Sophie Vénétitay est secrétaire générale du premier syndicat des enseignants du second degré, le SNES-FSU. Selon elle, la mise en place du pacte comme outil de revalorisation signe l’arrêt de mort du statut des enseignants et est le signe du new public management. Et si des enseignants ont déjà fait savoir qu’ils le signeraient c’est parce que « le ministère instrumentalise avec beaucoup de cynisme notre déclassement salarial ».
Pour votre syndicat, la mise en place du pacte est une attaque au statut d’enseignant. Comment en arrivez-vous à cette conclusion ?
Nos statuts garantissent un droit à la carrière. C’est-à-dire une grille indiciaire qui évolue selon l’ancienneté avec des changements d’échelons. Au SNES-FSU, on fait l’analyse que le pacte va conduire à un virage vers une fonction publique d’emploi où la rémunération évoluera en fonction des missions supplémentaires. La seule perspective pour des collègues désireux de gagner plus, ce n’est pas une évolution de la grille mais des primes et des indemnités liées à ces missions supplémentaires. C’est un basculement complet de la conception de la fonction publique de carrière à la fonction publique d’emploi. Cela change l’esprit du statut de l’agent de la fonction publique.
Les enseignants passeront sous la coupe du chef d’établissement. En signant le pacte, ils lui devront quelque chose. Ils se retrouvent donc dans une situation contractuelle, dans une situation où ils ne pourront plus refuser certaines choses. Les collègues ne pourront plus dire non. Pour nous, c’est le signe de la fin de la liberté professionnelle, voir personnelle – sur l’organisation de son temps de travail. Le statut est constitué d’obligations mais aussi de droits. L’équilibre entre ces deux aspects vole en éclat. Par ailleurs, le pacte introduit des missions définies annuellement. On considère que cela ouvre la porte à l’annualisation.
Pourquoi cette annualisation serait un danger selon vous ?
L’annualisation est un vieux serpent de mer que la Cour des comptes ressort régulièrement de son chapeau. Dès 2013, elle pointait « » L’annualisation du temps de service conduirait à dégager d’importantes économies de postes », on voit donc qu’il y a une dimension budgétaire, et non pédagogique, dans cette mesure. De plus, l’annualisation est synonyme de flexibilité qui fait voler en éclat tous les repères du temps de travail. C’est rendre possible un augmentation de la charge de travail à n’importe quel moment de l’année de manière incontrôlable au motif qu’il faudrait atteindre l’objectif annuel.
Pourtant selon le Ministre, dans une interview accordée à Les Echos, beaucoup d’enseignants signeront le Pacte – plus que ce à quoi s’attendait le ministère…
Le ministère instrumentalise avec beaucoup de cynisme notre déclassement salarial. La principale perspective d’augmentation de rémunération devient le pacte, avec tous les dangers qu’il comporte. Et quand le ministère assure que des collègues vont signer le pacte, c’est en assumant que le pacte soit la réponse à ce déclassement salarial. D’une certaine façon, il lie les mains des personnels, conduits à scier la branche sur laquelle ils sont assis – le statut – pour espérer pouvoir vivre correctement de leur métier.
Pacte et annualisation sont-ils la marque du New Public Management?
Totalement. Le ministère le reconnait puisque lors d’une des présentations du pacte, ils nous ont signifié que celui-ci avait pour vocation à faire évoluer le rôle des chefs d’établissement dans le système éducatif. On voit bien que ce rôle sera pivot. C’est lui qui réencensera les besoins, qui distribuera les briques de pactes entre les collègues volontaires. Les chefs d’établissements joueront donc un rôle centrale et décisif dans la mise en concurrence des personnels, qu’il y aura aussi une forme de pression sur les collègues pour vérifier la bonne réalisation des missions. Le pacte est donc un outil de new management qui aura des conséquences délétères sur les collectifs de travail.
Comment faire vivre un collectif de travail dans de telles dynamiques ?
Cela va être très difficile. On est dans une logique très individualiste de mise en concurrence. Finalement, la meilleure solution pour faire vivre les collectifs de travail, c’est de refuser de signer le pacte.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda