Comment créer un lien entre l’école primaire et le lycée ? Comment la prairie peut offrir une approche concrète pour étudier la dynamique des écosystèmes ? Marc Boulanger, professeur agrégé de SVT au lycée Chatelet à Saint-Pol-sur-Ternoise (62) fait travailler longuement ses lycéens sur la prairie des Equerguettes. Cartographie aérienne, inventaire floristique et faunistique et scénario possible de la colonisation du site sont au programme de ses lycéens en spécialité SVT. Ses élèves ont aussi répondu aux questions des écoliers. Un challenge pour montrer la valeur patrimoniale mais aussi la vulnérabilité de la prairie.
Quel est ce projet mené entre des écoliers et des lycéens ?
En me promenant sur le site des Eguerguettes, j’avais constaté que le milieu était en train de se fermer (la prairie cédait la place à la forêt). Convaincu de la nécessité de débroussailler, j’ai pu me rendre compte en discutant avec les habitants du village que peu d’entre eux étaient sensibilisés à cette problématique et ne comprenaient pas l’intérêt de débroussailler un tel site alors que la nature semblait reprendre ses droits. Pourquoi la forêt serait-elle moins « intéressante » que la prairie ?
J’ai proposé à M. Broutin, professeur à l’école de Pressy (RPI de Bours) et à Madame Lefebvre, professeur de SVT du collège du Bellimont de Pernes, de me rejoindre sur un projet pédagogique afin de sensibiliser les élèves à cette problématique, mais aussi de façon à favoriser la liaison école/collège/lycée.
Au cours d’une randonnée dans leur village, les élèves de l’école de Pressy ont été séduits par la beauté de cette petite prairie riche en fleurs et insectes (La prairie des Equerguettes). Au cœur de cette prairie, un panneau indiquait que ce type de prairie était menacé de disparition dans la région.
Les élèves de CM2 ont alors pris l’initiative d’interroger mes élèves de spécialité SVT du lycée de secteur (lycée Châtelet de Saint-Pol-sur-Ternoise) afin de leur demander si réellement la prairie de Bours était menacée de disparition et quelles étaient les caractéristiques de ce milieu. Nous avons pu dialoguer par le biais de petites vidéos (questions/réponses). Pour mes élèves de Première, c’était l’occasion de travailler l’oral et d’aborder les chapitre « écosystèmes » et en particulier la dynamique des écosystèmes en privilégiant une approche concrète de terrain.
Quelles sont les spécificités de cette prairie calcicole des Eguerguettes ?
Le lieu-dit des Eguerguettes se singularise par la présence d’une prairie calcicole à haute valeur patrimoniale située sur un coteau calcaire. Ce biotope, particulièrement bien exposé, abrite une biodiversité remarquable représenté par les abondantes orchidées. Les élèves ont pu en dénombrer 6 espèces différentes, mais noter aussi les interactions uniques entre le thym serpolet, une espèce particulière de fourmi rouge et le papillon Azuré du serpolet. Ces espèces sont étroitement liées à leur biotope. On comprend aisément qu’une modification de celui-ci (un embroussaillement par exemple) porterait atteinte à cette biodiversité spécifique.
Cet écosystème est unique en Europe et spécifique du Pas-de-Calais, de la Normandie et du Kent en Angleterre. Il constitue une relique des prairies pâturées au siècle dernier (élevage extensif de moutons).
Quel est ce travail effectué avec des photographies aériennes du site ?
Il s’agit d’une étude diachronique de cartes de végétation du coteau calcaire. Pour cela, les élèves de spécialité SVT ont localisé la prairie des Eguerguettes sur le système d’informations géographiques « remonter le temps » de l’IGN, puis délimité quatre catégories d’occupation des sols : les habitations, les cultures/champs, la prairie et la forêt. Il restait à mesurer les surfaces entre 1950 et aujourd’hui dans le but de comparer l’occupation des sols au cours du temps.
Ainsi, les élèves ont pu reconstituer la dynamique de la végétation des Eguerguettes au cours du temps et ont pu constater que la surface occupée par la végétation haute, c’est-à-dire par la forêt, augmente au fil des années tandis que la surface occupée par la végétation basse, c’est-à dire par la prairie, diminue. Quant aux surfaces occupées par les habitations et les cultures, elles restent constantes depuis les années 2000. La forêt prend bien le pas sur la prairie. Les élèves ont même pu prévoir graphiquement sa disparition imminente. La démarche entreprise ainsi que les résultats de cette étude menée par les élèves de spécialité SVT ont été expliqués oralement aux élèves de l’école primaire par le biais de petites vidéos.
Quelles sont les études effectuées sur le terrain par les lycéens ? Pour quelles analyses ensuite en classe ?
Sur le terrain, nous avons étudié les interactions entre espèces, mais avons pu aussi montrer par une enquête botanique que la prairie était pâturée par des moutons dans le passé. D’autre part, les élèves ont pu reconstituer la succession écologique végétale du site. Autrement dit, nous avons cherché à déterminer et à identifier les étapes du dynamisme de la végétation de la prairie, dans le but de définir les causes de ce reboisement. Pour cela, nous avons réalisé un transect écologique. L’objectif principal d’un transect, en écologie, est d’observer l’évolution de la végétation d’un point à un autre. Nous avons répertorié et mesuré toutes les espèces ligneuses que nous avons observées le long de trois bandes de 30m. Toutes ces valeurs ont été consignées dans une feuille de calcul afin d’obtenir des graphiques représentant l’évolution de la taille moyenne des espèces le long du transect ou encore l’évolution de la taille des espèces les plus répandues sur le site. Les élèves ont pu remarquer de manière générale une augmentation globale de la hauteur des végétaux ligneux le long du transect et ont pu reconstituer la dynamique de la végétation de la prairie.
La surface occupée par la strate herbacée (fleurs, fougères et hautes herbes) baisse au fur et à mesure que la distance par rapport à la forêt diminue, engendrant une augmentation importante de la surface occupée par la strate arbustive/arborescente (arbrisseaux, arbustes et arbres).
Ainsi, l’une des conséquences majeures de ce phénomène de colonisation au niveau de la prairie est la disparition partielle ou totale de certaines espèces végétales. En effet, l’installation d’une flore de plus en plus arbustive et arborescente dans le milieu conduit à une baisse du développement voire même au non-développement d’espèces rares, identifiées dans la prairie. Cet espace naturel regorge en effet d’une diversité biologique et écologique d’exception, voire même singulière dans la région. On peut ainsi y observer de nombreuses espèces rares voire même uniques sur le site comme différentes espèces d’orchidées (Ophrys abeille, Dactylorhiza Fuchsii), des Carlines acaules, des Blackstonies perfoliées (Blackstonia perfoliata), mais aussi des insectes rares et oiseaux inféodés à la prairie.
Les élèves ont pu remarquer que l’espèce la plus fréquente au sein de la prairie est le Cornouiller sanguin, reconnaissable par ses jeunes rameaux d’un rouge luisant très vif. Mais des espèces comme le troène, le nerprun des rochers ou encore comme le prunellier sont aussi abondantes sur le lieu.
Ainsi, nous en avons déduit que la colonisation des Equerguettes s’explique en grande majorité par la colonisation rapide de ces espèces après abandon de la parcelle et avons pu élaborer un scénario possible de la colonisation du site :
Etape 1 – Abandon du pâturage de la parcelle.
Etape 2 – Colonisation rapide du cornouiller sanguin sur l’ensemble de la parcelle (dissémination endozoochore : les graines sont ingérées par les animaux puis rejetées, après transit intestinal, dans leurs fientes) et d’autres herbacées.
Etape 3 – Installation des nerpruns des rochers et des nerpruns cathartiques depuis le bord de la lisière de la forêt sur une distance de 22m de long : le transport des graines se fait par les fientes d’oiseaux, oiseaux qui se nourrissent des drupes noirs (fruit du nerprun contenant quatre graines) et qui s’envolent depuis la lisière de la forêt.
Etape 4 – Des prunelliers se sont installés. Ses prunelles (fruits du prunellier) étant appréciés des oiseaux qui disséminent ses graines, il est une espèce envahissante des friches, comme dans la prairie des Equerguettes.
Etape 5 – Installation des rosiers sauvages depuis le bord de la lisière, de manière plus partielle (dissémination endozoochore : les graines (akènes) sont ingérées par les animaux puis rejetées).
Etape 6 – Installation des troènes de manière plus partielle sur une distance de 20m depuis la lisière de la prairie : dispersion des graines par les oiseaux ou autres animaux (dissémination endozoochore) qui se nourrissent de baies noires (fruits du troène).
Etape 7 – Sous ces espèces, installation des aubépines à deux styles sur une distance de 12m depuis le bord de la prairie : le transport des graines se fait par les oiseaux et autres animaux, qui se nourrissent des cenelles (fruits de l’aubépine).
De ce fait, nous avons essayé d’élaborer un scénario probable de la colonisation des Eguerguettes et en avons donc déduit que le reboisement du site s’explique par la colonisation rapide de ces différentes espèces et plus précisément du cornouiller sanguin, espèce très envahissante sur le site.
En quoi consiste le suivi spipoll ?
Il s’agit d’un protocole de Sciences participatives proposé par le Museum national d’Histoire naturelle de Paris. (MNHN)
Les élèves doivent choisir une fleur puis photographier, déterminer et compter les insectes qui viennent se poser sur celle-ci.
L’intérêt d’un tel protocole normalisé est de pouvoir élaborer un suivi d’année en année de la population d’insectes à l’échelle de cette prairie, mais aussi d’envoyer les données au MNHN afin de contribuer à mesurer l’évolution de la diversité des insectes et de leur état de santé à l’échelle de l’ensemble de la France métropolitaine. Les élèves du collège Bellimont contribuent également à ce programme.
Quelles sont les suites à donner au projet ?
Les articles et vidéos des élèves ont été diffusées dans le journal du village afin de sensibiliser les habitants à la nécessité d’un débroussaillage. Deux chantiers participatifs ont été organisés les samedis 21 janvier et 4 février 2023. De nombreux habitants, mais aussi élèves, parents, enseignants de l’école de Pressy et de Bours, du collège du Bellimont et du lycée Châtelet y ont participé. Un projet à venir serait d’installer des moutons en fin d’été afin de limiter les interventions de débroussaillage.
Ce travail a été récompensé par l’obtention du label « Aire terrestre éducative » délivré par l’Office français de la biodiversité.
Propos recueillis par Julien Cabioch
La prairie étudiée avec l’outil IGN Remonter le temps