Outre l’impact sur le système scolaire – annualisation, casse du statut, contractualisation…, le pacte bouleverse l’organisation de l’École et attise les tensions dans les salles de professeurs. Le Café pédagogique donne la parole aux enseignants et enseignantes qui expliquent leur désarroi. Tous et toutes le refusent en théorie et reconnaissent qu’il n’est pas la solution à leur besoin de revalorisation, mais certains disent ne pas avoir le choix, « ils signeront ». Ils et elles témoignent anonymement.
Gaëlle, Emy et Christian enseignent dans une école maternelle de Seine-Saint-Denis. Il y a quelques semaines, la directrice de leur école les informait de la dotation Pacte qui leur était attribuée. « Onze pactes. C’est affligeant, nous sommes treize enseignants et enseignantes. Où est la promesse des 3 750 euros par an ? » s’emporte Gaëlle. Emy et Christian ne signeront pas. Ils l’ont décidé et en ont informé le reste de l’équipe. Sur les treize enseignants, ce sont les seuls à s’être positionnés clairement contre. Six ne savent pas vraiment, deux ont fait savoir qu’ils signeraient, « car ils ont besoin d’argent » et trois postes ne sont pas encore pourvus à la prochaine rentrée. « C’était tendu en salle des maîtres. C’est même encore un peu tendu, je dois l’admettre » reconnaît Gaelle. « Je comprends les positions de mes collègues. Sur le fond, je suis tout à fait d’accord. Mais concrètement, on fait comment ? On sait que ce gouvernement ne plie pas. Jamais. Je suis à découvert dès le 20 du mois – dans le meilleur des cas. J’ai besoin de pouvoir gagner plus. C’est pas l’idéal mais je n’ai pas le choix » se justifie-t-elle. Christian et Emy se défendent de juger leurs collègues ayant accepté d’être « empactés » même s’il le déplore. « C’est un très mauvais calcul. Ils pensent à court terme. Si on refuse tous, cet argent serait redéployé pour une revalorisation digne de ce nom de tous les enseignants ». « Et puis, on nous prend vraiment pour des idiots. Le Ministre et le Président déclarent à tout va que les enseignants pourront gagner jusque 3 750 euros par an en plus. C’est un mensonge. Il n’y a pas assez de pactes pour que chacun en signe trois… » ajoute Emy.
Des professeurs et des sous-professeurs
Leila, directrice d’une école lilloise ne décolère pas. Ne pas permettre aux enseignants de maternelle d’intervenir en collège attise sa colère. « Notre Ministre considère-t-il que nous sommes les sous-enseignants du système éducatif français, incapables d’intervenir au collège ? C’est méprisant ! J’aimerais bien l’inviter ne serait-ce qu’une journée à la rentrée de septembre dans ma classe pour qu’il comprenne toutes les compétences professionnelles qu’il faut maîtriser pour construire le groupe classe qui permettra aux enfants d’entrer dans le devenir élève et dans les apprentissages. Pour enfoncer le clou, la rémunération des heures du Pacte n’est pas la même si on intervient en élémentaire ou au collège. Donc les enseignants de maternelle seraient moins bien rémunérés que les autres enseignants. En gros, cela signifie que nous ne sommes pas compétents et donc nous ne méritons pas d’être rémunérées comme nos collègues». Pour la directrice qui cumule pas mal d’années d’ancienneté, et donc d’expertise, les dispositifs qui ne répondent pas aux besoins des élèves, « ça ne marche pas ». « Il est nécessaire de repenser l’École et non pas de mettre des sparadraps là où ça fait mal. Le ministère ne répond ni au besoin de revalorisation des enseignants ni aux difficultés scolaires de nos élèves ».
Conflits en salle des professeurs
Dans cette autre école, ici en région parisienne, Marie témoigne. « Je suis partagée sur la question du pacte, car ce n’est pas du travail en plus que nous souhaitons, mais être revalorisé pour tout le travail qu’on a déjà ! ». L’enseignante reconnait qu’elle signera tout de même pour une mission de soutien scolaire tous les mardis pour un total de 18 heures. Une décision qui génère la colère de certains de ses collègues. « Je me rends compte déjà que ça va poser problème au niveau de l’équipe, car c’était un temps pendant lequel nous avions l’habitude de corriger, préparer nos cours, faire des conseils de maître, ou des conseils de cycle, voir même des formations. On a donc eu notre premier conflit en salle des maîtres cette semaine, entre les enseignants qui refusent le pacte, et ceux qui ont accepté la mission au collège. La directrice a tranché, et certains conseils l’année prochaine devront être organisé le mercredi après-midi au lieu du mardi, ce qui n’arrange aucun d’entre nous, surtout ceux qui habitent loin ou qui ont des enfants. Et moi ça me rajoute une heure de travail que je vais devoir préparer, tout ça au détriment de mes propres élèves car j’aurais clairement moins de temps pour préparer ma classe ».
Dans ce collège d’Eure-et-Loir, rien n’est encore décidé. « Lorsque les collègues ont réalisé que les moyens correspondant à des missions qui pourraient être pédagogiquement intéressantes risquaient de n’être attribués que si les enseignants acceptaient de signer le fait d’avoir à remplacer, du jour au lendemain, leurs collègues absents, ils sont restés incrédules face ce qui est apparu comme un chantage méprisant » raconte Léon. « Si quelques-uns se laisseront tentés, c’est uniquement par l’aspect financier. On ne peut pas leur reprocher ». Pour l’équipe de ce collège de 400 élèves, « il est scandaleux d’étouffer financièrement des enseignants pour les contraindre à accepter des missions qui n’ont aucun sens. Tous s’accordent à dire que d’avoir à effectuer quelques heures de plus risque d’avoir un impact sur la qualité du service ordinaire ».
Insécabilité des missions : une méconnaissance du LP
En Lycée professionnel (LP), où les missions sont indissociables, la colère gronde. « Lors du conseil d’enseignement de lettre histoire, le proviseur a déployé beaucoup d’arguments en se montrant fier d’avoir obtenu douze pactes à distribuer » nous confie Jeanne. « À ma connaissance, un seul collègue est intéressé car il craint que les missions qu’il effectue pour lutter contre le décrochage ne soient plus rémunérées. Mais depuis qu’il a compris qu’elles seront payées IMP cette année, il n’est plus certain d’accepter le pacte. Pour ma part, je ne vais pas accélérer le sciage de la branche sur laquelle nous sommes posés ! ». Dans les Lycées Professionnels, le pacte, c’est 90 heures de face à face élève, soit plus de cinq semaines de cours. « L’insécabilité est une méconnaissance de la voie professionnelle et surtout un signe de mépris pour les équipes » estime Jeanne.
Dans certains collèges et lycées, les enseignants se sont collectivement positionnés contre le pacte. À l’image de la cité scolaire Voltaire à Paris ou du collège prisien Gambetta. Les enseignants ont décidé de signer une motion expliquant les raisons de leur refus. « Le pacte, en méprisant la valeur de nos enseignements, détériore encore un peu plus le service public d’éducation. Les élèves, leurs familles et les personnels en pâtiront grandement. C’est pourquoi nous refusons de le signer et demandons le redéploiement des moyens qui lui sont alloués pour une véritable hausse des salaires sans contrepartie » expliquent-ils.
Quelles que soient les positions individuelles, et parfois collectives, on voit bien que le pacte met à mal les collectifs d’enseignants. La cerise sur le gâteau pour le gouvernement ?
Lilia Ben Hamouda