conscience, en particulier, de l’insidieuse et permanente menace des stéréotypes et autres effets d’attente. Il en va de même pour les discriminations classistes, validistes ET évidemment, évidemment, pour les discriminations racistes.
Alors oui, reconnaissons-le, le système scolaire produit des inégalités et des mécanismes d’exclusion ; oui, il invibilise les un.es au profit des autres. Mais ceci posé et conscientisé, réagissons, agissons. Et faisons le rêve que cet épisode regrettable soit l’occasion d’avancer un peu, par exemple en s’inspirant du dispositif des référent.es mixité filles-garçons pour mettre en place un maillage équivalent en faveur d’une meilleure vibilisation des racisé.es.
Claire Berest