Claire Lommé parlait de sa future participation au salon Culture et jeux mathématiques il y a deux semaines dans les colonnes Café pédagogique. Elle partageait avec les lecteurs et lectrices ses doutes, ses questionnements, ses préparations. Aujourd’hui, elle fait le bilan de ses quatre jours de salon parisien.
Ce weekend, c’était le salon Culture et jeux mathématiques, à Paris, place Saint Sulpice. J’en avais parlé sur le Café pédagogique car pour la première fois j’y allais en tant qu’intervenante, pendant la totalité de sa durée : je participais au travers d’ateliers et d’une conférence, et sur le stand de l’APMEP. J’avais beaucoup travaillé et essayé d’anticiper ; j’avais eu bien raison, car le rythme effréné et la variété inattendue des publics imposait d’être prêt à toute éventualité. Je suis très heureuse : tout s’est bien passé et je reviens riche de nouvelles expériences, d’observations didactiques et pédagogiques, de réflexions issues d’échanges avec des personnes venant d’univers très variés, et de tout un tas de ressources : des jeux, des livres, des activités… J’ai du pain sur la planche pour étudier tout cela et le narrer sur mon blog ! Ce lundi férié est tombé vraiment très bien : j’ai pu me reposer, car les quatre jours de salon étaient intenses, et lorsque la fatigue nous est retombée sur les épaules, hier soir dans le train, je me suis réjouie de pouvoir marquer une petite pause avant de retourner disséminer mes jolies mathématiques aux yeux, aux neurones et, je l’espère, au cœur de mes élèves au collège.
Ce qui m’a le plus frappée, pendant ces journées, c’est la variété des publics et l’enthousiasme à faire des maths. Samedi et dimanche, c’était prévisible : en plus de nombreux enseignants, de beaucoup d’amoureux et de curieux des mathématiques, les familles représentaient une grande partie des participants. Beaucoup d’entre elles étaient là portées par l’envie des parents de transmettre quelque chose, d’éveiller leur progéniture à la culture mathématique, de jouer ensemble, d’apprendre ensemble. Mais il y avait là aussi des parents emmenés par leurs enfants, qui avaient été conquis la veille lors de leur passage avec l’école, le collège ou le lycée. Ça, c’était très chouette aussi, et franchement encourageant pour nous, animateurs. Car les deux premiers jours, le jeudi et le vendredi, les stands étaient surtout occupés par des scolaires : j’ai vu passer des enfants de la grande section au lycée. La majorité des classes venait de la région parisienne, mais de courageux et entreprenants collègues de lieux plus éloignés avaient réussi à faire le déplacement.
Toutes et tous ces élèves n’avaient sans doute initialement pas envie d’être là, sur le salon, pour faire des mathématiques pendant plusieurs heures. Et pourtant, je n’ai travaillé qu’avec des élèves tournés avec une belle énergie vers l’activité mathématique. Bon, j’en ai bien recadré un ou deux, parmi les dix groupes que j’ai vu passer, mais pas par rapport à ladite activité mathématique : parfois, être dans un groupe, c’est compliqué, surtout dans un environnement aussi fourmillant, bruyant et agité, vu la fréquentation incroyable du salon ! Mais c’est normal, et puis je suis prof… Ce que je retiens, c’est le changement de comportement de collégiens, sur la première partie de l’atelier : les écoliers étaient dès le départ enthousiastes, comme souvent d’après mes expériences en classe ; de plus, les activités que j’avais prévues pour les enfants jusqu’au CM2 étaient directement appuyées sur la lecture d’albums, les tracés géométriques, et pour les plus rapides le dessin. Pour les élèves de collège, c’était différent : même si mes activités s’appuyaient sur de la manipulation ou des constructions, ces jeunes gens ne s’y sont pas trompés. Nous avons parlé maths, beaucoup ; un objectif prioritaire pour moi était le langage, la verbalisation, pour parvenir à abstraire. Forcément, avec ces vieux de la vieille de l’école, cela ne pouvait pas demeurer inaperçu. Alors certains, et malheureusement surtout certaines sont arrivés en m’avertissant : « madame, le prenez pas mal, hein, mais nous les maths vous voyez, c’est pas notre truc. On n’est pas fortes et on comprend pas tout. » « Ah ouais, carrément ; en fait moi je comprends rien. » Aaaaah, voilà un public de prédilection ! Je m’en suis régalée d’avance, et j’ai plongé avec énergie dans mon activité : voilà ce que nous allons faire, voilà pourquoi nous allons le faire, voilà ce que j’espère vous faire atteindre, et voilà comment nous allons le faire. Public complexé ou pas, qui se déprécie ou pas, de tel ou tel niveau supposé ou réel en maths, je m’en fiche : nous avons toutes et tous des cerveaux, et ce serait dommage de ne pas en profiter. Alors quel bonheur de voir ces jeunes filles bondir de leur banc parce qu’elles avaient compris, s’emporter pour expliquer le pliage de leur Pliox, relever la tête avec un merveilleux sourire et me brandir leur production, ne pas accepter de partir avant d’avoir reformulé la modélisation mathématique de leur anamorphose, pour pouvoir « le raconter à mon père » ou « expliquer à mon prof, chuis sûre ça il sait pas ». Je garderai longtemps en mémoire la vision (avec le son, que je ne pouvais pas ignorer) de Zoya, arrivée manifestement inquiète, la plus discrète possible, et qui s’évertuait à crier à sa camarade de plier selon une bissectrice son Pliox… Elle ignorait ce qu’est une bissectrice un quart d’heure plus tôt. Mais elle a la capacité d’apprendre.
Évidemment, je sais que ce type d’événement n’est pas une solution générale à la problématique du niveau de nos élèves en mathématiques, en France. Mais je sais que le salon contribue à nourrir, conforter et aussi réparer la relation aux maths des élèves (et des adultes) qui s’y rendent. Et pour ce qui me concerne, j’y ai vécu une expérience qui me fait encore grandir professionnellement, et qui me nourrit humainement.
Claire Lommé