Florent Desvignes est professeur d’anglais au lycée français Jules Supervielle à Montevideo en Uruguay depuis 2 ans après une dizaine d’années en région parisienne et à Paris dans des établissements en éducation prioritaire. Il enseigne aujourd’hui à des classes de collège et de lycée de la 4e en Terminale Spécialité. Il partage avec le Café pédagogique quelques réflexions sur son expérience et sa pratique de professeur de langue. Son expérience de professeur à l’étranger s’inscrit dans un parcours de mobilité, qui est pour lui inhérent au professeur de langue. Étudiant, Florent a étudié aux Etats-Unis en Pennsylvanie en Licence puis en Angleterre dans le cadre du programme Erasmus lors de son master 1. L’immersion dans la culture et la langue étrangère lors de sa formation lui a semblé indispensable pour une maîtrise d’un accent authentique et une connaissance du pays.
Quelles caractéristiques dans l’enseignement des langues dans votre établissement de l’étranger ?
C’est une remise en question de mon enseignement, et j’ai eu beaucoup de choses à revoir. La grande majorité des élèves de 4eme ont un niveau B1, ils passent la certification Preliminary du Cambridge. Dès la 6e, les élèves arrivent avec un niveau A2 donc je prépare des cours d’un niveau plus avancé, on va plus loin dans le travail de réflexion en cours. Les élèves ont les acquis grammaticaux, la maitrise des faits de langue nécessite peu de trace écrite, j’en fais 1 par séquence. L’approche est donc davantage notionnelle. Par exemple, on peut travailler sur le réchauffement climatique, l’Apartheid ou le genre. On sort du champ linguistique pour travailler des idées. C’est très enrichissant. Je me retrouve, modestement, professeur de littérature, de géographie, d’histoire via la langue. Ici, on va plus loin car les élèves ont les moyens langagiers nécessaires, ils écrivent de manière fluide. On étudie des œuvres littéraires dès le collège, des romans courts en anglais, un ou deux par an. C’est assez intense pour les élèves, mais ils ont en général une bonne compréhension de l’anglais.
Comment expliquez-vous cela?
L’enseignement de l’anglais commence dès l’école primaire de manière soutenue. Il y a un professeur d’anglais du 1er degré avec un temps fléché dans toutes les classes. L’oral a une place prépondérante. L’écrit reste pour prendre des notes, la trace écrite est reléguée au second plan. L’objectif est d’exposer les élèves le plus possible à la langue. Je ne concevrai pas autrement ma pratique dorénavant. L’oral, c’est le cœur du métier, pour fixer les connaissances et désinhiber les élèves, il n’y a rien de mieux que le bain linguistique.
Quelles sont les pratiques que vous sollicitez pour favoriser l’oral ?
On fait beaucoup de jeux, j’utilise beaucoup l’outil numérique comme kahoot pour faire des quiz, des jeux de rôle. Les élèves jouent des saynètes, j’organise des débats. Les débats sont également des temps forts dans mes séquences permettent des échanges féconds sur des sujets variés (égalité des sexes, racisme…). Lors des jeux de rôle (avec des cartes personnalisées), les élèves font deviner qui ils sont. Ils posent des questions. Quand j’aborde la compréhension de l’écrit ou de l’oral, je n’hésite pas à mobiliser des outils numériques tels que les tablettes et Genially pour proposer des parcours différenciés à mes élèves où le niveau de difficulté est indiqué et les ressources adaptées à leurs niveaux. Je créée des documents interactifs qui favorisent les prises de paroles. J’essaie de proposer des documents variés et différents médias, et Genially est super pour ça. Les élèves peuvent écouter une video, puis en faire une restitution à la classe, on peut ainsi entraîner et travailler l’expression orale et la compréhension, en multipliant les points de vue sur une problématique. Ce sont des temps dédiés à prise de parole en continu.
Comment organiser la coopération entre élèves ?
J’ai créé un Club Cinéma (écriture de scenarii pour des courts-métrages) et un Club des Gamers (rédaction de critiques de jeux vidéo) et je suis en train de monter un Drama Club. Au sein de mes cours, l’écriture collaborative est un automatisme lorsque mes élèves travaillent en groupe à l’élaboration de saynètes, à la création de sites internet (sur Wix ou Genially) ou font des recherches sur une thématique. Le jeu permet de faire coopérer les élèves.
Pour ce qui relève d’organiser et assurer un mode de fonctionnement du groupe, je suis toujours vigilant à la distribution d’une parole mixte. Des associations travaillant sur le genre sont intervenues dans mes cours pour débattre sur les questions de parité. Afin de valoriser les productions de mes élèves, j’affiche leurs productions dans les couloirs (semaine sur l’environnement), je projette leurs courts-métrages en fin d’année et je publie leurs blogs sur des murs collaboratifs (Padlet). En tant que professeur de langue vivante, la collaboration et l’entraide entre pairs est une pratique quotidienne. Le “pair work” et le travail de groupes permettent l’échange dans la langue cible, l’inter-correction et une mise en commun de compétences variées. Quant à l’évaluation des progrès et des acquisitions des élèves, je fais en sorte que les conditions soient dédramatisées et productives autant que possible.
Quel regard portez-vous sur cette expérience à l’étranger?
On peut se demander toutefois si ces méthodes seraient valides dans un autre contexte. Est-ce qu’on pourrait expérimenter ces pratiques dans un établissement en éducation prioritaire avec des élèves au niveau plus fragile. Il est certain que le travail en amont est important. Quand mes élèves arrivent en 4e, ils ont les bases, j’enrichis le vocabulaire, certes, mais ils ont déjà des connaissances solides. Ce contexte est à préciser. C’est un vrai plaisir d’avoir des échanges avec les élèves dans un tout anglais. Du fait, que je ne parle pas espagnol, les élèves ne communiquent qu’en anglais avec moi.
Propos recueillis par Djehanne Gani