Anne Coïc, professeure des écoles, en Grande Section cette année, a démissionné de l’Education nationale. Entrée à l’âge de 30 ans dans le métier, après 20 rentrées, et une première carrière dans le traitement des déchets toxiques, Anne s’apprête à 52 ans à nouveau à changer de métier. Elle expose les raisons de sa démission au Café pédagogique : perte de satisfaction, sentiment d’épuisement, désaccord avec le sens des réformes et des directives de plus en plus présentes. Anne souhaite retrouver la liberté et du sens dans un nouveau projet professionnel comme de vie. Le rythme et le poids de l’Ecole, imposé aux élèves, ne serait-il pas également subi par les personnels ? Si les professeures des écoles sont si nombreuses en temps partiel, n’y-aurait-il pas aussi une explication inhérente à une profession qui fatigue ?
Un problème de temps de travail, de rythme, de fatigue
Anne souligne son besoin de respiration dans la semaine. Avec la semaine de 5 jours, elle n’arrive pas à retrouver le souffle et le temps pour réfléchir, préparer ses séances. Elle a l’impression de courir en permanence après le temps. Cette impression procure à Anne un sentiment d’insatisfaction, insatisfaction de ne pas avoir eu le temps pour des activités. Elle rappelle qu’en maternelle, les enseignants ont beaucoup de choses matérielles à organiser. « Cela n’a l’air de rien » dit Anne, de préparer le parcours de gymnastique pour les élèves ou de passer la journée assise sur des bancs trop petits. Les conditions de travail sont fatigantes, les professeures sont exposées au bruit, sont souvent debout, à l’écoute des enfants. Aussi, Anne se sent aussi trop âgée et en décalage avec les enfants mais aussi en comparaison avec son début de carrière. Elle poursuit « j’ai parfois l’âge de leur grand-mère », « cela demande de l’énergie, j’en ai moins maintenant, j’ai pas envie de faire cela jusqu’à 62 et encore moins 64 ans».
Un changement ces dernières années
« On sent que l’institution veut de plus en plus entrer dans les classes, que la liberté pédagogique est doucement attaquée, on a tendance à nous donner de forts conseils ». Anne se sent en désaccord avec les différentes injonctions des différents gouvernements qui, selon elle, depuis 2008, changent les programmes en permanence sans laisser le temps d’en évaluer les effets. Et ces évaluations nationales ne sont pas un outil qui aide les enseignants, elle n’y voit qu’un travail chronophage d’évaluation du système. Anne rappelle que le dispositif plus de Maitres que de classes qui a donné d’excellents résultats a été supprimé. De plus Anne reproche aux nouvelles injonctions de ne pas laisser le temps aux enfants de grandir. « Un élève en Grande Section doit reconnaître les lettres dans 3 graphies, pourquoi ne pas attendre le CP ? cela met en difficulté certains enfants. Car on leur demande trop tôt, on veut les mettre dans un moule. » Et puis, « on sait évaluer nous-mêmes nos élèves toute l’année » glisse-t-elle. « Dès la maternelle, on ne met pas les enfants en confiance dans l’école ». Anne regrette qu’on n’écoute pas plus l’enfant. Les évaluations de Grande Section, CP, 6e, n’ont pas de justification pédagogique ou de sens pour Anne autre que d’évaluer, de classer dès le plus jeune âge. Cette absence de sens démobilise Anne comme si les injonctions n’avaient de sens que pour ces évaluations.
Un système qui incite à quitter l’institution, le statut mais pas le métier
« Si j’avais pu rester à temps partiel, je n’aurais peut-être pas fait ce choix -là. » Néanmoins, Anne assume son choix de démissionner d’un métier qu’elle aime et d’une zone de confort. Elle précise être très contente des années d’enseignement, du travail en équipe dans son école, de ses collègues. Elle évoque aussi les contraintes d’emploi du temps, la fatigue et la peur d’avoir des regrets: « Si je n’ai pas le courage maintenant, je le regretterai. » Elle sait qu’elle quitte la sécurité du statut de fonctionnaire, ce que la génération précédente a du mal à saisir, tant le décalage est grand. Les conditions de travail, la qualité de vie, le pouvoir d’achat, la retraite, se sont détériorées en une génération. La situation a changé : aujourd’hui, le travail à temps partiel n’est plus accordé dans son académie, les mutations quasi impossibles et la demande de mise en disponibilité peut être refusée. Il n’y a donc pas de possibilité de mobilité. Finalement, la conjoncture actuelle de pénurie d’enseignant et le recours à des contractuels offre la perspective de démissionner pour faire des remplacements. Et offre donc la liberté de démissionner. Anne admet que le contexte de recherche de contractuel l’a aidé à prendre sa décision : « en dispo, je n’aurais pas eu le droit de postuler ». Démissionner n’est donc pas quitter un métier, mais finalement d’arrêter de le subir, d’en subir certains aspects contraignants dans les modalités pratiques, comme le lieu et le temps de travail (mobilité entre académies, temps partiel).
Vers un autre projet personnel et professionnel : retrouver plus de liberté
Anne n’exclut donc pas devenir contractuelle, mais elle espère pouvoir vivre d’un nouveau métier, celui de thérapeute dans la gestion du stress, pour lequel elle se forme depuis 4 ans. Anne envisage dans un premier temps d’apprendre encore, de devenir thérapeute en gestion du stress pour des thérapies individuelles et en atelier. Au début, ce projet était pour sa situation personnelle avant qu’il n’évolue. Motivée, Anne est lucide sur ce qu’elle doit apprendre « tout ce qui est de l’ordre entrepreneurial, on ne sait pas faire, se vendre, se faire payer ». Elle est bien consciente du fossé entre ses aspirations et la capacité d’en vivre mais elle est guidée par l’impression de moins bien faire son travail, d’être plus fatiguée, « quand on n’est pas bien, on ne fait pas bien son travail ». La formation, le nouveau poste de son conjoint, le déménagement en Bretagne sont autant d’éléments qui ont participé à la prise de décision d’Anne et à sa démission.
La qualité de vie est une boussole : « L’idée c’est d’avoir un rythme de vie plus sympa, d’arrêter d’être un hamster dans sa roue. Il y a une part de risque, mais je savais qu’il fallait le faire. Comme quand j’ai pris la décision de changer de métier il y a 20 ans. La fin d’année est intense, donc je réfléchirai après. »
Djéhanne Gani