Oral du brevet, oral de français au bac, grand oral de terminale : pour préparer au mieux ces épreuves finales, comment travailler tout au long de la scolarité les compétences en la matière ? Peut-on même conduire les élèves à mener une réflexion sur leurs expériences en la partageant avec les générations suivantes ? Professeure de français au collège Henry Bordeaux à Cognin, Stéphanie Lokoli a invité ses 3èmes de l’année 2022 à écrire une lettre aux futurs 3èmes en portant témoignage sur l’oral du Diplôme National du Brevet. « Amener les élèves à transmettre d’une génération à l’autre, d’un niveau à un autre, favoriser le cheminement réflexif des élèves en matière de compétences orales, c’est le défi du dispositif inspirant : Missive DNB ».
Comment en arrive-t-on à avoir cette idée de « Missive DNB » ?
En discutant avec mes collègues, nous avons bien souvent constaté que les élèves de troisième sont parfois très anxieux à l’idée de passer leur première épreuve certificative à l’oral ou, au contraire, prennent cela avec une trop grande légèreté. Aussi, il m’a paru nécessaire de mettre en place des dispositifs qui puissent permettre de libérer la parole de l’élève tout en diminuant l’anxiété face à l’examen et de les amener vers une conscientisation des compétences orales.
Quand est né ce projet ?
Le dispositif « Missive DNB » a vu le jour l’an dernier, en juin 2022 suite au passage de l’oral du DNB de mes anciens troisièmes. Toutefois, le projet « Dans quelle mesure le numérique permet-il un cheminement réflexif sur la pratique de l’oral dans le cadre du DNB ? » s’inscrit dans les Heures Numériques de la Drane de Grenoble. Il a été effectif dès le mois de septembre 2022 et a pris fin en avril 2023.
Quels sont les objectifs ?
Les objectifs sont pluriels. D’une part, il s’agit d’ouvrir la possibilité d’un cheminement réflexif par rapport à l’oral du DNB grâce à une pratique régulière du numérique. D’autre part, il convient de tenter de fixer dans la durée les apprentissages et les expériences par la transmission, le témoignage d’une cohorte à une autre, d’une classe à une autre. Enfin, développer les compétences orales des élèves, libérer leur parole tout en réduisant l’inquiétude face à un examen grâce à la création d’un carnet de bord numérique et par l’évaluation de capsules audios temporelles.
Comment avez-vous lancé le projet ?
Une première étape – de septembre à octobre- a consisté à construire un journal de bord numérique dédié à la pratique de l’oral. Au delà d’un simple ressenti, ce journal de bord numérique s’inscrivait dans une démarche bien précise : identifier les objets d’enseignement de l’oral, que ce soit la conscientisation du corps, de la voix, du regard et des gestes dans la prise de parole ou encore le fait de faire preuve d’une relative liberté dans sa prise de parole par rapport à ses notes de préparation.
Au préalable, les collégiens de 3ème se sont auto-positionnés sur « l’oral comme objet d’apprentissage ». En effet, quelle représentation chaque élève peut-il avoir de la pratique de l’oral ? Qu’est-ce que l’oral , pour lui, en définitive ? Cibler les difficultés d’apprentissage liées au champ de l’oralité dès le début de l’année permettait d’une part, pour l’enseignant, d’effectuer une évaluation diagnostique. D’autre part, cette mise en place d’un carnet de bord numérique , associée à un fil de discussion asynchrone avec le professeur, était aussi un outil pour la montée en compétences des élèves au fil de l’année.
Et par la suite, comment s’est mis en place ce « cheminement réflexif » ?
La deuxième étape de ce projet a consisté, de novembre à décembre 2022, à prendre en main l’outil numérique BDNF afin de construire une BD numérique relatant son propre passage à l’oral de stage. Dès lors , le dispositif « BD Time » a vu le jour. Il s’agissait d’organiser un temps réflexif à partir de l’oral de stage qui avait eu lieu le 16 novembre 2022. L’outil numérique permettait donc d’articuler à la fois les compétences d’écriture -par la mise en place d’un récit d’expérience – , informatiques (passage du story board à la production finale) et orales puisque c’était la matière même de leur récit d’expérience.
Un bilan intermédiaire a été nécessaire pour faire un point précis sur l’évolution de la pratique de l’oral des élèves, en particulier dans l’optique du DNB. Aussi, ils se sont emparés de l’application « Digiwords » de la Digitale et, ils ont pu, en deux mots, définir leur représentation de l’oral.
Qu’avez-vous décidé de mettre en place suite à ce bilan intermédiaire ?
Le dernier duo de mots qu’ils ont associé à l’oral, à savoir « Peur/ Juger », a servi d’élément déclencheur à la mise en place d’ateliers de remédiation. Ainsi, durant la quatrième étape – de janvier à février 2023- les élèves se sont installés dans une posture d’auditeur puis d’évaluateur. Il convenait en effet de pouvoir diminuer l’anxiété persistante face à l’examen du DNB en faisant écouter des témoignages audios d’anciens élèves de troisième sur leur pratique de l’oral. Ce travail a été organisé en demi-groupe. Le premier groupe (A) a tout d’abord pris connaissance des audios des anciens élèves de troisième avant de co-construire, par binôme -ou trinôme- une grille d’écoute avec des indicateurs bien précis pour définir comment doit s’organiser une prise de parole, et a posteriori, celle dans le cadre de l’oral du DNB. Cette grille permettait donc d’évaluer les compétences orales. C’est dans cette dynamique collaborative que l’autre groupe d’élèves (B) a pu s’exercer à évaluer des capsules temporelles d’anciens élèves de 3ème portant témoignage sur l’oral du DNB, à partir des grilles d’écoute élaborées par les élèves du groupe (A).
Qu’en est-il du dispositif de départ « Missive DNB » ?
De mars à avril 2023, les 3èmes ont pu expérimenter le dispositif « Missive DNB ». En juin 2022, j’avais en effet pu initier mes élèves de 3ème à écrire une lettre aux futurs 3èmes du collège – donc ceux de l’année 2023- en portant témoignage sur l’oral du Diplôme National du Brevet. La missive était ensuite lue à voix haute et enregistrée, ce qui a permis du reste l’évaluation de certains audios dans la période précédente. Ce dispositif ouvre pour chacun.e la possibilité d’un cheminement réflexif tout en fixant dans la durée les apprentissages et les expériences. Les élèves de 3ème de l’année 2023 ont donc « pioché » une missive écrite en 2022 par un.e élève de 3ème et ont répondu individuellement. Il y avait 29 lettres au total et autant d’enregistrements audios. Comme la classe comptait 27 élèves, j’en ai gardé deux en support à la fois pour la phase introductive de ce dispositif « Missive DNB » mais aussi pour les activités de remédiation qui ont eu lieu à l’étape précédente.
Une liaison collège/ lycée a donc vu le jour puisque chaque lettre écrite par les 3èmes de 2023 a été tout d’abord stockée dans un espace de travail sur l’ENT puis envoyée par l’enseignante par courrier postal.
Sur chaque enveloppe, en effet, se trouvait l’adresse de l’élève de 3ème (année 2022), écrite de sa main. Une enveloppe réponse timbrée à l’adresse de l’établissement était alors jointe à l’envoi.
Une autre liaison, cette fois-ci 3ème/4ème, a vu le jour : pouvez-vous nous en dire plus ?
Dans le prolongement de cet état d’esprit collaboratif, j’ai conçu le dispositif suivant : « Dé-click stage », s’inscrivant notamment dans le parcours Avenir de l’élève. Celui-ci consistait à aborder l’oral de stage en 4ème par le biais d’une correspondance numérique avec les actuels élèves de 3ème. Ces derniers témoignaient de leur expérience vécue sur le stage d’observation : de l’écriture de la lettre de motivation en passant par le lieu de stage jusqu’à leur oral. Plusieurs objectifs étaient donc visés à la fois « coté 3ème » et « coté 4ème » : autour de l’écriture d’invention (en 3ème : rédiger une lettre à partir d’une expérience d’élève : recherche et oral de stage – en 4ème : répondre à une lettre-conseil des 3èmes de façon collaborative à l’aide de l’outil Digidoc), autour de la mobilisation des outils numériques (pour échanger, stocker, mutualiser des informations), autour de la coopération (en 4ème : Avoir un « déclic », diminuer l’anxiété face à la recherche d’un stage et le passage à l’oral en échangeant avec des élèves d’un autre niveau de classe).
Quel bilan les élèves tirent-ils de ce projet et de tous ces dispositifs mis en place ?
D’une manière générale, c’est un bilan positif pour les élèves. Leur oral approche et si tout ce travail n’avait pas été mis en place, le stress et l’anxiété qui peuvent paralyser une prise de parole auraient été peut-être bien plus grands.
Et vous, en tant qu’enseignante ?
En tant qu’enseignante, j’ai beaucoup appris. Ce que je veux dire par là, c’est que les élèves ont été surprenants. Ils se sont montrés tellement authentiques, sincères dans leurs écrits. C’était vraiment touchant, surtout lorsqu’ils ont reçu des réponses à leur lettre. Certains me regardaient avec des grands yeux en me disant « Mais non madame ! Genre ils nous ont répondu ? ». J’ai aimé cette posture d’accompagnement autant que celle d’observatrice durant tout ce projet.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Stéphanie Lokoli dans Le Café pédagogique