Thierry Lépineux revient sur l’instrumentalisation de la place des symboles de la République à l’école faite par de nombreux politiques. Un jeu dangereux selon inspecteur de l’éducation nationale aujourd’hui à la retraite.
Un alignement
C’était en décembre 2022. Le maire de Marignane écrivait au ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye, sollicitant la possibilité d’instaurer le port de l’uniforme pour les élèves de sa commune. Il ajoutait la demande d’une cérémonie hebdomadaire de lever de drapeau accompagné du chant de La Marseillaise. Un mois plus tard, en janvier 2023, Madame Macron se déclarait favorable au port de l’uniforme à l’école. Quelques jours auparavant le Rassemblement national avait porté cette même proposition devant l’ Assemblée nationale, reprenant un projet de loi formulé par le parti Les Républicains. Chacune de ces séquences éclaire les petits calculs politiques qui les animent, mais, au bout du compte, ce qui transparaît est bien que se retrouvent en convergence et alignés, le Rassemblement national, Reconquête, Les Républicains, le ministre de l’Intérieur, d’autres membres du gouvernement ou du parti Renaissance et, manifestement, le président de la République.
On pourrait tout autant multiplier les exemples de politiques prenant position sur la place des symboles de la République à l’école, sans jamais paraître assouvis par le caractère répétitif et par la surenchère de ces demandes. Relever que depuis une vingtaine d’années la plupart des ministres de l’éducation nationale ne se sont pas exonérés de rajouter, renforcer ou répéter à l’envi les instructions dans ce sens. Le drapeau tricolore a vu son caractère obligatoire étendu du fronton de l’école à chaque salle de classe. L’obligation de l’apprentissage de l’hymne national a été moult fois réitérée et ses paroles rendues obligatoires sous forme d’affichage au sein des classes. L’instauration d’une cérémonie régulière de lever des couleurs constitue bien un souhait récurent d’élus, jusqu’à donner lieu à proposition de loi.
Une instrumentalisation
Cette conception réductrice, pour ne pas dire caricaturale, de la citoyenneté et de la construction du sentiment d’appartenance interpelle par l’image de l’école, mais tout autant de l’éducation, dont elle témoigne. La mise en avant des symboles républicains, à plus forte raison leur mise en cérémonie, est avant tout une instrumentalisation destinée à témoigner du patriotisme ou du nationalisme de ses auteurs. Les références à l’ordre et à la discipline sont sous-jacentes mais explicites. Le lever des couleurs accompagné par La Marseillaise ne laisse évidemment pas de doute sur son inspiration militaire, et c’est bien le but. Sous les oripeaux de la République se dessinent les contours d’une « école caserne », nostalgie, fantasme ou rêve d’une frange de la classe politique. Une école qui éduque à l’obéissance et destine à servir. De ces femmes et hommes politiques, certains semblent convaincus de l’impérieuse nécessité de concevoir l’éducation des enfants des autres dans des cadres et selon des modalités reposant sur la hiérarchie, la docilité et le silence. Le jeu de la démagogie politique ouvre toutefois encore plus d’espace à cette surenchère réactionnaire à laquelle participent des élus appartenant aux partis dits républicains. Les thèmes portés par l’extrême droite leur apparaissent manifestement comme une fontaine de jouvence à même de leur garantir la longévité politique. Au-delà de la manipulation des symboles, combien de discours et d’avis péremptoires sur ce que doit être la morale à l’école, sur une instruction circonscrite aux fondamentaux, sur un enseignement de l’histoire ramené au roman national, ou encore sur une école reposant sur les sanctions et l’exclusion ?
Un jeu dangereux
Sous couvert d’égalité et de restauration d’un ordre passé incarnant un idéal de citoyenneté et de vivre ensemble, il y a, avant tout, l’expression plus générale d’une abdication et d’une normalisation du discours et des valeurs d’extrême droite. Sous couvert de républicanisme, dans les intentions et dans les actes la devise « liberté, égalité, fraternité » se voit subrepticement substituer celle de l’ « autorité, sécurité, identité ». La légitimation de la supériorité de ces valeurs est d’abord le produit d’un discours d’inspiration droitière, véhiculé, asséné, répété par un personnel politique qui, bien que n’appartenant pas aux partis extrémistes, fait ainsi le lit des idées d’extrême droite en les cautionnant, en leur donnant crédibilité, mais aussi en les justifiant.
Considérons, comme le fait le politiste Aurélien Mondon, que l’idée selon laquelle l’extrême droite prospère sur le terreau d’un « populisme venu d’en bas » est à écarter au profit de l’idée de « République réactionnaire ». Aurélien Mondon observe que le primat du statu quo constitue le moteur et la finalité des partis de gouvernement. Il invite à considérer « la montée de l’extrême droite non pas comme un mouvement de bas en haut où « le peuple » impose sa vision réactionnaire aux élites, mais bien comme un mouvement de haut en bas » par lequel « un discours hégémonique opposant l’extrême droite au statu quo » a certes permis le maintien du statu quo, mais, dans le même temps, a conféré une légitimé aux idées de l’extrême droite. Convaincus que le pays, son peuple, adhère ou se situe en proximité des idées de l’extrême droite, des partis de gouvernement de ce début de 21e siècle ont fait le choix d’en endosser progressivement les thèses. Avant tout soucieux de conserver leur situation acquise, ils œuvrent au délitement et au sabordage de la République dont ils se réclament. Faute de se refonder idéologiquement, philosophiquement, mais aussi dans leur exercice de la gouvernance, ils s’inscrivent dans un suivisme idéologique mortifère. En collant aux thèmes et aux solutions de l’extrême droite, les partis de gouvernement font le pari que les électeurs, face à des projets peu différenciés, feront « le choix raisonnable du plus présentable ». C’est ne pas considérer les gains de respectabilité engrangés par le Rassemblement national, en cela largement redevable à ses adversaires. C’est également ne pas prendre la mesure de la déconsidération et du rejet de l’actuelle majorité dont l’exaspération et la colère qu’elle suscite sont de nature à favoriser la transgression du plafond de verre censé contenir la montée de l’extrême droite. Ce que d’aucuns identifient aujourd’hui comme une » inspiration bonapartiste » n’est pas le moindre des périls. Si ceux qui mettent en garde contre les risques d’atteintes à la démocratie par une extrême droite parvenue au pouvoir sont les mêmes qui s’inscrivent dans des postures autocratiques, le choix des électeurs ne peut qu’en être facilité.
L’école en otage
Les enjeux qui résident dans et autour de l’école ne sont pas anodins. L’école pénètre profondément et durablement au cœur des familles. Elle témoigne de la justice et de l’équité ou elle trahit l’indifférence et la duplicité du système, fondant l’adhésion ou la rupture. Accablée par la défiance des politiques, elle renforce celle des citoyens. Au contraire, dotée des moyens et des conditions de la réussite, elle peut porter et faire valoir des valeurs opposables à celles des idéologies régressives. Du marécage réactionnaire et libéral qui se dessine, notamment pour l’école, sortira probablement l’objet de nos contritions. Le jour où la bascule politique s’opérera il sera tard pour reconnaître que la dévitalisation de l’école, son formatage et son instrumentalisation auront largement contribué à la victoire des extrêmes. Il sera tard pour prendre la mesure de la propagande qui aura été servie par les postures et les discours sur l’école, nourris par les manquements à l’ambition, au courage et au sens de l’intérêt collectif de ceux qui auront consacré leur mandat au maintien d’un statu quo propice à la conservation de leur situation acquise et des intérêts qu’ils privilégient.
Thierry Lépineux
« Changer l’école, changer leur vie. Une école responsable ». Editions L’ Harmattan (2022).