Manque d’effectifs réduits, horaires insuffisants et faiblesse de la formation initiale : le rapport publié ce mois d’avril 2023 par l’inspection générale dresse un état des lieux sur la façon de sensibiliser et de former à la démarche scientifique en France. À la suite des mauvais résultats des élèves français dans les études internationales, le rapport souligne la nécessité de formation dans le temps long sur la démarche scientifique. Le démarche d’investigation est pointée du doigt et le manque de formation des enseignants du 1er degré en sciences est souligné. L’enseignement scientifique proposé au lycée n’est pas non plus une réussite dans sa mise en œuvre. Comment est enseignée aujourd’hui la démarche scientifique ? Quelles sont les recommandations proposées ?
Un retour de l’histoire des sciences
Dans un contexte décevant après les études CEDRE, PISA et TIMSS sur l’enseignement des sciences en France, l’IGESR (inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche) prend le taureau par les cornes et dresse un bilan sans appel sur l’éducation à la démarche scientifique en France. « La démarche scientifique se définit comme un mode de production de savoirs qui s’appuie sur un ensemble de normes méthodologiques et éthiques », rappellent les auteurs du rapport qui observent « qu’une intention explicite de formation existe dans les programmes mais ne se concrétise que partiellement ».
Stipulée dans les préambules des programmes et identifiée dans les compétences du socle, la pratique de la démarche scientifique doit en effet gagner en clarté pour les enseignants et s’insérer davantage dans les contenus programmatiques. L’enjeu est important car cette formation à la démarche scientifique « conditionne la compréhension, par tous les citoyens des réponses que la science est en capacité d’apporter, ou non, aux multiples défis, sanitaires, climatiques, énergétiques ».
Le rapport rappelle les 3 dimensions de la formation à la démarche scientifique : les connaissances de contenu, les connaissances procédurales et les connaissances épistémiques sur la nature et l’origine des connaissances scientifiques. « Cette dernière est presque totalement ignorée ». Une systématisation des questions sur l’origine des connaissances scientifiques dans les sujets du brevet des collèges et du baccalauréat est demandée. Celui qui ne connaît pas l’histoire des sciences, n’est-il pas condamné à la répéter ?
Non-respect des horaires réglementaires
Dans les 109 pages du rapport, il est rappelé qu’au premier degré « 2h hebdomadaires sont réglementairement réservées à l’enseignement des sciences », soit 72h annuel. Après 160 visites de classes par l’IGESR sur le sujet et le rapport TIMSS 2019, le bilan est limpide : « L’horaire officiel n’est atteint que dans 20% des emplois du temps des classes visitées. Les activités expérimentales sont rarement mises en place. »
Le manque de matériel, l’organisation spatiale de la classe et la difficulté de la mise en œuvre de la démarche d’investigation sont les principales raisons relevées par les auteurs du rapport qui ont interrogé 96 personnes dont 17 enseignants. Côté équipement, l’enquête Timss 2019 révélait déjà que seulement 2% des écoles françaises ont un laboratoire pour expérimenter, 24% en Angleterre, 48% en Lituanie et 100% au Japon. Parmi les 18 recommandations proposées, le rapport n’indique pas de mesures en termes d’équipements.
Une formation des enseignants insuffisante
Une fragilité didactique des enseignants est soulignée dans le rapport, « cette fragilité se traduit par un inconfort des professeurs des écoles vis-à-vis des enseignements de sciences et de technologie ». 75% des élèves ont un enseignant qui n’a participé à aucune formation dans le domaine scientifique au cours des deux années écoulées. « La formation continue en sciences est la plus limitée des pays de l’Union européenne ». Déjà en janvier 2023, la table ronde organisée à l’Assemblée nationale pointait déjà la nécessité d’enseigner les sciences très tôt dans la scolarité.
Des actions de formation continue sont demandées ainsi qu’une plus grande place aux sciences et à la technologie dans le cursus de formation initiale des professeurs des écoles. Le rapport ne précise pas les modalités ni le nombre d’heures nécessaires. Par ailleurs, des questions sur la démarche scientifique pourraient être posées à l’avenir à l’épreuve orale des concours de recrutement.
La démarche d’investigation mise au placard
« La démarche d’investigation fait débat », souligne le rapport. A la page 47, il est indiqué que les tâches induites par la démarche d’investigation (DI) confèrent davantage d’autonomie aux élèves et conduisent à une activité cognitive plus grande. « Les élèves sont supposés devenir acteur de la construction des connaissances et des compétences ». Depuis les années 2000, la démarche d’investigation était la démarche à privilégier en cours de sciences.
« Difficile à mettre en œuvre », la DI « pose d’importantes difficulté », cingle le dossier qui demande de présenter aussi une approche explicite et même l’approche OHERIC (Observation, hypothèse, expérience, résultats, interprétation, conclusion) aux étudiants en master MEEF. Un juste équilibre entre « l’inventivité de l’enfant » et le protocole expérimentale jugé procédural voire « recette de cuisine » est sans doute à trouver.
L’inspection générale demande des moyens pour l’enseignement scientifique
Au lycée, les auteurs du rapport indiquent que l’écart de volume horaire passé en sciences a augmenté de près de 3h entre un élève qui ne choisit aucun enseignement scientifique et un autre qui choisit des spécialité et l’option maths en terminale, soit 13.5 heures de sciences hebdomadaires de plus pour les uns.
La mise en œuvre de l’enseignement scientifique dispensé au cycle terminal de la voie générale est vivement critiquée. « Les intentions sont contrariées par une mise en place hétérogène et souvent difficile ». La pandémie et les multiples ajustements n’expliquent pas tout. Ce cours, devenu magistral, s’effectue en classe entière dans la plupart des lycées. Comment enseigner correctement la structure cellulaire sans jamais pouvoir faire réaliser des observations microscopiques aux lycéens ? De la même façon, comment appréhender les cristaux seulement de façon théorique ? Un bon nombre d’enseignants regrette l’enseignement expérimentale proposée à l’époque en série ES et L où les travaux pratiques créaient de l’intérêt chez les élèves.
Le rapport de l’inspection indique que « la mise en œuvre de l’enseignement scientifique dépend fortement des moyens consentis par l’établissement. Le travail en effectifs réduits devrait être généralisé pour faciliter des activités expérimentales ». Une nouvelle analyse « à grande échelle des conditions de mise en place de l’enseignement scientifique » est demandé.
En attendant, l’inspection générale demande un fléchage des moyens pour une concertation de l’équipe pédagogique et pour dispenser les cours en effectifs réduits. Quand on veut, on peut, non ? D’ici là, on ne peut que conseiller aux enseignants la lecture de l’annexe 3 du rapport. Cet apport de connaissances précises sur la démarche scientifique comporte de nombreuses références.
Davantage de partenariats externes
Enfin, il est à relever qu’à plusieurs reprises, les auteurs recommandent de « former les futurs enseignants au montage de partenariats profitables aux apprentissages ». Une meilleure inclusion des interventions extérieures est suggérée. La recommandation 14 va même à indiquer « de passer d’une démarche d’externalisation simple à une démarche d’intégration aux enseignements pour faire évoluer les pratiques des acteurs de la culture scientifique et technique, ainsi que leur implication au sein des établissements ». A suivre !
Julien Cabioch
Lire le rapport sur la démarche scientifique
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