Kada ZOUAOUI est enseignant et chargé de mission d’inspection en économie gestion dans l’académie de Versailles. Afin de contrer la constante macabre, il a mené une recherche-action au lycée de Bezons (95) où plusieurs enseignants et enseignantes ont adopté l’évaluation par contrat de confiance dans leurs classes. Il nous explique à quoi se réfère cette modalité d’évaluation et ses effets sur les gestes professionnels de professeurs et sur les postures des élèves.
Qu’est-ce que l’Évaluation Par Contrat de Confiance (EPCC) ?
Dans le vocabulaire de l’Éducation Nationale, l’utilisation du terme « bienveillant » a pris de l’ampleur ces dernières années. Sur le terrain professionnel, il est utilisé aussi bien pour parler de la posture des enseignants que pour qualifier une forme d’évaluation. C’est dans la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République et dans le bulletin officiel du ministère de l’Éducation nationale que les personnels de l’éducation découvrent la notion « d’évaluation positive » ou encore « d’évaluation bienveillante ». Dans ces textes législatifs, l’évaluation a vocation non seulement d’apprécier les acquis des élèves, mais également de leur permettre de progresser. Cette loi s’est accompagnée d’une volonté « d’installer avec les élèves une relation de confiance et de bienveillance ».
Quelques années avant la promulgation de ces textes législatifs, André Antibi avait publié un ouvrage dans lequel il mettait en perspective un dysfonctionnement du système éducatif qu’il qualifiait de « constante macabre ». Il expliquait que sous le diktat de la société et pour être crédibles, les enseignants se sentaient obligés de mettre un certain pourcentage de mauvaises notes. Lorsqu’un enseignant prépare un sujet de contrôle de connaissances et lorsqu’il choisit un barème, il fait en sorte, plus ou moins consciemment, que les notes soient étalées convenablement. Il faut qu’il ait toutes sortes de notes, des bonnes, des moyennes, des mauvaises, et cela quel que soit le programme du contrôle, la qualité de l’enseignement, le niveau de la classe. Plusieurs conséquences sont attribuées à la « constante macabre ». Antibi en propose cinq. Selon lui, ce phénomène engendre la perte de confiance en soi des élèves, le stress dans le milieu familial, le mal-être à l’école en raison de la compétition permanente, la détérioration du climat de confiance entre le professeur et les élèves, et la question de la bonne orientation des élèves.
Afin de supprimer « la constante macabre », Antibi propose de mettre en œuvre une nouvelle modalité d’évaluation : « l’évaluation par contrat de confiance ». Comment s’articule-t-elle ? Elle se déroule en trois phases dans le protocole proposé par le chercheur. Tout d’abord, l’enseignant indique aux élèves le programme de l’évaluation, il annonce la liste de questions déjà traitées et corrigées en classe sur lesquelles les élèves peuvent être interrogés. Lors de l’évaluation, une question ne figurera pas dans la liste proposée. Le barème est annoncé à l’avance. Il peut être de 4-8 points concernant la question nouvelle et de 12 à 16 points pour les questions de la liste. La seconde étape concerne la phase de questions-réponses, qui précède l’évaluation. Elle permet aux élèves de poser toutes questions qui restent en suspens, auxquelles ils n’ont pas de réponses. Enfin, la dernière phase concerne l’évaluation et la correction.
En quoi ce dispositif d’évaluation pourrait-il infléchir la constante macabre ?
L’EPCC installe une forme de relation contractuelle de confiance entre l’enseignant et les apprenants. Les efforts cognitifs engagés durant la phase d’apprentissage sont réinvestis lors de l’évaluation car une grande partie du contrôle concerne des exercices ou questions déjà traités et corrigés en classe. Les élèves sont moins stressés au moment de l’évaluation, ils gagnent confiance en eux, la relation pédagogique enseignant-élève se trouve améliorée. En sus de ces avantages, il convient de préciser que les moyennes de classes augmentent généralement de 2 à 3 points sur 20. Rappelons toutefois que cette augmentation n’est pas uniforme. Aussi, les élèves qui n’ont pas de bons résultats sont responsabilisés. En effet, ils savent manifestement pourquoi. C’est un premier pas vers une conscientisation critique. Les élèves mis en confiance travaillent davantage, c’est en ça que cela participe à récompenser le travail et supprimer ou infléchir le phénomène de la constante macabre.
Quelle réception des enseignants de cette modalité d’évaluation ?
Par cette recherche, nous souhaitions éclairer l’institution scolaire sur les effets de mise en œuvre de l’EPCC, tant pour les enseignants que pour les élèves. Au travers d’un raisonnement dialectique, nous avons tenté de démystifier une modalité d’évaluation qui peine à s’imposer dans l’agir professionnel évaluatif des enseignants.
Malgré les avantages que nous avons pu constater, de nombreux enseignants manifestent un attachement fort aux méthodes d’évaluation anciennes, enracinées dans l’agir professionnel évaluatif depuis la fin du XIXe siècle. Est-ce par peur de perdre le contrôle de leurs gestes évaluatifs ou par simple commodité – « nous avons toujours fait comme ça !» ? À ce titre, il peut être légitime de s’interroger sur ce conservatisme affiché chez les enseignants, parfois soutenu à travers des normes institutionnelles elles aussi inchangées à propos des pratiques évaluatives, par exemple lorsqu’il s’agit de décider de l’orientation d’élèves. De quels leviers l’institution scolaire dispose-t-elle pour accompagner ses différents personnels vers un changement de posture évaluative, si ce n’est la formation ? Quel type de formation à l’évaluation peut-elle impulser ou renforcer pour faire prendre conscience de la nécessité de s’orienter vers un paradigme d’accompagnement des élèves ? L’approche expérientielle de l’évaluation constituera sans doute, dans les années à venir, un levier certain de déplacement des praxis d’évaluation, permettant une entrée vers une conscientisation critique et vers des ajustements chez les enseignants. Tel serait le défi que l’Éducation Nationale pourrait porter à travers son discours et les pratiques d’évaluation qui en découlent, afin de mieux répondre aux prescriptions du référentiel des métiers du professorat de juillet 2013.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Une vidéo explicative de la recherche action