Adapter les bâtiments scolaires (écoles, collèges et lycée) au changement climatique coûtera de 50 à 100 milliards d’euros. C’est un des enseignements du rapport remis le 29 juin par la sénatrice Nadège Havet (RDPI). La largeur de la fourchette indique à quel point les collectivités territoriales ne sont pas prêtes à remplir des obligations que la loi impose dès 2030. Le rapport demande que les collectivités territoriales bénéficient d’une véritable aide pour les aspects techniques et aussi sur le plan financier. 2030 c’est demain…
La question climatique, une urgence qui vient de loin…
Rappelons-nous : en 2019 pour la première fois les épreuves d’un examen national, le brevet, sont repoussées en raison de la canicule. Pour JM Blanquer, « il était impensable de laisser les élèves composer dans des salles surchauffées« . En 2022 les épreuves du bac de français se sont déroulées dans des conditions très difficiles pour les mêmes raisons. Cette année, c’est la pénurie d’eau qui frappe les écoles de 4 villages des Pyrénées orientales, montrant qu’il faut aussi adapter les établissements à cette nouvelle problématique.
Mais le problème est plus ancien. Une enquête du Cnesco de 2017 montrait que 92% des chefs d’établissement avaient été interpellés au sujet de l’isolation thermique des salles de classe. La moitié l’avait été sur l’isolation phonique. L’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements avait déjà pointé le manque d’eau dans les écoles.
L’urgence économique
A la question climatique s’ajoute l’urgence économique. La hausse du cout de l’énergie charge fortement le budget des collectivités territoriales. Le rapport de N Havet donne en exemple la dépense d’énergie des lycées de la région Auvergne Rhône Alpes : elle est passée de 47 millions en 2021 à 84 millions en 2022 et 78 millions en 2023.Dans le Grand Est on s’attend à voir la facture progresser de 40 millions en 2021 à 100 millions en 2023.
La loi impose aussi d’adapter les locaux scolaires. La loi ELAN de 2018 impose de réduire la consommation d’énergie de ces bâtiments de 40% en 2030, 50% en 2040 et 60% en 2050 par rapport à 2010.
De vrais défis pour les collectivités locales
Tout cela a amené la Sénat à créer une mission d’information, présidée par JM Mizzon. Son rapport, réalisé par Nadège Havet est présentée le 29 juin.
« La transition écologique des bâtiments scolaires pose de nombreux défis aux élus locaux en charge de ce patrimoine immobilier« , écrit-elle. « Le processus de construction, de rénovation ou de réaménagement du bâti scolaire constitue une démarche complexe, plus particulièrement pour les communes dont les moyens autonomes en ingénierie sont parfois limités. Or ces projets requièrent une véritable expertise technique, juridique et financière. Leur conduite s’échelonne généralement sur plusieurs années, ce qui implique une réflexion sur les usages futurs du bâtiment, en anticipant l’évolution des effectifs« .
On a là de véritables défis que les régions ou les départements importants sont à même de relever mais qui sont de véritables obstacles pour les communes et singulièrement les moins peuplées.
Défi financier et d’ingénierie
Le premier défi est financier. Il est difficile d’évaluer le coût des travaux à réaliser. Selon N Havet la rénovation des locaux scolaires coûterait entre 1100 et 1700€ le mètre carré pour atteindre les objectifs de 2040-2050. Mais « le coût de deux opérations de même nature et de même niveau peut varier du simple au double selon l’état initial du bâtiment, les matières utilisées et la nécessité de travaux liés à la présence d’amiante ou de plomb« .
Cela pose donc un défi d’ingénierie pour les communes à la fois pour définir le projet et aussi pour le suivre. Les communes ont du mal à trouver les bons interlocuteurs pour faire face à ce défi.
Le rapport montre qu’il y a aussi un défi de financement. L’accès aux subventions , qui sont multiples, est complexe. « Les élus rencontrés par la mission d’information évoquent sur ce point une « usine à gaz » et un « parcours du combattant »« , note N Havet. Vu l’importance des sommes en jeu, les communes souhaiteraient aussi un abaissement du reste à charge des communes de 20 à 10%.
Défis pédagogiques
Le rapport montre que les collectivités locales sont conscientes des défis pédagogiques qui sont liés à cette rénovation du bâti scolaire. « Les établissements scolaires sont ainsi un lieu privilégié de sensibilisation des élèves aux éco-gestes et au développement durable, y compris en les rendant acteurs de la sobriété énergétique« , note N Havet. « Les travaux de rénovation des établissements scolaires devraient dans l’idéal être l’occasion, en lien avec l’équipe pédagogique, de repenser les espaces d’apprentissage, qu’il s’agisse des salles ou des extérieurs« .
Les recommandations
Tout cela amène la rapporteure à émettre 12 recommandations. Les premières concernent le financement des projets. N Havet demande une simplification des guichets avec un interlocuteur unique pour accéder aux subventions. Les dossiers de demande devraient aussi être plus simples et donc moins coûteux.
Le rapport demande la création d’une plateforme « regroupant toutes les informations utiles à l’élaboration et à la conduite des projets de rénovation des bâtiments scolaires. Il s’agit notamment de partager les bonnes pratiques, mais aussi les écueils à éviter« , ainsi que « l’organisation chaque année, dans les départements, de conférences des acteurs locaux de l’ingénierie« . Dans l’idéal, la rapporteure voudrait voir naitre une adresse électronique unique propre à chaque département qui permettrait aux maires d’avoir une réponse aux questions d’ingénierie.
Pour sécuriser le financement, le rapport demande un alignement des calendriers des subventions et une formule forfaitaire avec un barème au m² pour que cela soit plus prévisible pour les collectivités. Le reste à charge ne devrait pas dépasser 10% (au lieu de 20% actuellement).
Pour lutter contre le déficit de connaissances sur la rénovation du bâti scolaire, le rapport demande la création d’un centre de ressources « pour connaître l’état des lieux des bâtiments scolaires avant et après travaux, estimer les économies d’énergie ainsi réalisées et anticiper les travaux qui restent à effectuer pour atteindre les objectifs de réduction des consommations d’énergie« .
L’Education nationale aux abonnés absents
Car le plus frappant dans ce rapport est sans doute le grand flou qui entoure le bâti scolaire. Certes il y a plus de 51 000 écoles, collèges et lycées. Mais près de 10 millions de personnes y vivent quasi quotidiennement et souffrent de la mauvaise qualité de leur construction, notamment pour les bâtiments des années 1960-1980 (la moitié des collèges, plus de la moitié des lycées généraux et technologiques).
Certes il y a bien la cellule bâti scolaire du ministère de l’Education nationale. Mais « ses guides sont peu connus et diffusés » explique N Havet. JM Mizzon a découvert son existence avec cette mission. Et visiblement la Mission ne compte pas que cela s’améliore puisqu’elle propose une nouvelle structure.
Pourtant on a connu une époque où l’Education nationale était un lieu d’information et de suivi des problématiques des locaux scolaires. C’était grâce au travail pointu et obstiné de l’Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement. En septembre 2018, dans le cadre de la loi de « simplification de l’action publique« , le gouvernement supprimait cet Observatoire indépendant et donc parfois dérangeant. Il n’aura pas fallu beaucoup de temps pour constater que le bureau sensé le remplacer faillit à cette mission. Et que cette suppression laisse les acteurs de l’Ecole sans information et sans ressources face à l’urgence climatique.
François Jarraud