Comment en arrive-t-on à perdre l’envie de transmettre aux élèves ? Quels enchaînements de difficultés, d’obstacles, de contraintes, d’injonctions paradoxales conduisent-ils à ébranler l’engagement de toute une vie ? Quel mal-être, quelle souffrance intime amènent-ils à remettre en cause une vocation, voire à quitter le métier ? Dans « L’Ecole est finie », la documentariste Julie Chauvin, prend le temps de regarder et d’écouter des enseignants du primaire, Lucie, Manon, Laurence, Anthony et Emily, dire à voix nue la dureté de la profession qu’ils ont choisie et aimée. La traversée douloureuse d’une crise existentielle, se prolongeant largement au-delà d’expériences individuelles criantes de vérité. Un document TV rare.
Parcours singuliers, constats partagés
Cinq professeurs des écoles-quatre femmes, pour certaines directrices, et un homme, se différenciant par l’ancienneté dans la profession et le lieu d’exercice-nous racontent, face caméra, leur métier, de l’enthousiasme des débuts au ‘burn out’ et à la rupture, ou a reconversion toujours au service d’enfants. Des témoignages bouleversants de sincérité et de franchise, une parole libre sur les joies, les doutes et la souffrance de ne plus pouvoir exercer ce métier.
Au centre des diverses expériences de professeurs ici recueillies, la passion de l’enseignement et l’intérêt, jamais démenti, pour tous les enfants qui leur sont confiés et le souci constant de leur assurer le meilleur sur le chemin de l’apprentissage et de l’émancipation.
Filmée dans leur intime solitude, avec sensibilité et intelligence, fruit d’une écoute attentionnée, préparée de longue date, éclairée par une mise en scène sobre et poétique, Julie Chauvin réussit la prouesse d’ouvrir les cœurs et les esprits. Et la réalisatrice nous offre une ‘radiographie’ intime’ et subversive de la profession enseignante et de la profondeur de sa crise et, au-delà, une réflexion vivante et sans tabou sur le dépérissement des missions essentielles de l’Ecole de la République.
Des enseignants d’aujourd’hui, dédiés à leur métier, formulent avec franchise et émotion des vérités dérangeantes. Et, en tant que spectateurs et citoyens, nous avons l’impression de les voir surgir en pleine lumière, pour la première fois incarnées. Nous comprenons l’implication et la fatigue des enseignants, toujours à l’écoute des élèves (et de leurs familles ou tuteurs), des élèves avec qui ils sont plus longtemps chaque jour qu’avec les proches, endossent aussi les rôles de psychologues, d’éducateurs ou d’assistants sociaux. Nous saisissons alors les dysfonctionnements systémiques de l’institution, l’écart grandissant entre les injonctions de cette dernière, les politiques successivement menées et la pratique des enseignants, leur immense exigence au diapason de leur vocation première, les efforts surhumains déployés auprès de tous les élèves et la souffrance de ne pouvoir toujours ‘tenir’ jusqu’au bout leur engagement et la promesse de l’école publique.
Tabou mis au jour, entre souffrance intime et foi en l’Ecole publique
Loin des approches théoriques, « L’Ecole est finie » de Julie Chauvin, observatrice subtile et adepte de la création en immersion auprès de collégiens (« Les Débatteurs » et bientôt « Là où tout se joue »), révèle au grand jour ce qui reste, la plupart du temps, un ‘tabou’ pour la hiérarchie, l’administration et la société, la souffrance des enseignants. A l’heure des castings de recrutement académique et du manque de candidats aux concours, les professeurs qui s’expriment ici, en dépit de la dureté de leur parcours respectif, revendiquent leur passion du métier et disent encore, combattifs ou épuisés, leur conviction. Une foi en l’Ecole revendiquée par Manon (12 ans d’ancienneté et qui ‘tient bon’), Anthony et Emilie (9 ans et 22 ans d’ancienneté, tous deux reconvertis vers d’autres emplois au service des enfants), Laurence, retraitée à la rentrée prochaine, et Lucie (démissionnaire du métier de ses rêves). Et l’affirmation partagée de la nécessité impérieuse d’un ‘Education nationale ‘au sein de laquelle s’écrit notre avenir commun’, selon les mots de la réalisatrice de ce documentaire exceptionnel.
Samra Bonvoisin
« L’Ecole est finie », documentaire de Julie Chauvin
Diffusion sur PUBLIC SENAT le samedi 10 juin à 21 suivie d’un débat en plateau
Après une programmation le 6 octobre 2022 sur France 3 Normandie, de nombreuses projections-débats organisées par des associations de parents et d’enseignants, des cinémas dans plusieurs villes de France et une projection à l’Assemblée nationale avec la participation notamment de Philippe Meirieu et Georges Fotinos, d’autres sont à venir sur les deux prochains mois dans le Lot-et-Garonne, Finistère, Paris et Tarn-et-Garonne, Val-de-Marne, Seine-Saint-Denis.