Karine Boulonne est principale adjointe dans un établissement de l’académie lilloise. Elle est par ailleurs responsable du SNUPDEN-FSU pour Lille. Dans ce billet d’humeur, elle dénonce l’aberration du pacte qui est à mettre en œuvre dans les établissements alors qu’il n’y a toujours aucun texte officiel… Pour la cheffe d’établissement adjointe, le Pacte, c’est aussi et surtout un outil de la discorde.
Mardi 15 juin 2023, toujours aucun texte officiel. Seulement des dotations qui arrivent dans les établissements, accompagnées de discours différents d’une académie à l’autre, parfois même d’un département à l’autre. Et beaucoup de colère !
Colère chez les enseignants et les autres personnels « pactables » – à peu près tout ce qui bouge dans un EPLE, sauf les chefs d’établissement.
Tous réclamaient une revalorisation pour compenser la perte du pouvoir d’achat entamée dans les années 80 et qui devient vertigineuse avec l’inflation actuelle.
A la place, le ministre profite cyniquement du contexte de paupérisation pour proposer des contrats individuels qui reviennent à remettre en cause les statuts – le caractère hebdomadaire des services avait pourtant été réaffirmé par les décrets d’août 2014, le pacte généralise l’annualisation. Mais aussi à augmenter un temps de travail déjà bien lourd, tout en dégradant les conditions de travail. En effet, pour assurer les RCD – remplacements de courte et moyenne durée – et prendre en charge quasiment au pied levé des élèves qu’ils ne connaîtront pas forcément, les emplois du temps des enseignants seront aménagés de sorte de les rendre compatibles avec cette mission.
Pense-t-on réellement au ministère que la mise en place du pacte va rendre attractive la profession de professeur alors que c’est cette attractivité qui est la seule solution au vrai problème du remplacement ? Quand on ne trouve plus personne dans certaines matières pour assurer des remplacements longs et annoncés longtemps à l’avance- congé maternité, départ en retraite, etc., que peut faire un pacte engageant à remplacer 18 h sur l’année ?
Colère chez les personnels investis qui constatent qu’on propose de les rémunérer près de 70 euros pour une heure effectuée au débotté, avec des élèves sans matériel – ils devaient avoir techno, c’est un prof d’anglais qui va les prendre en charge, c’est pas d’chance, et qu’ils n’auront peut-être plus jamais de l’année, sauf exception.
Alors que s’ils effectuent une heure en plus dans une de leurs classes, dans le cadre d’une progression réfléchie sur l’année, prenant en compte les besoins des élèves qui leur sont confiés, ils auront droit en moyenne à environ … 40 euros.
Le pacte revient donc à dénigrer ce qui constitue le cœur du travail des enseignants pour valoriser l’improvisation et même l’impréparation. Quel message va passer auprès des familles et des élèves ?
Colère chez les personnels de direction, grands oubliés des dernières revalorisations – il n’y a qu’à voir les lauréats du concours qui déchantent devant la réalité des salaires des chefs d’établissement, et qui renoncent quand ils se rendent compte qu’ils vont y perdre. Il n’y a qu’à voir les taux de passage à la hors-classe. Il n’y a qu’à voir ….
Une fois de plus, le ministère lâche une idée, l’impose contre l’avis unanime des syndicats, et demande aux chefs d’établissement de la mettre en place dans des délais intenables, puisqu’il faut réunir des conseils d’administration sans décrets ni circulaires d’application, créant des situations de tensions au sein des salles des profs, entre équipes et direction. Et bien sûr, en ayant pris le soin d’annoncer que les personnels de direction bénéficieraient d’une prime de 1000 euros – imposables – pour cela, au cas où il n’y aurait pas assez de tension avec les personnels.
Dernière aberration ministérielle qui devra être gérée par les principaux de collège : supprimer la technologie en 6ème – alors que les élèves aiment cette matière et qu’ils en ont besoin pour apprivoiser le numérique, puis annoncer dans les médias que l’heure ainsi libérée permettra de mettre en place du soutien en français et en mathématiques – en oubliant de préciser que cela se fera en classe complète la plupart du temps ! Sauf que … pour cela, les professeurs devront être volontaires et signer un pacte. Nouveau casse-tête pour les chefs d’établissement : assurer un enseignement obligatoire, sans avoir la garantie d’en avoir les moyens. Et bien sûr, en cas d’échec, ils seront rendus responsables : ben oui, leur management n’est pas assez « agile », sans doute !
La colère est largement présente dans les établissements scolaires. La question est de savoir par quoi elle se traduira à la rentrée : soit par un ras-le-bol généralisé débouchant sur un mouvement de contestation, soit par des renoncements et des évitements individuels – démissions, demandes de dispo, reconversions, découragement, …
Une nouvelle fois, le grand perdant sera le service public. Mais sans doute est-ce le but du gouvernement ?
Karine Boulonne, Principale adjointe
Responsable SNUPDEN-FSU pour Lille