Véronique Joret enseigne l’espagnol dans un lycée d’arts appliqués à Paris, ses élèves se destinent à étudier en design d’espace, en design d’intérieur, en mode, aux Beaux-arts. Elle organise depuis plusieurs années un défilé de mode en espagnol, que les élèves plébiscitent désormais à leur arrivée en Seconde. Le projet de défilé de mode en espagnol s’adresse à tous les élèves hispanistes du lycée. « J’aime plonger dans les choses concrètes » dit Véronique, qui s’associe à la démarche de création de ses élèves avec plaisir et enthousiasme. Elle-même affirme ne pas aimer « ce qui est routinier », elle enseigne dans le lycée Vox et dans un hôpital pour enfants.
Comment ce projet de défilé en espagnol est-il né ?
Ce qui m’intéressait, c’était de mobiliser les élèves en langues à partir d’un centre d’intérêt qui soit commun à tous les élèves du lycée de la Seconde à la Terminale. C’était le point de départ pour décloisonner les niveaux. Les élèves n’ont pas l’occasion de travailler sur un projet commun, ce qui m’intéresse, c’est de mobiliser tous les élèves qui apprennent l’espagnol, soit 6 classes, 2 par niveau. Depuis 6 ans, tous les ans, les élèves me relancent sur le projet « défilé ». Ce défilé motive beaucoup les élèves. Une élève m’a dit cette année avoir choisi ce lycée d’arts appliqués pour le défilé. C’est incroyable. Beaucoup de mes élèves partent en mode. En anglais, la LV1, les élèves travaillent avec l’art appliqué, mais pas en LV2. Ce projet permet de les interpeler dans leur spécialité. Quand j’enseignais en collège sur la thématique du vêtement, j’avais déjà pensé à organiser un défilé. Ce lycée et les profils des élèves en arts appliqués permet de réaliser ce projet.
Pourriez-vous présenter la démarche pédagogique et le but de ce projet ?
Le but du défilé est de réfléchir sur un thème choisi par les élèves lors d’une réunion au début de l’année. Je les aide à débattre pour choisir un thème. Puis chacun repart, monte son projet et chaque élève doit le présenter en espagnol devant un public et un jury de professionnels et d’étudiants en mode, souvent des anciens élèves. Chaque membre du jury évalue un aspect différent (langue espagnol, vêtement, projet…) Les élèves conçoivent tout, du dessin, à l’assemblage, et ils présentent leur vêtement. Lors de l’oral, ils exposent leur projet, de la thématique aux vêtements. C’est vraiment une démarche créative faite dans le cadre de leurs études d’arts appliqués. Certains sont parfois en difficulté en espagnol, mais comme ils sont motivés par leur projet et le défilé, ils travaillent énormément pour être capable de faire leur présentation en espagnol. Les participants sont des élèves volontaires, on a commencé à 7, ils étaient une trentaine à s’inscrire cette année et une vingtaine de participants. Sont conviés à cet évènement les élèves qui apprennent l’espagnol, les collègues, la direction. Cette année, j’ai fait des traductions des présentations pour les élèves germanistes qui souhaitaient venir au défilé.
Comment travaillent les élèves ?
C’est un travail individuel et personnel comme c’est le cas pour un projet en arts appliqués, sur un sujet mode et en langue étrangère, ce qui est un vrai défi. Dans une première partie, les élèves expliquent en espagnol pourquoi et quand ils se sont intéressés à la mode au point d’en faire un choix. C’est une petite introduction personnelle. Ils expliquent ensuite leur démarche et projet (idée, matériel) et comment ils passent d’un thème à une réalisation, à un produit fini, et ça c’est de la démarche créative. Ils choisissent une thématique en début d’année (volume, métissage, influence mexicaine par exemple), l’assistant de langue mexicain en était sorti bluffé.
Quels effets a ce projet sur les élèves et entre eux ?
Les élèves sont très contents de participer. Certains ont très peur de prendre la parole, finalement ils se retrouvent devant un jury et un public pour parler en langue étrangère. Et ils relèvent très bien le défi. Ils utilisent tout ce qu’ils ont fait, les photographies, les tissus, ce projet leur sert ensuite pour leur book. Ce ne sont que des aspects très positifs finalement. On découvre aussi nos élèves dans ce projet presque professionnel, ils apprennent à être autonomes et ils sont remarquables. Les élèves sont portés par le projet. Je suis parfois impressionnée par leur aisance à l’oral. Pour expliquer le succès, je pense que c’est parce que les élèves veulent partager ce qu’ils ont créé. Ils font donc l’effort en espagnol, même si c’est parfois difficile. Comme je vais vers eux, vers leur passion, c’est comme s’ils venaient vers moi. C’est très touchant. Pour le jour de défilé, chaque élève peut inviter un membre du public. Cette année, j’ai vu le frère de l’un d’entre eux très fier et ému en assistant à la présentation.
Avec ce projet, les élèves se croisent de la Seconde à la terminale, avec un travail commun. Cela crée du lien entre les élèves et des formations post-bacs puisque certains rejoignent une école ou les Beaux-arts. Ce projet leur permet aussi de rencontrer des professionnels, comme une costumière ou une entreprise de textile, de faire réseau.
Propos recueillis par Djéhanne Gani