Et si on envoyait des carte postales depuis son lieu de vie plutôt que de vacances ? Et si la carte postale se faisait sonore plutôt que visuelle ? Au collège Lionel Terray à Meylan, Hera Ignaczak, professeuse de Lettres, et Cladie Larmagnac, professeuse documentaliste, ont invité des 4èmes à réaliser de telles productions. Au programme du travail en groupes : choix d’un lieu quotidien, collecte de sons, rédaction d’un texte percutant et suggestif, enregistrement, montage … L’écriture dans le cadre scolaire change alors de format et d’enjeu pour se faire radiophonique, intimiste, vivante, jusqu’à transformer la surface en durée, jusqu’à faire rentrer dans l’Ecole un peu de réel et un peu de soi. Une démarche adaptable à tous les niveaux ?
Le genre de la « carte postale sonore » est encore peu connu : de quoi s’agit-il ?
Il s’agit d’une création très personnelle qui permet de prendre conscience de la dimension sonore d’un espace : la personne choisit de partager un moment de son quotidien, de son intimité. En partant des sons, les choix créatifs s’opèrent et le texte qui va accompagner s’organise. C’est une réelle introspection pour la personne qui créé, et qui va pouvoir s’appuyer sur les sens, sur des atmosphères. C’est également une belle façon de travailler sur l’imaginaire pour les auditeurs, qui sont en immersion dans un univers.
En quoi ce genre radiophonique vous semble-t-il pédagogiquement intéressant ?
Cet exercice permet aux élèves de prendre conscience de la richesse de ce qui les entoure, et les « pose », leur apprend à écouter dans une époque où tout va très vite, et où ils sont très sollicités en permanence. Ce support permet par ailleurs une très grande variété des sujets traités : les élèves s’en sont totalement emparés et ont produit des cartes sonores très personnelles, ou qui s’appuyaient sur des événements locaux (la Foire des Rameaux par exemple).
Comment avez-vous lancé le projet ?
Cladie Larmagnac, professeure documentaliste, est à l’origine d’une webradio au sein de notre établissement scolaire : « Nos mots ont des oreilles ». Nous avions donc du matériel à disposition. Par ailleurs, nous avons eu envie de les sensibiliser à la beauté des choses qui les entourent, à la richesse des éléments de leur quotidien, de leur permettre de se poser au cœur de ce rythme effréné. Nous leur avons donc présenté le projet au CDI en co-enseignement. Il nous a fallu échanger avec eux, leur faire écouter quelques travaux pour leur faire comprendre le projet que nous leur proposions. Puis nous les avons invités à commencer à enregistrer des sons pour qu’ils prennent conscience de la dimension sonore de leur espace.
Comment avez-vous accompagné les élèves dans le travail ?
Un journal de bord accompagne la réalisation du travail. Les feuillets sont ajoutés au fur et à mesure, à chaque nouvelle étape, agrafés, annotés si nécessaire : cela motive les moins investis mais surtout permet un suivi individualisé de chaque élève … Un journal papier est élaboré par les enseignantes pour garder une trace du travail de chaque groupe. Le travail comprend plusieurs étapes…
D’abord, afin de cerner leur sujet, les élèves doivent répondre au questionnement classique Qui ? Quand ? Où ? Comment ? Pourquoi ? S’ils le souhaitent, ils peuvent modifier les groupes de travail. Puis, sous forme libre (carte mentale par exemple), ils approfondissent le sujet choisi et collectent des sons en nommant le fichier et en précisant sa durée. Les élèves trouvent un titre, entament la rédaction du texte qui accompagnera les sons et commencent la mise en voix (qui leur permet de se rendre compte qu’il faut parfois modifier le texte). Les élèves peuvent réinvestir les notions de langue (la conjugaison du présent de l’indicatif, les types et formes de phrase) vues en début de séquence, ainsi que les compétences travaillées lors de la séquence sur la poésie.
Une fiche vient guider et conseiller les élèves : elle les invite à être original, à bien transporter l’auditeur dans l’univers sonore choisi, à ajuster le titre, à choisir le ton (poétique, humoristique, grave, joyeux …), éventuellement à réaliser une lecture à plusieurs voix, à lire à voix haute votre texte pour l’améliorer, à rédiger des phrases courtes, efficaces, voire nominales, à enrichir le texte avec des adjectifs, des propositions subordonnées, des termes recherchés …
Comment avez-vous accompagné les élèves dans le travail sonore d’enregistrement, d’habillage, de montage ?
Les élèves (qui se sont mis en groupe de 2) ont enregistré les sons en autonomie, la plupart du temps grâce à leur téléphone portable. Ils les ont ensuite amenés sur une clef USB au collège, en salle info. Puis nous les avons accompagnés grâce à un journal de bord, par étapes, et certains élèves ont pu faire profiter les autres de leurs compétences en prenant la parole et en passant parmi les groupes (pour manier Audacity par exemple). Concernant les textes, Hera Ignaczak, professeure de français, intervenait à la demande pour aider à la rédaction si nécessaire.
Au final, quelles satisfactions tirez-vous de ce projet ?
Nous avions une classe de 4e peu motivée, très hétérogène : cela a été un réel plaisir de les voir s’emparer du projet et surtout le mener à bien. Ils ont amélioré leur carte sonore jusqu’à ce qu’ils soient satisfaits. Ce projet intimiste leur a permis par ailleurs de tisser des liens, d’échanger sur leur quotidien (leurs animaux domestiques, leurs habitudes, les sports pratiqués …) : des élèves qui pensaient se connaître se sont redécouvert. Enfin, ils ont produit des cartes sonores très variées, nous avons trouvé qu’ils pouvaient tous s’exprimer, dans le style qui leur correspondait. Eux-mêmes nous ont confié avoir beaucoup apprécié le projet.
Quels conseils donneriez-vous à des collègues qui voudraient s’en inspirer ?
Ce projet permet de dynamiser le travail mené avec la classe, d’améliorer les compétences numériques des élèves et convient à tous les niveaux du collège. On peut adapter beaucoup d’aspects : thèmes, longueur, supports … Un projet de cartes postales sonores a par ailleurs été mené avec les élèves du dispositif ULIS sur le marché de la commune. L’objectif principal était de les amener à décrire mais aussi d’interroger vendeurs et acheteurs: une activité simple, peu onéreuse visant à les inscrire dans un quotidien social et économique, de leur permettre de s’exprimer et de prendre confiance en soi.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Description et réalisations sur le site Lettres de l’académie de Grenoble
Cartes postales sonores du dispositif ULIS sur le marché de la commune
Cartes postales Ecouter le monde
Cartes postales sonores au lycée Henri Sellier à Livry-Gargan