Coéduquer, c’est se dire « qu’il faut toute une collectivité pour élever un enfant » explique Catherine Hurtig Delattre. Dans « Coéducation. Des clés pour une responsabilité partagée » – paru aux éditions Canopé en partenariat avec l’Ifé – que la spécialiste de la relation école-famille dirige, elle outille enseignants et enseignantes.
Qu’est-ce que la coéducation ?
Dès1928, le dictionnaire Larousse définit la coéducation comme « donner ou recevoir une éducation en commun ». Cette définition peut être comprise de manière plus ou moins large. Pour la chercheuse Sylvie Rayna, il s’agit d’une mutualisation entre les éducateurs premiers que sont les parents et les autres éducateurs qui interviennent simultanément et successivement dans l’éducation d’un enfant. Pour le chercheur Pierre Périer, il s’agit d’une action concertée et réciproque entre les acteurs, concernant l’éducation et les apprentissages, au bénéfice de l’enfant.
Pour l’expert Frédéric Jesu, la coéducation est un processus qui invite les multiples acteurs -y compris les pairs – à mettre en commun les ressources et les méthodes qui contribuent à l’éducation. En bref, on peut se dire « qu’il faut toute une collectivité pour élever un enfant » et que chacun a sa part.
C’est assez nouveau la coéducation, quel intérêt ?
L’école française s’est construite « contre » les parents, ou sans eux, afin d’inculquer aux élèves les valeurs de la République et le rationalisme des connaissances. Aujourd’hui la vision de l’éducation a changé, et un consensus social existe autour de l’idée qu’il est bénéfique pour les enfants-élèves comme pour les adultes des différentes sphères éducatives de se connaitre, se reconnaitre et construire une confiance mutuelle. C’est le principe de l’école inclusive, qui prend en compte les besoins et les réalités de chacun dans son contexte global de vie.
Il est vrai que cette démarche a un prix, car elle propose de développer de la porosité entre les sphères, ce qui demande d’en définir également les frontières, car il ne s’agit pas de confondre les rôles de chacun ni de chercher à avancer avec un modèle unique .
Mais les professeurs sont-ils formés à cela?
La coéducation comme vecteur de la réussite scolaire est formulée dans le BO d’octobre 2013 « coopérer avec les parents dans les territoires ». Il s’agit donc d’une part du métier et non pas d’une posture optionnelle ou relevant du volontariat. Dans cette démarche, les enseignants sont invités à expliciter le système scolaire souvent opaque pour les familles et à coopérer avec elles pour accompagner au mieux chaque élève. Cela demande de laisser de côté les postures surplombantes pour construire une « parité d’estime » dans laquelle chacun peut reconnaitre l’expertise de l’autre. Un dialogue peut alors s’installer dans le respect de la liberté de chacun -liberté éducative du parent, liberté pédagogique de l’enseignant- sans que ni l’un ni l’autre ne cherche imposer de modèle. Sur le terrain, on voit que c’est difficile et compliqué, puisque cela demande à gérer les différences voire les divergences, mais que cela est également très enrichissant et contribue à une meilleure efficacité professionnelle.
Pour les enseignants, cette coopération inscrite au référentiel de compétences relève donc de gestes professionnels à construire dans les actions avec les parents d’élèves. On va retrouver les gestes d’anticipation, d’organisation, de différenciation et de remédiation, comme en classe. Cela demande en effet de la formation, et les modules sur ces sujets existent malheureusement trop peu en formation initiale. Des initiatives se développent de plus en plus en formation continue et en formation de formateurs, et les recherches en sciences de l’éducation sur le sujet sont nombreuses. Les besoins sont importants du côté des professionnels, d’où l’idée de l’ouvrage paru aux éditions Canope en partenariat avec l’IFé.
Savoir accueillir, est-ce déjà le début du processus de coéducation?
Oui , tout à fait. Le moment de l’accueil est très important symboliquement, que ce soit lors de la première inscription dans l’établissement ou au quotidien, ou encore lors d’un rendez-vous, d’une réunion ou même au téléphone. Ce qui se joue dans ces moments-là dit « vous êtes le bienvenu », « vous avez votre place ici » – ou pas… C’est aussi le moment où se disent les règles et les limites des possibilités d’expression « nous reparlerons de cela à tel moment », « si vous n’avez pas compris, n’hésitez pas à demander… »
Des pistes sur ce qui fonctionne?
L’ouvrage présente plus d’une vingtaine de dispositifs expérimentés sur le terrain, à l’échelle d’une classe, d’un établissement ou d’un territoire, de la maternelle au lycée.
Lors de la présentation à la librairie de l’éducation, trois dispositifs ont été décrits. Un « projet de lecteur » dans une classe de CP, permettant aux parents d’accompagner leur enfant dans ce moment crucial de l’apprentissage de la lecture. Un « café des parents » dans un collège de REP, conçu comme un espace de parole régulier permettant de mieux se connaitre sans chercher à donner des « leçons d’éducation ». Des « ateliers de proximité » démarche de consultation des parents et des professionnels en vue de rédiger un Projet Educatif Global dans une collectivité.
On trouve également d’autres démarches concernant la prise en compte des cultures et des langues des familles, ou facilitant l’implication des parents dans le suivi de l’élève, dans les étapes de l’orientation ou dans les instances proposées par les établissements.
Vous évoquez la coéducation à l’échelle des territoires, coéduquer ce n’est pas seulement les parents et l’école finalement ?Tout à fait. Déjà à l’intérieur de l’école, les enseignants ont tendance à restreindre le dialogue avec les parents à un « face à face » alors qu’il y a de nombreux autres professionnels impliqués. Et cela à chaque niveau : depuis les ATSEM à la maternelle jusqu’aux équipes de vie scolaire au collège et au lycée, mais aussi les personnels périscolaires, médico-sociaux et d’accompagnement de l’inclusion tout au long de la scolarité. Et à l’extérieur de l’école, la coéducation concerne les professionnels de la santé, du loisir, du sport, de la culture… Il ne s’agit pas d’être focalisé sur des démarches de concertation permanente qui seraient trop lourdes, mais de penser les démarches éducatives comme complémentaires, en considérant chaque interlocuteur comme « valable ». Je citerai à ce sujet deux démarches associatives remarquables qui sont décrites dans l’ouvrage : la démarche de « croisement des savoirs et des pratiques » proposée par ATD Quart Monde, et la démarche du « « socio-génogramme » proposée par l’association Ecole et Famille. Les collectivités territoriales peuvent aussi être force de proposition, comme on le voit avec la cité éducative d’Echirolles qui a développé des « vacances apprenantes en famille ».
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda