Quatre ans après son adoption par l’Assemblée et le Sénat, la loi « sur l’école de la confiance », dite loi Blanquer, ne recueille que critiques. Le rapport d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi dressé par Géraldine Bannier (Modem) et Jérôme Legavre (LFI) met en évidence les failles de la loi. L’instruction obligatoire à trois ans n’est toujours pas réelle et la scolarisation à deux ans a nettement reculée. Le sort fait par la loi à l’instruction en famille et aux jardins d’enfants ne satisfait pas les rapporteurs. Les EPLEI sont vivement critiqués. Surtout, le cœur de la loi : la formation des enseignants est à réformer en urgence. Alors que la loi avait été adoptée par une alliance de la majorité présidentielle et de la droite, elle est aujourd’hui remise en question. Mais pourquoi ?
Les failles de l’instruction obligatoire à 3 ans
Certes le rapport distingue bien les recommandations et les avis de Géraldine Bannier (Modem , majorité présidentielle) pour qui » c’est la mission même de l’école qui a été réaffirmée par la loi pour une école de la confiance » et de Jérôme Legavre (LFI opposition) pour qui » les décisions prises par le ministre Jean-Michel Blanquer ont conduit au désastre« . Mais les territoires étant marqués, sur bien des points, les deux rapporteurs, tous deux anciens enseignants, se rejoignent dans une critique sévère de la loi.
A commencer par une mesure qui a été présentée à l’opinion publique comme révolutionnaire : l’instruction obligatoire dès 3 ans. En réalité les auteurs montrent que le taux de scolarisation à 3 ans qui était de 96.6% en 2017 a « bondi » à 97.3% en 2019 avant de redescendre à 96.6% en 2020. Il reste encore au moins 26 000 enfants non scolarisés. Auxquels s’ajouteraient les « enfants fantômes« , non répertoriés, qui seraient 100 000 (de tous âges) selon des associations.
Ce qui est sûr, c’est que le premier quinquennat Macron -Blanquer ne s’est pas traduit par une hausse de la scolarisation à 3 ans. Par contre il s’accompagne d’un déclin de la scolarisation à 2 ans. En 2000, un enfant de 2 ans sur trois était scolarisé. En 2005, un sur quatre. 11% encore en 2018. Seulement 9% en 2020.
La généralisation de la scolarisation à 3 ans n’a toujours pas atteint la Guyane et Mayotte. Dans ce dernier département, alors que les horaires décalés (classe soit le matin soit l’après midi) concernent un enfant sur deux, seulement 73% des trois ans sont scolarisés. Environ 5000 enfants de 3-4 ans échappent à l’école. En Guyane, 95% des trois ans seraient scolarisés selon les données officielles.
47 millions pour le privé
Finalement le seul effet matériel réel de la loi a été le transfert de subventions au privé, alors que la Cour des Comptes souligne l’absence de contrôles sur l’utilisation de ces sommes. Selon le CNAL la prise en compte des maternelles du privé grâce à la loi Blanquer pourrait apporter à l’enseignement privé 150 millions. Au budget, compte tenu de la lourdeur de la procédure, on constate un cadeau de 15 millions en 2021 porté à 47 millions en 2022. J Legavre demande l’annulation de cette disposition. Mais il n’est pas suivi sur ce point par G Bannier.
Les rapporteurs demandent des efforts pour la Guyane et Mayotte. Ils souhaitent aussi réduire le nombre d’enfants en petite section de maternelle : la loi envoie à l’école (en principe) tous les enfants âgés de 3 ans qu’ils soient propres ou pas, ce qui n’est pas sans conséquences sur la vie quotidienne des enseignants et des Atsems.
La loi Blanquer a aussi durci le régime de l’instruction en famille en installant un système d’autorisation dès l’âge de 3 ans. Les rapporteurs demandent une meilleure harmonisation des modalités de contrôle et des conditions de délivrance des autorisations. Pap Ndiaye avait lui aussi relevé de forts écarts selon les académies. Par exemple, selon J Legavre, Créteil connaitrait un fort taux de refus. La loi a aussi décidé la suppression des jardins d’enfants en 2024. Les rapporteurs demandent une prolongation de la période transitoire. Autrement dit ils se retrouvent pour atténuer des points de la loi qui relèvent d’un certain bonapartisme blanquérien.
Revenir sur la formation des enseignants
Un autre grand point d’achoppement relevé communément par les deux rapporteurs concerne la formation des enseignants telle que la loi Blanquer l’a modifiée. » Il est impératif, dans un contexte de crise de recrutement, de revenir sur ce dispositif« , estime par exemple G Bannier. Pour les deux rapporteurs la masterisation exigée pour passer le concours génère la crise du recrutement. Ils souhaitent deux changements. D’une part avancer la date du concours : à bac +3 pour J Legavre, à bac +4 pour G Bannier. D’autre part, ils veulent un statut de professeurs stagiaires pour ceux qui actuellement sont des étudiants en M2 avec un stage en classe à temps très partiel.
» Alors que, il y a encore quelques années, on était fonctionnaire-stagiaire, pair parmi ses pairs, dès le niveau bac +3 ou bac +4, avec un traitement, il faut désormais, depuis 2022, un bac+5 pour accéder au même statut. Il est impératif, dans un contexte de crise de recrutement, de revenir sur ce dispositif « , écrit G Bannier.
Un autre effet de la loi Blanquer est bien vu aussi par G Bannier. » Sans cesse on veut les (les professeurs NDLR) former, les faire travailler différemment, voire plus, leur dicter parfois leur pédagogie« , écrit-elle. « Ils ressentent mal le fait de voir leur profession décriée et de ne pas se sentir toujours totalement soutenus par leurs autorités de tutelle. Cette défiance, majeure, n’est pas étrangère à la crise actuelle de recrutement. Des gestes arrivent enfin, attendus, pour une meilleure reconnaissance salariale. Ils doivent aussi s’accompagner d’une réflexion sur les conditions de travail de personnes que leur métier use sans doute davantage qu’autrefois. Le piédestal des professeurs est fragilisé. Or c’est d’abord des enseignants que découle la réussite du système éducatif : il faut en avoir bien conscience. »
» Il convient de réaffirmer que les concours nationaux adossés aux disciplines doivent rester la voie de recrutement des professeurs du premier et du second degrés« , estime J Legavre. « Il importe en outre de revenir sur l’obligation de passer le concours à la fin du master 2 et sur le fait de conditionner la titularisation à l’obtention de ce master 2…Un modèle de recrutement des professeurs qui a largement fait ses preuves a existé par le passé. C’est celui des écoles normales, des instituts de préparation aux enseignements de second degré (Ipes), des écoles normales nationales d’apprentissage (Enna). Y revenir serait un progrès considérable« .
Le CEE ne convainc pas
La loi Blanquer avait aussi servi pour supprimer le Cnesco, jugé trop indépendant, et le remplacer par le Conseil de l’évaluation de l’école (CEE). » L’idée est de mesurer « l’effet établissement » : son climat scolaire, son fonctionnement, ses relations partenariales et institutionnelles, sans remettre en cause directement l’équipe pédagogique ni faire publicité de ces résultats ‒ cela a été bien rappelé lors des auditions conduites par les rapporteurs« , rappelle G Bannier. « Toutefois le caractère chronophage et lourd de l’exercice, unanimement constaté, interroge… Il existe des instances, comme le conseil d’école ou le conseil d’établissement, au sein desquelles ces sujets sont abordés ; les journées pédagogiques sont précisément faites pour favoriser les échanges entre les équipes, la réflexion d’ensemble. Il faut être vigilant sur la tendance générale à la complexification administrative en tous sens alors que, précisément, les conditions de travail dégradées nécessitent un plein déploiement de première ligne des personnels« .
J Legavre n’est pas plus positif envers le CEE qu’il inclut dans un mouvement général de privatisation de l’Ecole en y introduisant les modes de gestion du privé. » Ce dispositif revient à transformer les enseignants, les représentants de parents, etc., en co-gestionnaires d’une situation qui leur est imposée et qui est le résultat direct des politiques et des choix gouvernementaux. De plus, intrinsèquement liée à l’autonomie des établissements, cette mesure conduit tout droit à un pilotage des établissements scolaires à partir d’objectifs fixés localement, et in fine à l’attribution de moyens en fonction de la réalisation ou non de ces objectifs. Elle tourne donc le dos à la logique qui seule devrait prévaloir : la création des moyens nécessaires en fonction des besoins, sur tout le territoire national « .
Ni les EPLEI et les expérimentations
On sent le même scepticisme partagé à propos des expérimentations prévues à l’article 38 de la loi. » Est-ce l’innovation en elle-même qui permet ces progrès ? Faut-il affecter des moyens en fonction du degré des innovations ou expérimentations entreprises sur le terrain ? La rapporteure ne le croit pas, et tient à rappeler que ce sont d’abord les situations socio-économiques complexes qui font obstacle à l’acquisition des connaissances et compétences« , écrit G Bannier. » De fait, il s’agit d’attribuer des moyens en fonction de tel ou tel projet local, d’en attribuer plus aux établissements qui expérimentent qu’aux autres. Cela ne peut que déboucher sur une mise en concurrence des écoles entre elles. Une mise en concurrence d’autant plus dangereuse que le système mis en place ouvre la voie à des dérogations au cadre national des horaires et des garanties statutaires des personnels« , estime J Legavre.
On ne sera pas surpris de retrouver la même méfiance envers les EPLEI, établissements internationaux créés par JM BLanquer. Ces établissements créent une voie d’enseignement dérogatoire, financée par l’Ecole publique, réservée aux plus riches. C’est le retour à un éclatement du système qui avait disparu avec l’entrée des lycées dans le cursus commun et la fin de leurs classes du primaire et de collège. G Bannier souligne, à raison, le caractère ségrégatif socialement des EPLEI et demande qu’il en soit tenu compte. J Legavre demande leur suppression.
Pourquoi personne ne se retrouve dans cette loi ?
Il est déjà intéressant de noter que deux rapporteurs, venus de partis politiques très différents partagent d’aussi fortes critiques de la loi Blanquer. Mais, lors du débat devant la Commission de l’éducation de l’Assemblée, on a du mal à trouver un véritable soutien à la loi.
Agnès Carel (Renaissance, majorité présidentielle) trouve des excuses. « Le covid a impacté les mesures de la loi. Les premiers retours sont encourageants« . Mais elle partage les critiques sur l’école inclusive et la nécessité de remettre de l’enseignement spécialisé. Cécile Rilhac (Renaissance), qui n’est pas pour rien dans cette loi, demande comment améliorer la formation des enseignants. Les Républicains, représentés par Annie Genevard, ont sauvé la loi et le ministre en 2019. Mais quatre ans plus tard, A Genevard parle d’un « texte ambitionnant de rétablir le lien de confiance sans y avoir réussi« , de la faiblesse des résultats des élèves et d’une formation des enseignants « pas probante« . Roger Chudeau (RN) dénonce une « loi brouillonne et inutile« . Fatiha Keloua Hachi (PS) rappelle l’opposition du PS à la loi et annonce une proposition de loi sur les jardins d’enfants. Pour Sophie Taillé-Polian (écolo), « tout ce qu’on pensait négatif est arrivé« .
Cette unanimité critique interroge. Pourquoi personne ne se retrouve dans cette loi ? C’est que JM Blanquer a échoué à faire passer le texte qu’il voulait. Les enseignants ont souvent oublié que leur opposition à cette loi a failli couté son poste au ministre de l’Éducation nationale. Ils ont fait échouer de nombreux points voulus par JM Blanquer. Par exemple « les établissements publics des savoirs fondamentaux (EPSF) » qui mettaient le premier degré sous la domination du second. Ils ont fait réécrire l’article 1 sur l’exemplarité des professeurs pour la ramener au lien école familles. Le contrat de mission envisagé pour les professeurs pour casser le statut a été rayé du texte.
Aujourd’hui la loi Blanquer ne va pas assez loin pour la droite qui vient de déposer une proposition de loi en ce sens, déjà adoptée par le Sénat. Elle va beaucoup trop loin pour la gauche qui y lit l’extension du nouveau management public. Elle ne satisfait pas la majorité présidentielle qui s’est remis à l’ouvrage.
Car il faut revenir aux débats de 2018-2019 pour comprendre cette insatisfaction envers la loi Blanquer. Cela éclaire l’obstination d’E Macron pour changer l’École et imposer un nouveau modèle. Le « contrat de mission » de la loi Blanquer, ses expérimentations c’est le pacte. Les EPSF deviennent le nouveau statut des directeurs d’école en lien avec le Pacte. E Macron s’obstine. Mais l’histoire de la loi Blanquer rappelle aussi aux enseignants qu’ils ont déjà réussi à faire reculer le président de la République.
François Jarraud
La loi BLanquer : le dossier du Café pédagogique
Le compromis final tient compte de la mobilisation enseignante