Vendredi 16 juin, Christian Estrosi a adressé à la Première ministre un courrier dans lequel il fait état de prières musulmanes dans des écoles, collèges et lycées de son département. Une information aussitôt relayée par la presse. Le Ministère a lui aussi très rapidement réagi dans une communication conjointe avec le maire de Nice. Le nombre d’élèves, d’écoles et collèges concernés reste flou. Au lycée Estienne d’Orves, cité dans le journal Nice Matin, c’est la colère qui prédomine. L’un des enseignants contacté dénonce une « instrumentalisation honteuse ». Tout comme la grande majorité des syndicats qui se sont exprimés.
Dans plusieurs écoles et un lycée niçois, des élèves ont effectué des prières musulmanes. Dans un collège de Valloris aussi. Un élève d’école primaire a aussi observé une minute de mémoire à la mémoire de Mahomet. Des faits que Christian Estrosi, maire de la sixième ville française, a dénoncé dans un courrier rendu public adressé à Elisabeth Borne.
Quelques heures plus tard, une communication conjointe du ministère et d’Estrosi était envoyée aux rédactions. « Des atteintes très graves au principe de laïcité se sont déroulées dans trois écoles élémentaires de Nice, un collège et un lycée des Alpes-Maritimes. Quelques élèves ont organisé des temps religieux et de prières pendant la pause méridienne » est-il écrit.
Les faits, qui se sont déroulés dans leur grande majorité lors des mois de mars et avril (durant le ramadan), ont immédiatement été pris en charge selon le ministère : réception des familles et séquences pédagogiques avec rappel des principes de la laïcité. Les équipes académiques des valeurs de la République ont aussi immédiatement été mobilisées. « De tels faits sont intolérables dans l’École de la République et doivent faire l’objet d’une réponse ferme, collective et résolue » écrivent le Ministre et le maire. « L’École de la République est un sanctuaire pour tous nos enfants, il est de notre devoir de la protéger de tout entrisme religieux ». La rue de Grenelle annonce qu’une enquête de l’Inspection générale a été diligentée « pour établir précisément les faits et en tirer les conclusions utiles ».
Pas vraiment de soucis dans le lycée pointé du doigt
Au lycée Honoré d’Estienne d’Orves, c’est l’incompréhension. « Nous sommes scandalisés et réagissons vivement à l’article publié sur le site de Nice-Matin, le 16 juin, « « Prières musulmanes » et « minute de silence en mémoire de Mahomet », la Ville alerte le gouvernement » et repris par une presse et des journaux télévisés en mal de sensationnalisme : c’est de manière totalement injustifiée que le lycée Honoré d’Estienne d’Orves se trouve ainsi jeté en pâture » écrivent-ils. « Personnels enseignants et non-enseignants, nous nous efforçons, tous, de favoriser le vivre ensemble et les valeurs de la laïcité dans notre établissement. Aussi soutenons-nous l’action de notre direction en ce sens et la façon dont elle est intervenue dans le respect de la laïcité et de la procédure, de l’âge de ces élèves qui sont des adolescents et de leur parcours scolaire ». « On a eu trois cas en tout » nous raconte François Giovanazzi, enseignant de l’établissement et responsable au SNES-FSU. « Pendant le ramadan, un élève – très bon au demeurant – a été pris en train de faire la prière dans une salle. Une autre fois, un groupe de trois a été aperçu mais nous ne les avons pas pris sur le fait et une dernière fois, une jeune a fait la prière dans une rue proche du lycée ». Dans les trois situations, les élèves ont été reçus et tout a été signalé à la DASEN et réglé « en faisant preuve de pédagogie – d’ailleurs la direction a très bien réagi, avec fermeté et bienveillance. Les rares fois où les parents ont été reçus par la direction, ils ont passé un savon à leur enfant. On est loin d’un entrisme islamique dans notre lycée comme le laisse entendre Estrosi ». François et ses collègues s’interrogent « sur les motivations qui ont poussé les services de l’administration de l’Éducation Nationale à mêler le nom de notre lycée à ce type d’information. Cela nuit gravement au service public d’éducation et stigmatise sans raison notre lycée, ainsi instrumentalisé par des politiques sans vergogne ». « Les professeurs du Lycée auraient au contraire grand besoin d’être soutenus à un moment où la réforme Blanquer du baccalauréat et du lycée a profondément désorganisé les établissements et compliqué l’accomplissement de leurs missions » ajoutent-ils.
Travailler sur la laïcité mérite mieux qu’une heure d’EMC dans l’urgence
Le SNUipp-FSU a aussi très rapidement réagi à la polémique. « Il y a un mois pour une école et la semaine dernière pour les deux autres écoles, des enfants se sont regroupés sur le temps de cantine pour prier en mémoire du prophète Mahomet ou respecter une minute de silence. Ces temps religieux menés par des enfants de CM1, CM2 ou 6ème au sein des établissements scolaires sont tout à fait inacceptables. Et ce quelle que serait la religion concernée. Nous ne transigeons pas avec les principes de laïcité. La laïcité est un principe de liberté, liberté de croire ou de ne pas croire. Elle est au fondement de notre société et de notre école qui doit préserver les élèves de tout prosélytisme idéologique, économique et religieux. L’école est le lieu par excellence qui permet la transmission de ces principes » écrit le syndicat.
« On est au clair, on sait qu’il y a un problème, on ne veut pas mettre cela sous le tapis » précise au Café pédagogique Gilles Jean, responsable local du SNUipp-FSU. L’élu s’étonne tout de même de la temporalité de la communication de l’élu Horizons. « Les faits ont eu lieu lors du ramadan, ça date un peu. Les agents communaux – comme c’était sur la pause méridienne – avaient immédiatement alerté la mairie ».
Pour le SE-Unsa, « il est devenu indiscutable de devoir agir pour permettre le rappel de la loi, le dialogue entre tous les acteurs et le soutien aux équipes ». Mais le Syndicat dénonce la demande faite aux enseignants d’effectuer « un travail en lien avec l’EMC sur la laïcité et les valeurs de la République dans les classes des écoles concernées » dans l’urgence, comme pour le harcèlement. « La compréhension et l’application du principe de laïcité par les élèves, comme pour les personnels, nécessite bien mieux qu’un pansement face à des faits graves qui mériteraient bien davantage en matière d’engagement des décisionnaires » ajoute-t-il.
Constat partagé par le SNUipp-FSU qui « rappelle aussi la nécessité d’un accompagnement et d’une formation initiale et continue de qualité, sur le temps de service, pour soutenir les équipes et appréhender la laïcité sous tous ses aspects : son cadre historique et juridique ainsi que sa dimension d’ouverture et de tolérance. Il s’agit bien de mieux la faire vivre dans les écoles. Faire de la laïcité un objet enseigné vivant pour faire société, loin des enjeux politiciens et d’éventuelles instrumentalisations ».
« Tous les enfants ont le droit à la liberté de conscience qui doit être développée à l’École » ajoute le SE Unsa. « Les équipes enseignantes et éducatives sont vigilantes pour que ce droit soit respecté. Elles sont les plus à même d’identifier quand un enfant est empêché de penser librement ». Le syndicat fait aussi le lien avec une enquête récente de l’Ifop pour le Cnal qui montre que le principe de laïcité « n’est pas suffisamment clarifié pour les personnels ». « Il n’est pas toujours encore correctement défini alors qu’ils doivent l’enseigner, l’expliciter et surtout le faire vivre » écrit le syndicat.
5 établissements et 13 élèves sur l’ensemble de l’académie
« De quoi parle-t-on dans l’état actuel de nos connaissances ? » interroge la CGT Éducation. « De prières ou de minutes de silence à caractère religieux de la part d’une quinzaine d’enfants dans trois écoles primaires, et du port d’une abaya dans un collège et un lycée de Nice et de Vallauris, dont peu de monde avait entendu parler jusqu’à présent.». Le syndicat dénonce ainsi la communication du maire et de son premier adjoint qui parlent de « dérive de la société », de « séparatisme en marche » et « d’en appeler à une grande campagne de sensibilisation au phénomène de radicalisation ». « Rien d’étonnant cependant de la part de Christian Estrosi qui n’en est pas à son coup d’essai, lui qui parle régulièrement de cinquième colonne islamiste » complète le syndicat. « Réagir aussi promptement à partir de faits qui, semble-t-il, se seraient étalés de mai à juin et qui concernent cinq établissements scolaires sur l’ensemble de tous ceux que comptent les Alpes-Maritimes pour en faire une affaire nationale, c’est attiser les peurs et développer les raccourcis. C’est exposer les enfants, leurs parents et l’ensemble des communautés éducatives de ces établissements à un battage médiatique délétère qui les met en danger dans un contexte où les affaires de ce type sont régulièrement montées en épingle ».
« Début 2023, à Nice, trois élèves d’une école et dix d’une autre auraient prié dans leur établissement, un autre élève aurait fait une minute de silence à teneur religieuse dans son école » écrit de son côté Sud Éducation. « Treize enfants contrevenant à la laïcité, dans trois établissements sur les 1317 établissements publics de l’académie, les 185 établissements de la ville de Nice, les 150 écoles du premier degré de la ville. Mais ce sont des prières musulmanes que treize élèves ont faites, une minute de silence en hommage à Mahomet qu’un (1) élève a faite, et pour le maire de Nice, cela justifie de parler d’obscurantisme religieux, et même de dire « c’est le séparatisme religieux qui est en marche » s’agace Guillaume DELAVAUD, cosecrétaire de SUD éducation 06. « C’est audacieux, et malhonnête, de la part de l’élu qui a défendu l’installation de crèches dans les mairies. Du côté de l’Éducation Nationale, les choses n’avaient pas pris de mesure disproportionnée : un seul de ces cas avait fait l’objet d’un signalement en préfecture, les directions d’école avaient signalé les situations à la rectrice, un rappel du cadre laïc de l’école avait été organisé. Et il a été estimé qu’il s’agissait de cas isolés, contrairement à ce que sous-entend M. Estrosi ». Pour le syndicat, le Ministre « continue le durcissement de la notion de laïcité à l’école amorcé par Blanquer ».
La laïcité, une question indissociable de la mixité sociale
Les syndicats font aussi le lien avec la ségrégation à l’œuvre dans les écoles niçoises. « La question de la laïcité est indissociable de celles de l’égalité des droits et de la justice sociale » écrit le SNUipp-FSU qui « renouvelle sa revendication d’un investissement majeur dans les services publics pour promouvoir et affermir les valeurs et le fonctionnement d’une république laïque et sociale ». « Quid de la mixité sociale dans les écoles concernées ? Quid de la communication entre les services de la mairie et les équipes enseignantes ? Quid de cette stigmatisation du maire face aux enfants des familles parties faire le Djihad en Syrie ? » interroge le SE-Unsa.
« À l’heure des effets d’annonces improvisés pour l’organisation d’une « heure de sensibilisation » au harcèlement scolaire et en pleine affaire des « Fonds Marianne » », la CGT Éduc’Action 06 condamne « cette séquence médiatique ». « Les personnels de l’Éducation Nationale ont le savoir-faire pour organiser les remédiations nécessaires autour de la question de la laïcité auprès des enfants pour éviter le développement de ce type de comportement. Encore faut-il leur en donner les moyens. Encore faut-il pouvoir le faire dans un climat serein, loin des instrumentalisations politiciennes et des obsessions xénophobes ».
« Au final, c’est l’extrême-droite et l’islamophobie qui profitent de cette lettre ouverte et de ce communiqué, s’en saisissant pour justifier leur racisme et leur xénophobie au grand jour » ajoute Sud Éducation. Pour le syndicat, il s’agit d’une « instrumentalisation de la part de Christian Estrosi, pour qui la laïcité n’existe que lorsqu’elle permet de s’en prendre à l’islam, la prise de position du ministre Pap Ndiaye qui reprend ses éléments de langage au mépris de la réalité, et l’écho donné aux postures de l’extrême droite raciste et xénophobe, ennemie de l’éducation ».
Lilia Ben Hamouda