Perte de sens, mal-être et fort désaccord avec les politiques d’éducation, tels sont les principaux enseignements du baromètre de l’Unsa 2023. « La situation est alarmante. Seulement 2% des professeurs se disent en accord avec les choix politiques concernant l’école » alerte Frédéric Marchand secrétaire général de l’UNSA éducation lors de la présentation du baromètre. « Dans d’autres pays, cela signifierait beaucoup. Pas chez nous semble-t-il ». 64,5 des personnels de l’éducation déclarent que leur métier a du sens, contre 78,8 en 2017. Seulement 28% estiment être respectés et reconnus dans l’exercice de leur métier, contre 44,1% au début du quinquennat Macron. « Beaucoup associaient la crise que l’on vit à la personnalité Blanquer. On ne peut que constater que ce n’était pas seulement une histoire de casting, c’est un problème de méthode. Le Président, sorte de Ministre bis de l’éducation, y est pour beaucoup. Il attise les tensions ».
Le Baromètre Unsa, c’est « pour mieux connaître et représenter les personnels de l’Éducation » explique le syndicat. Pourtant, cette enquête est loin d’être une enquête à destination des seuls adhérents de la fédération UNSA. Plus de 61% des répondants au baromètre ne sont pas syndiqués chez eux ou pas syndiqués du tout. Cette année, ce sont près de 35 000 personnels de l’éducation qui ont participé à l’enquête, « la troisième édition la plus importante » déclare le secrétaire général alors que l’enquête a eu lieu du 5 mars au 5 avril, en plein mouvement social sur les retraites, empêchant de mener « une communication forte comme nous le faisions tous les ans » ajoute Frédéric Marchand. Le nombre de participants et le panel de métiers qu’elle représente font de cette enquête un rendez-vous incontournable du monde de l’éducation.
De mal en pis pour les personnels de l’éducation
« Toutes les courbes s’accentuent de façon négative au fur et à mesure des années » constate le secrétaire générale de l’UNSA éducation. « Depuis 2018, et donc le premier bilan du ministère Blanquer, on voit que la situation ne cesse de se dégrader. L’édition 2023 – avec un nouveau ministre – confirme cette dégradation. Les mesures salariales, alors qu’elles étaient attendues ne prennent pas la mesure de la situation. 27% seulement des personnels du ministère de l’Éducation nationale se sent respecté ».
Si près de 92% aiment leur métier, c’est tout de même deux point en moins par rapport à 2018. À la question « êtes-vous heureux d’exercer votre profession ? », ils sont 72,9 à déclarer oui, contre 83,1 en 2016. « Il y a un effritement du sens du métier. Entre 2016 et aujourd’hui, il y 16% de personnels en moins qui répondent que les missions confiées ont du sens pour eux ». Sur les conditions de travail, ils sont un quart à les déclarer satisfaisantes, contre 43,8% en 2016 – et 42,1% au début du premier quinquennat Macron. Près de 90% affirment même qu’elle se sont dégradées lors de la dernière année. Malgré un amour encore fort pour leur métier, seulement 19% des personnels conseilleraient leur métier à un jeune de leur entourage, contre 41,8 en 2016, et 37% en 2018. Et pour la rémunération, 89,7% l’estiment insuffisante.
Interrogés sur les trois domaines qu’ils souhaiteraient voir s’améliorer rapidement, le pouvoir d’achat vient en premier (avec 65%), puis la charge de travail (51%, 10% de plus qu’en 2018) et enfin les perspectives de carrière (39%). Pour les IEN, les PERDIR, les IA-IPR et les DDFPT, la charge de travail vient en première position, suivie du pouvoir d’achat et du temps de travail.
Une défiance qui met à mal tout le système éducatif
Pour Frédéric Marchand, ces résultats montrent une « absence totale de confiance des personnels dans leur dirigeants » ce qui « pose problème pour mener une politique efficace ». « Après six ans de politique Macron, on s’interroge sur comment le gouvernement peut mener une politique éducative alors que les personnels rejettent ses orientations à plus de 80% ». « On est face à des décideurs politiques qui auraient raison contre l’ensemble des acteurs du système. Un tel rejet est un vrai problème pour le système éducatif dans son ensemble, cela peut le fragiliser durablement » ajoute-t-il. « On est dans une crise de confiance. On avait noté dans le baromètre 2018 une rupture, associée à la gouvernance de Blanquer. Mais on n’en est pas sortis. Finalement, c’est pas qu’une histoire de casting, c’est aussi un problème de méthode. Les annonces – faites à la radio ou dans un journal – qui tiennent lieu de circulaire ont fini d’effriter la confiance. Et puis, la défiance est de mise lorsque l’on se rend compte que les mesures sont bien loin de celles annoncées – comme pour la revalorisation. Cela ancre la crise de confiance ».
Une administration qui n’est pas à la hauteur des grands défis du monde contemporain
La deuxième partie des questions du baromètre porte sur des questions d’actualité. Après la crise sanitaire en 2021, les présidentielles en 2022, l’UNSA a décidé d’interroger les personnels sur « trois grands défis du monde contemporain ». À savoir, la crise démocratique, la transition écologique et la mutation numérique. Les répondants, qui ont hiérarchisé leurs réponses, ont estimé à 49% que la question démocratique était leur premier sujet de préoccupation. « Les personnels de l’éducation, de la recherche et de la culture ont un regard particulier sur la démocratie dans un système éducatif qui a toujours fait de la formation citoyenne la priorité de l’école » explique Béatrice Laurent, secrétaire nationale éducation et culture. « Il est intéressant de noter qu’ils font plus confiance à tout ce qui pourrait renouveler les modalités démocratiques (transparence, diversité, référendums) qui atteignent de forts scores à 80/90% et qu’ils sont beaucoup moins confiants dans les institutions traditionnelles de type parlementaire (moins de 60%). En bref c’est bien la démocratie représentative qui a une côte en baisse. En revanche renforcer le rôle des syndicats et des représentants du personnel atteint des chiffres très hauts (79% pour les syndicats, 92% pour les représentants du personnel) ce qui pourrait intéresser le gouvernement dont la capacité à écouter les partenaires sociaux a été largement mise en doute cette année ».
Deuxième préoccupation prioritaire des personnels : la transition écologique. « Quand on leur demande comment elle est mise en œuvre dans leur métier, 41,4% indiquent que ce n’est pas une priorité de leur employeur, seulement 2% signalent une politique interne de développement durable, seulement 10% saluent des initiatives ponctuelles…pour le reste, la plupart des efforts sont fournis par des volontaires, sur le plan individuel ». Pour finir, 47% des personnels estiment être suffisamment formés aux outils numériques et 59% que les outils numériques proposés par l’administration ne sont pas adaptés.
« En conclusion, sur l’ensemble des défis du monde contemporain évoqués cette année, les personnels interrogés ont un sentiment mitigé : ils plébiscitent les mesures de rénovation démocratique, relèvent le faible investissement de leur ministère dans la transition écologique et posent le problème d’une mutation numérique qui se fait au détriment des conditions de travail, notamment du fait d’outils non-adaptés » conclut la secrétaire nationale.
Interrogé sur la stratégie syndicale de sa fédération, Frédéric Marchand répond que cela ne changera pas leur syndicalisme – « qui n’est pas un syndicalisme d’opposition. Alors lorsque l’on s’oppose, ça donne d’autant plus de force à notre action ». « On continuera de mener nos combats. On obtient certaines choses grâce à ces combats. Notamment le doublement de l’ISOE/ISAE et un accès plus important aux promotions ». Pour autant, le secrétaire générale reconnaît que les résultats de ces luttes ne sont pas à la hauteur des enjeux, « on va continuer à manifester notre désaccord ».
Lilia Ben Hamouda