« Comment réussit-on à faire écrire avec enthousiasme, et ensemble, des élèves de 3ème SEGPA, des jeunes anciennement déscolarisés d’une 3ème prépa pro des Apprentis d’Auteuil ou encore une classe de 3ème de renforcement d’un collège à recrutement social majoritairement issu de l’immigration récente ? » Mariangela Roselli publie les passionnants résultats d’une recherche menée en 2018-2019 sur 6 ateliers différents d’écriture collaborative : ils ont conduit des adolescent·es de 13-16 ans à rédiger et publier 6 romans. L’approche, plus sociologique que pédagogique ou littéraire, témoigne de l’engagement et de « conversions » des élèves : à l’immobilité, à la concentration, à l’autre, à la lecture, à l’écriture, à l’Ecole.
Le dispositif apparait efficace et « reproductible sous certaines conditions », conclut Mariangela Roselli. Il doit relever d’une pédagogie de projet : période limitée, rythme de travail régulier, objectif précis, modalités de travail claires. Le groupe doit être hétérogène (« il mélange forts et faibles en écriture, petits et grands, filles et garçons ») et n’est pas alors perçu comme stigmatisant. Le travail se veut démocratique : « tous ont voix au chapitre », « tous orientent leurs efforts vers une explicitation verbale maximale ». L’atelier est « un espace suffisamment contraignant pour ne pas laisser échapper les réticents ». L’expérience se fait encapacitante, « par opposition aux situations de disqualification autour de la lenteur dans le rapport au savoir ou d’une écriture pleine de fautes ». L’atelier doit être incarné, en l’occurrence par un enseignant motivé, bienveillant, adaptatif, « volontariste », et par un écrivain extérieur à l’Ecole.
L’écriture scolaire est, on le sait, trop souvent individuelle, codifiée, évaluative, discriminante. La dynamique collective révèle bel et bien ici son intérêt. Et la recherche sociologique livre d’inspirantes conclusions didactiques : à l’inverse de l’ordre habituel des choses, « l’écriture » est « une voie pouvant mener à la lecture » ; « ce qui rend les apprentissages difficiles, ce n’est pas la complexité et l’abstraction des connaissances, mais bien plutôt les voies proposées pour leur appropriation.»
Sans doute existe-t-il des freins systémiques : quel transfert possible du dispositif de l’atelier d’écriture dans l’ordinaire de nos classes qui toutes comprennent bien plus de 14 participant·es (le nombre maximal à envisager selon l’autrice) ? Mais les leviers techniques et pédagogiques viennent aussi faciliter notre tâche au quotidien : par exemple les espaces numériques d’écriture collaborative, les pads, permettent à leur façon d’expérimenter de telles démarches participatives et interactives. L’écriture créative et collective au long cours, telle que pratiquée ici, est sans doute alors transférable. Pour ne pas perdre de vue l’essentiel : « Les plus mal lotis en « français » ne sont pas les plus mauvais en « roman ».
Jean-Michel Le Baut
Mariangela Roselli, Écrire à plusieurs et transformer le rapport à l’écrit, Cépaduès Editions, EAN 9782364939417
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