Maîtresse C. est une enseignante d’école maternelle. Son métier, elle l’exerce depuis plus de 10 ans. Elle propose aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique de partager les petites moments du quotidien qui ponctuent la vie de l’école.
Ça sent déjà le café. Je pousse la lourde porte et mets quelques instants dans la pénombre du chambranle de la porte de la loge avant de reconnaitre notre gardien qui l’été aidant en a profité pour se laisser pousser les cheveux.
Nous nous saluons, non pas comme deux amis que nous ne sommes pas mais comme 2 vieilles connaissances : à la sortie du premier confinement, sur le chemin pour me rendre à l’école j’avais traversé l’un des passages protégés. Quelle n’avait pas été ma surprise de constater que le « monsieur du passage piéton » comme disent mes petits élèves, était de retour, son beau sourire barré d’un masque flambant neuf ! Nous nous étions souri des yeux, nos pupilles s’étaient étreintes, heureux de reconnaître d’autres frères humains. Nous avions échangé des « Bonjour » trop sonores pour n’être que simples salutations. Et puis la vie avait repris son cours, les Bonjour moins emphatiques, les sourires plus las, et le pas moins ferme l’année aidant.
C’est ainsi avec mon gardien, on ne sait trop comment se dire que oui, on s’apprécie certes mais que trop de familiarités ne sauraient être propices à un bon positionnement professionnel.
Avant de grimper dans les étages, j’embrasse du regard la cour, consciente que dans quelles heures, cris en tout genre y feront leur réapparition.
J’aperçois quelques collègues en train de papoter avec des ASEM ; Je m’approche, consciente de la fragilité du moment. J’aime ces moments singuliers : personne n’est dupe mais on apprécie à sa juste valeur ces instants de retrouvailles : c’est notre rapport au temps qui nous relie. On partage le passé douceâtre ou fruité, le présent toujours fragile et le futur qui nous invite et nous condamne à travailler ensemble. On se connaît depuis trop longtemps, on se serre les coudes faute d’amitié durable, on connaît les minutes longues quand les nerfs vous lâchent et que la cloche libératrice n’est pas prête de retentir. On est content d’apprendre que les enfants vont bien, qu’ils ont passé un bel été, que le petit dernier sait nager sans brassard et que le grand a tenu son job d’été sans faillir.
On rit plus facilement avec les ASEM qu’avec le gardien. Peut-être que le fait d’échanger sur des choses quotidiennes et matérielles fait qu’on se sent moins tenu au discours sérieux des adultes dits responsables.
Le gardien, par définition garde la porte, protège l’accès et doit être prêt à intervenir. Je me suis souvent demandé comment nous réagirions, nous, indolents humains au discours ampoulé. Qui sera solidaire à défaut d’être héroïque ? Qui pensera à autre chose qu’à lui-même dans un instant tragique ? Qui s’enfuira sans vergogne ? Qui sera pleutre, lâche et vil comme au premier jour ? Quand je pense à certains, j’avoue trouver la réponse trop facilement mais ne leur jetons pas la pierre : ils servent d’alerte !
Et puis, on s’installe dans cette salle des maîtres trop connue, trop prévisible.
On regarde les collègues. Une parole ranime les vieilles rancœurs, un sourire rappelle la belle humanité de cette autre collègue même si, on le sait l’une et l’autre, ses retards répétés vous sont gentiment insupportables…
C’est un étrange manège que ces retrouvailles contraintes, c’est plus redoutable qu’un repas de famille avec le tonton passionné de jolies bouteilles et de vieilles filles à moins que ce ne soit l’inverse.
Chacune y va de sa p’tite phrase sur le fabuleux paysage ou les gens trop sympas qu’on a rencontrés, le « comme d’habitude » pour les fatiguées et le tragique et morose « tu sais, ma mère, elle est malade, alors… ». On sourit un peu, plus par commodité sociale qu’empathie réelle.
On n’ose se l’avouer mais on sent bien qu’on a encore un pied dans les tongs et un œil sur l’indice de la crème solaire.
Et puis y’a les collègues-amies. Pour un peu, on s’en voudrait de les avoir croisées dans une salle de classe tellement les rencontrer dans le bar du coin aurait tracé une autre histoire. Elles sont géniales comme des amis et professionnelles comme des collègues.
Alors, la rentrée avec elles, c’est plutôt le 14 juillet : on se sourit, heureux de se rappeler les bons et les mauvais moments passés et à venir, toujours conscients qu’avec elles, les minutes pourront s’égrener, parfois avec lourdeur, souvent avec joie, jamais avec sarcasme.
La réunion commence : j’ai l’impression de monter à bord d’un gigantesque cargo, peu maniable, charriant des conteneurs de tous ordres et traçant une route maritime au milieu d’une mer déchaînée ou pétole totale, c’est selon.
Et puis, parce que c’est ainsi dans tout collectif, il y a un petit espace de création, quasiment de liberté. Alors qu’on ne s’y attend pas, on retrouve de la bienveillance et de la solidarité, là où on attendait aigreur et vieilles dentelles.
Je souris intérieurement : dans quelques heures, quelques jours, les paroles seront un peu moins douces, une rentrée soyons honnêtes est souvent, pour ne pas dire toujours, un exercice périlleux mais ces minutes où l’ère des possibles nous a semblé accessible ont balayé mes inquiétudes quant au travail collectif.
La réunion se termine, je m’apprête à regagner ma classe pour la préparer. Ma directrice me tend une enveloppe, une carte m’attend. « Bonnes vacances maitresse ! Bisous ». Et c’est signé par un de mes p’tits élèves.
Une plage et un soleil radieux sur la photo, je l’accroche illico presto à côté du tableau. Elle nous tiendra chaud cet hiver cette carte.
Maîtresse C