À l’heure de l’école inclusive et des multiples difficultés qu’elle engendre pour les enseignants et enseignantes, notamment pour celles et ceux du premier degré, Betty Bouchoucha propose aux lecteurs du Café pédagogique d’investir la démarche de la CUA – Conception Universelle des Apprentissages. Une approche qui selon la professeure ressource autisme à la DSDEN du Rhône permet de travailler avec tous les élèves, même ceux présentant un TSA – Trouble du Spectre de l’Autisme, sans forcément devoir toujours multiplier les adaptations individuelles humaines ou matérielles.
Aujourd’hui, l’école que l’on qualifie d’inclusive accueille un public d’élèves très divers qui la rend plus humaine. Mais il n’est pas toujours simple pour l’enseignant d’identifier les leviers pédagogiques ou les adaptations qui facilitent les apprentissages. En outre, l’école n’a pas vocation à transformer l’enseignant en précepteur auprès de chacun de ses élèves dans une école où se juxtaposeraient les individualités. Se pose alors pour l’enseignant la question de savoir comment faire pour que ses intentions se traduisent en actes fructueux au service des apprentissages de tous et qu’elles ne soient pas considérées comme une utopie.
Cette question, loin d’être nouvelle, a eu au cours du temps de nombreuses réponses, lesquelles ont fait leurs preuves comme les stratégies de différenciation pédagogique connues des enseignants, mais les recherches récentes et l’apport des neurosciences nous permettent d’aller plus loin afin de prendre en compte dans le système scolaire et notamment au travers de l’ingénierie pédagogique ce que l’on appelle la neuro-diversité. C’est ainsi que la Conception Universelle des Apprentissages (CUA) prend son essor aux Etats-Unis et au Canada pour permettre aux enseignants d’acquérir une démarche et une réflexion qui facilite la prise en compte en amont de tous les profils d’élèves et de l’environnement pédagogique pour le faire évoluer vers toujours plus d’accessibilité.
Il ne s’agit pas d’une nouvelle méthode pédagogique éphémère ou d’une tâche supplémentaire pour l’enseignant qui s’ajouterait aux autres par superposition. La CUA consiste à acquérir une démarche d’anticipation des besoins des élèves afin de prévenir leurs difficultés potentielles, elle place l’enseignant dans une posture de concepteur et de maître d’œuvre qui lui donne une plus grande maîtrise des situations scolaires. Elle s’inspire des plans inclinés architecturaux qui préviennent des difficultés d’accessibilité que pourraient avoir certains utilisateurs. Toute personne qui serait ralentie dans sa mobilité, de manière provisoire ou définitive, peut en profiter – personne se déplaçant en fauteuil roulant, provisoirement avec des béquilles, chargée d’objets encombrants, d’une poussette… Ces plans inclinés répondent à un besoin potentiel avant qu’il ne se manifeste, ils ne gênent personne et peuvent être utiles à tous.
Le défi de l’enseignant est alors de relever le défi de penser des « plans inclinés » dans tous les domaines d’apprentissage pour répondre à la logique d’accessibilité pour tous ses élèves. La CUA permet de relever ce défi car elle propose des stratégies d’enseignement qui s’appuient sur le rôle différencié des régions du cerveau dans les apprentissages ; les zones cérébrales sollicitées dans l’apprentissage étant le cortex moteur, le système limbique et le cortex préfrontal, voyons comment elles peuvent être activées pour un apprentissage optimisé.
Plusieurs modes de présentation de l’information et des concepts
Le cortex moteur traite, enregistre l’information et la rend disponible, c’est pourquoi prendre en compte son fonctionnement consiste pour l’enseignant à proposer plusieurs modes de présentation de l’information et des concepts afin de permettre aux apprenants de répondre à la question du quoi. L’enseignant peut diversifier ses modalités de présentation de l’information en sollicitant différents sens, par exemple le visuel, très important pour les élèves qui présentent un TSA (Trouble du Spectre de l’Autisme) et que l’on qualifie souvent de penseurs visuels. L’enseignant illustre les informations et les notions, schématise, propose des cartes mentales, des symboles, utilise des codes couleurs, des outils de représentation du temps (timer, sablier…), de nombreux élèves ayant du mal à se représenter le temps, immatériel et abstrait. En adressant aux élèves des supports dénués d’éléments superflus, en leur présentant les textes avec une police d’écriture dépourvue d’empâtement, les uns à la suite des autres plutôt que tous à la fois, en mettant en évidence les éléments importants, il est possible de prendre en compte les particularités visuelles de certains élèves TSA qui privilégient souvent un traitement visuel, détail par détail, de l’information qui ralentit l’accès au sens global. La clarification du quoi consiste à lever les obstacles inhérents au langage, à la communication écrite, verbale et non verbale, qui a besoin d’être clarifiée et parfois accentuée pour être comprise.
La multiplication des moyens de représentation prend en compte les différentes manières de percevoir l’information, optimise la communication et la compréhension, facilite l’activation des connaissances antérieures, l’émergence des idées principales et la prise de conscience des relations entre les idées ou les notions. Elle aide à la généralisation des savoirs et des compétences.
Susciter la motivation et en facilitant le maintien de l’engagement
Le système limbique permet de gérer les comportements émotionnels et d’intégrer la dimension affective dans les apprentissages ; l’enseignant peut le prendre en compte en suscitant la motivation et en facilitant le maintien de l’engagement des élèves dans la tâche ; ainsi, les élèves sont plus à même de répondre à la question du pourquoi. Pour cela, l’enseignant peut proposer à ses élèves des rétroactions fréquentes et adaptées qui les rassurent sur l’évolution de leur travail, ce qui leur permet d’être persévérants et évite les comportements difficiles qui pourraient advenir à la suite d’un échec. Tous les élèves ont en commun le besoin d’être valorisés et encouragés dans leurs efforts. L’enseignant peut permettre à ceux qui en ont la capacité de faire des choix individuels : travail en autonomie, par groupe de pairs, avec un élève tuteur ou un adulte, ce qui peut offrir des possibilités aux élèves TSA sans les stigmatiser. Pour eux, comme pour tous, apprendre à utiliser des outils et des stratégies pour identifier et maîtriser ses émotions facilite l’adoption des comportements attendus à l’école ; il s’agit là d’un apprentissage au long cours, qui évolue en fonction des besoins de la personne.
Le développement des capacités d’autorégulation – introspection, stratégies métacognitives, autoévaluation – est un levier utile et nécessaire pour garantir la réussite de tous, entretenir la motivation, levier puissant de la réussite scolaire, car les échecs répétés sont la principale cause de la démotivation des élèves. Pour les élèves TSA – mais pas seulement, il est souvent préconisé un enseignement « sans erreur », surtout en début d’apprentissage, qui consiste à guider l’élève vers la réussite et lui permettre de s’entraîner suffisamment pour qu’il acquiert un sentiment de maîtrise. La nouveauté est introduite progressivement. Lorsque les élèves rencontrent des difficultés, il est recommandé d’introduire 80% de connu et de maîtrisé pour 20% de nouveauté. Une autre manière de prendre en compte la motivation des élèves est de tenir compte de leurs centres d’intérêts. Les contrats de travail visuels comme les systèmes d’économie de jetons permettent à l’élève d’obtenir quelque chose de plaisant, lorsqu’il s’engage à fournir des efforts pour un travail qui ne lui plaît pas a priori ou dont il ne saisit pas le sens.
Enfin, la motivation de l’élève est entretenue par la qualité de sa relation avec l’enseignant et la capacité de celui-ci à le mettre en confiance. Les professionnels de l’autisme parlent du pairing inspiré des pédagogies comportementales et cognitives, il consiste en une stratégie d’enrôlement des élèves. Étymologiquement, ce mot vient de l’anglais to pair qui signifie « associer ». Il prend appui sur le fonctionnement cognitif, fréquent dans l’autisme, il implique de procéder par association d’idées et concordance entre des personnes, des lieux, des objets ou des activités susceptibles de susciter un effet de sens et/ou une sensation d’une part, de créer des repères et d’engager l’individu dans l’action d’autre part.
Offrir aux élèves les moyens d’action nécessaires à la réussite
Le cortex préfrontal, siège des fonctions exécutives, permet l’organisation du travail, notamment la planification, la capacité de faire des choix, la prise d’initiatives et l’exécution des actions. Il convient donc d’offrir aux élèves plusieurs moyens d’action et d’expression afin de répondre à la question du comment qui permet d’acquérir des stratégies nécessaires à la réalisation du travail.
Pour cela, l’enseignant soutient l’action des élèves avec la mise à disposition d’aides et d’outils susceptibles de les accompagner dans l’organisation et la réalisation de leur travail. Ces propositions rassurent l’élève en lui permettant d’entrevoir des perspectives de réussite ; elles se concrétisent par un découpage des tâches, la perception du début et de la fin des activités, la structuration de l’environnement de travail pour le rendre explicite et prévisible – emploi du temps, mise à disposition du matériel nécessaire, feuilles de route, check-lists, aides méthodologiques… Lorsque le cadre de travail est prévisible et bienveillant, les élèves développent une plus grande flexibilité et maîtrise de leurs émotions.
Un enseignement et des pratiques qui s’appuient sur la CUA peuvent faciliter la prise en compte des particularités des élèves sans forcément toujours multiplier les adaptations individuelles ; par exemple, les outils visuels seront une aide pour les élèves qui présentent un TSA, ils le seront aussi pour ceux qui présentent un Trouble du Neuro-Développement (TND), une déficience auditive, ceux qui ne sont pas francophones…
La CUA prend en compte les besoins des élèves par anticipation, s’appuie sur leurs forces et potentialités. Concernant les élèves qui présentent un TSA, leurs talents peuvent être nombreux et différents d’un élève à l’autre, bien souvent leur mémoire visuelle, leurs capacités d’observation, leur rigueur dans le respect des règles, leur sincérité, leur sérieux, leurs connaissances précises et exhaustives des sujets qui les intéressent sont des atouts.
Betty Bouchoucha