À la veille de sa retraite, Christiane Behnke voit grandir la petite graine franco-allemande qu’elle a semée chez ses élèves, et elle assiste, impressionnée, à l’engagement de certains élèves qui dépasse le cadre scolaire. Christiane, Allemande installée en France depuis 40 ans est professeure d’allemand depuis 1989. Elle organise chaque année pour ses élèves un échange franco-allemand. Et cette année, cet échange va se poursuivre pendant les vacances pour certains élèves qui organisent, à leur tour, un voyage en Allemagne dans la ville partenaire. La relève pour l’engagement franco-allemand est assurée avec cette génération.
Retour sur une carrière de professeure d’allemand
Christiane enseigne à Saint-Péray en Ardèche depuis 10 ans, avec un complément de service à Tournon. Elle part à la retraite dans quelques semaines. Sa carrière est une épopée, à l’image de celle de ses élèves qu’elle raconte au Café pédagogique. Titulaire du premier Staatsexamen, l’examen final des futurs professeurs en Allemagne, Christiane reprend les études en 3e année en France à Grenoble. Titulaire du CAPES d’allemand, elle est TZR durant 8 années dans l’Allier, durant lesquelles elle enseigne de la 6e au BTS, avant d’obtenir sa mutation en Ardèche, près de Valence. Au début de sa carrière, Christiane enseigne en LV1 4 heures par semaine et LV2 à partir de la 4e 3h par semaine. En raison d’effectifs faibles et d’un refus d’ouvrir une bilangue pour « renforcer la LV2, » Christiane a prédit à son chef « qu’il allait tuer l’allemand. Malheureusement, j’avais raison, et à partir de 2005, il n’y avait plus d’allemand au collège ». Depuis, Christiane travaille sur deux établissements. Cette trajectoire est assez classique pour les professeurs d’allemand, très touchés par la baisse d’heures depuis la réforme de Najat Vallaud Belkacem. « Grâce à un chef [d’établissement] alsacien à Tournon, la 6e bilangue a pu être rouverte deux ans après la réforme. » Christiane a eu beaucoup de plaisir à enseigner, mais aujourd’hui, elle déconseillerait le métier de professeur d’allemand, en service partagé, parfois sur trois établissements, parfois avec 6 ou 7 niveaux et toujours l’angoisse d’avoir trop peu d’élèves. Cependant, à la veille de sa retraite, Christiane préfère rester optimiste et garder les aspects positifs, la joie et l’enthousiasme de ses élèves qui vont lui manquer.
Les échanges franco-allemands au cœur d’un métier de plus en plus difficile
Christiane adore les échanges. Partout où elle a enseigné, elle a poursuivi l’échange existant, ou alors crée un nouveau partenariat. Cette année, l’échange franco-allemand entre les classes a pris un tournant unique et historique. L’enseignante d’allemand a suscité une prise de conscience chez ses élèves. Elle a pu entendre « ce qui me touche, c’est qu’on fait partie d’une histoire ». Le voyage chez les correspondants allemands s’inscrit dans le projet pédagogique de l’échange franco-allemand que la professeure porte depuis plusieurs années.
Un voyage dans l’Histoire
Christiane a choisi cette année pour thème de l’échange l’origine des échanges en général et du jumelage entre Saint Péray en Ardèche et Gross-Umstadt en Hesse en particulier. En cours, en amont du voyage, elle travaille sur le Traité de l’Elysée signé en 1963 entre la France et l’Allemagne. A la suite de ce Traité diplomatique, les comités de jumelage se sont développés entre des villes des deux pays. Entre Saint-Péray et son partenaire, il n’y pas eu d’interruption de l’échange de sa mise en place en 1967 à 1992, soit durant 25 ans. Après une courte interruption, l’échange a repris. Quand les élèves étaient chez leur correspondant en Allemagne, le groupe a été accueilli pendant l’échange scolaire par un représentant du comité de jumelage dont la mère était un des membres fondateurs. Il a présenté des photos, des projets, raconté l’histoire du jumelage. La première visite des Allemands en France s’est faite en 1967 et en vélo.
Les élèves : un maillon de cette histoire du jumelage
L’histoire de cette genèse « a tellement plu à trois de mes élèves qu’ils ont persuadé des parents et deux copains de partir avec eux de Saint-Peray à Gross-Umstadt à vélo ». Les élèves ont ensuite, de leur propre initiative, pris contact avec le journal local, la mairie, le comité de jumelage, le lion’s club, le député de la circonscription. Ils ont créé un compte instagram, une cagnotte. Ils ont ainsi trouvé des financements, lancé une collecte et ont obtenu de la mairie le prêt de vélo et des subventions. Christiane poursuit l’exposition de leurs exploits : « Montbeliard, première ville française jumelée avec une ville allemande en 1950, va les accueillir. Gross-Umstadt leur prépare un accueil royal. »
A l’issue de l’échange, les élèves ont lu des textes qu’ils avaient rédigés, ils les ont enregistrés et illustrés par des photos. Un élève, moins à l’aise en allemand, a fait le diaporama. Chacun a trouvé une place dans ce projet interdisciplinaire et coopératif. La production finale a été envoyée au département qui a dispensé une subvention pour la rencontre franco-allemande.
« Ce n’est pas mon projet, c’est le projet des élèves »
Les élèves ressuscitent l’esprit du jumelage franco-allemand, et vont s’engager dans le comité de jumelage des jeunes. Un lien fort existe entre le projet d’échange du collège et le jumelage de la ville.
« Rejoindre Gross-Umdtadt en vélo depuis Saint Péray n’a rien à voir avec le projet initial. C’est la conséquence d’un ressenti très fort: ces élèves comprennent qu’ils font partie de l’histoire, d’une chaîne d’événements qui font vivre l’échange. Ils veulent apporter leur petite pierre à l’édifice pour que l’histoire continue. Ils ont tout compris. »
Christiane résume qu’en à peine deux mois « tous ensemble, ils ont soulevé des montagnes pour arriver au but. »
« Ce n’est pas mon projet, c’est leur projet », dit Christiane avec modestie et sincérité. La professeure s’efface face aux élèves, avant de tirer sa révérence, elle laisse sa place. Elle n’avait pas envisagé que les élèves s’emparent de l’Histoire pour écrire une page de la leur.
Le projet franco-allemand de Christiane a projeté les élèves dans le passé, dans l’histoire du jumelage mais aussi dans l’avenir. Porteurs d’une Histoire, héritiers, ils deviennent transmetteurs.
Allemande d’origine, Christiane a à cœur de responsabiliser les élèves, ce qu’ils perçoivent, mettant à présent en pratique ses leçons.
Djéhanne Gani