À l’heure où la focale médiatique est sur l’embrasement des quartiers, le Café pédagogique fait le choix de vous montrer de ce qui s’y passe de bien. Dans le quartier Les Cévennes, quartier politique de la ville de Montpellier, c’est par l’école qu’on ambitionne la réussite des élèves mais pas seulement. L’éducation populaire a toute sa place dans ce projet ambitieux pour les enfants et les jeunes des quartiers populaires.
Samedi 24 juin, l’association AVEC – Vivre Ensemble en Citoyens dans le quartier des Cévennes –organisait sa deuxième édition de sa Dictée Géante. « Plus de 200 enfants et adultes qui se déplacent un samedi pour faire une dictée, rassemblés autour de la chose scolaire sous une forme ludique montre bien leur appétence à l’accès et l’appropriation culturelle » nous raconte Choukri Ben Ayed, lecteur de la dictée. « Tout ceci sur fond de bénévolat et de fête. Plus jeune, pour moi les dictées c’était une hantise. Là la force des militants en a fait un moment de joie. Comment ne pas penser à Georges Snyders et son ouvrage La joie à l’école ? Mais la joie pour la culture c’est aussi en dehors de l’école. La culture appartient à tous et toutes elle n’est pas limitée à l’espace clos de la classe ». Le chercheur rappelle que des évènements festifs, rassembleurs et porteurs de sens, il y en a très souvent dans les quartiers. Des évènements « jamais relayées par la presse qui préfère parler des quartiers quand les sujets sont « chauds » rarement quand ils sont aussi porteurs de sens » déplore-t-il.
Des parents loin d’être démissionnaires
Nées en 2013, sous l’initiative de Rachid Santaki, journaliste et écrivain, l’idée des dictées géantes est partie d’un constat: « l’orthographe et les mots qui sont des enjeux essentiels pour chacun d’entre nous peuvent être un jeu mais surtout un moment fédérateur » est-il écrit sur le site. Ce projet beaucoup d’associations d’éducation populaires s’en sont emparées. A Montpellier, c’est PACTE 34 et le collectif des parents du Petit Bard qui sont à l’origine de la première édition en 2018 dans le quartier du Petit Bard. Un évènement pour « aller à l’encontre des représentations des parents démissionnaires et pour montrer l’attachement qu’ils ont pour l’école et le scolaire, pour montrer aux enfants que leurs parents ont la capacité d’organiser un événement en lien avec l’école. « Ca les rend fiers » nous dit Najat Bentiri chercheure et psychologue PACTE34 qui a accompagné le collectif de parents du Petit Bard.
Le Petit Bard, c’est ce quartier qui a fait beaucoup parler de lui en 2015, pas pour des faits de délinquance. Les parents s’étaient massivement mobilisés pour plus de mixité dans leur quartier totalement ségrégué. Ils ont d’ailleurs, d’eux-mêmes, initié des États Généraux de l’Éducation dans les quartiers populaires qui se sont tenus dans le plusieurs villes françaises. Reçus deux fois par le cabinet du ministre Blanquer, ils lui avaient adressé plusieurs préconisations issues de leurs États généraux. Des préconisations qui dorment au fond d’un tiroir. « On s’est dit qu’on allait arrêter de perdre notre temps, on n’a plus rien proposé au ministère. On invite les parents des quartiers à s’approprier la question de la réussite de leurs enfants. Ça passe par l’école mais aussi par le tissu associatif, l’éducation populaire » nous explique Najat Bentiri.
Dans le quartier des Cévennes, c’est PACTE 34 et l’association d’éducation populaire AVEC qui ont organisé la Dictée Des Cévennes. Toute l’année, elle propose divers accompagnements : médiation sociale, accès aux droits, formation linguistique, sorties familles, accompagnement à la scolarité, activités loisirs pour les enfants et leur famille durant les vacances scolaires, insertion professionnelle, écoute et conseil conjugal et familial, cours de gym, espace jeunes… « Elle collabore de façon étroite avec les écoles environnantes dans le cadre du CLAS (Contrat Local d’Accompagnement à la Scolarité) et facilite le dialogue entre les parents et les écoles avec le travail de médiation scolaire de son médiateur prévention jeunesse » nous explique sa directrice Kheira Temimi. AVEC propose aussi des cours d’alphabétisation et de français langue étrangère aux parents, adolescents scolarisés et jeunes adultes encore étudiants « afin de mieux se familiariser avec la langue française et faciliter leur communication ».
Une dictée festive
Pour Kheira Temimi, cette dictée, c’était une façon de fêter la fin de l’année scolaire. Et quoi qu’on puisse en penser, organiser une dictée, c’est festif nous explique-t-elle. « Ce type d’évènement permet de valoriser la relation famille école, le partage, la rencontre, le lien intergénérationnel et le vivre ensemble autour de la langue française. Cela renforce l’attachement des habitants du quartier des Cévennes à l’éducation, à la langue française et aux écoles du territoire. C’est aussi – pour les adultes qui prennent des cours d’alphabétisation – l’occasion de se prouver qu’ils peuvent utiliser la langue française, y compris à l’écrit, même s’ils n’en maîtrisent pas totalement les codes et les règles ».
La Dictée, c’est le sommet de l’iceberg, c’est le résultat de tout un travail, certes en termes d’apprentissages scolaires et d’alphabétisation, mais aussi sur le lien. Le lien avec les parents, le lien avec l’école. Le texte de cette année, extrait de la Gloire de mon père de Marcel Pagnol, a été choisi avec les habitants du quartier qui ont choisi comme thématique la confiance en soi et l’école. « L’équipe salariée et les bénévoles ont ensuite proposé des textes qui devaient rester compréhensibles pour les habitants du quartier tout en faisant partie de la littérature – pas de chanson par exemple. Parmi ces propositions, quatre personnes – organisateurs, responsables de la correction et formateurs de français au sein de l’association – ont été chargées de sélectionner deux textes pour le jour de la dictée » raconte la directrice d’AVEC. « La directrice de l’école élémentaire Julie Daubié, Farah Ammar, a ensuite découpé le texte pour les primaires. Pour le niveau collège et lycée, c’est l’association qui s’en est chargée ».
Une dictée pour renforcer le lien entre l’école et le tissu associatif
La Dictée des Cévennes, en plus d’animer le quartier, permet à AVEC de travailler en plus étroite collaboration avec l’éducation nationale. D’ailleurs, samedi 24 juin, Véronique Gerones Troadec, Directrice académique adjointe des services de l’éducation nationale de l’Hérault (DAASEN34) était présente pour introduire l’événement. « Le processus de sélection du texte nous permet aussi de rencontrer plus régulièrement les écoles du quartier et de renforcer les liens entre l’association et l’institution à plusieurs niveaux. Nous souhaitons encore améliorer ce processus en collaborant avec les professeurs de français au collège et lycée voire intégrer les professeurs à l’étape des propositions de textes. Pour les familles c’est aussi une opportunité de rencontrer les enseignants volontaires dans un cadre différent de celui de l’école, de partager un moment autour d’un exercice commun et pour les enfants en fracture avec l’enseignement scolaire de renouer des liens avec l’école » résume la directrice de l’association. Pour Choukri Ben Ayed, cet évènement est l’occasion de faire le point sur l’éducation prioritaire dont certains chercheurs « constatent à juste titre la « fin » ou tout au moins la crise ». « Elle n’est pas tout à fait morte. Cet exemple montre comment elle peut renaitre sous une autre forme dans la période d’aujourd’hui, c’est source d’espoirs » se réjouit-il.
Pour Najat Bentiri, l’objectif de l’éducation populaire dans ces quartiers, c’est d’outiller les personnes de façon qu’elles soient en capacité de répondre d’elles-mêmes aux problématiques qu’elles rencontrent en sollicitant des services de droit commun s’il le faut et en organisant des activités par elles-mêmes et pour elles-mêmes : « Faire de l’occupationnel, c’est bien, mais ce dont ont besoin ces populations c’est de l’accompagnement vers l’autonomie. Ils ont besoin de s’émanciper. Comme les parents du Petit Bard qui aujourd’hui se sont organisés en association et qui sont capables de dire à une institution, « nous ne sommes pas d’accord avec votre lecture de cette problématique » » conclut-elle.
À l’heure où la colère embrase les quartiers populaires, mettre la focale sur ce qui fonctionne est un choix de la rédaction du Café pédagogique. Oui, il y a du mal-être dans les quartiers populaires. Oui, le taux de pauvreté et les conditions de vie y sont indécents et indignes de la France. Oui, cette jeunesse manque de perspectives. Mais dans ces quartiers, on résiste. Les enseignants et enseignantes au quotidien. Les associations, l’éducation populaire aussi. Mais quel investissement de l’État dans ces deux piliers ? Pas grand-chose, depuis des décennies, et tout particulièrement depuis 2017, on baisse drastiquement les budgets alloués à l’école et à l’éducation populaire… Les politiques ont une lourde responsabilité dans la situation d’aujourd’hui. Ce constat dépassé, que faire ? Continuer de lutter au quotidien sans aucun doute…
Lilia Ben Hamouda