Peut-on sensibiliser les élèves, dès leur plus jeune âge, aux questions de racisme et d’égalité ? Lilian Thuram est convaincu que c’est possible et estime même qu’il est crucial de le faire car « très tôt nous sommes conditionnés aux préjugés », confie-t-il au Café pédagogique. C’est dans cet esprit que sa fondation, en partenariat avec la MGEN et la Casden, organise chaque année depuis 2010 le concours Nous Autres.
Le mardi 16 mai, plus de 400 élèves se sont réunis au musée du Quai Branly-Jacques Chirac pour recevoir leur prix dans le cadre du concours Nous Autres. Ce concours vise à aborder de manière ludique et pédagogique la déconstruction du racisme en classe. « Pour cette nouvelle édition, les élèves devaient réaliser une production plastique, musicale ou vidéo sur le thème de la défense de l’égalité entre tous les Hommes« , explique-t-on à la MGEN, qui accompagne le concours depuis 2010.
Les élèves, de la Petite Section à la troisième, étaient très excités à l’idée de participer à la cérémonie de remise des prix. Certains sont venus de loin pour recevoir leur récompense. Mais aussi, et peut-être surtout, pour rencontrer Lilian Thuram, le célèbre footballeur. Lorsqu’il est monté sur scène, il a été ovationné par des enfants de moins de 15 ans, dont certains parents étaient probablement à peine sortis de l’adolescence lors de sa parade mémorable sur les Champs-Élysées en 1998. A croire que cette magnifique page de l’histoire de France restera gravée dans les mémoires pendant plusieurs générations.
Dix-sept classes étaient présentes au musée, mais quarante-deux ont participé au concours. Puzzles, photos, vidéos… autant de productions réalisées par des élèves de tous âges et de tous horizons. Certaines provenaient de réseaux d’éducation populaire, d’autres d’écoles internationales. Pourtant, toutes avaient un objectif commun : promouvoir l’égalité et démontrer que tous les êtres humains sont égaux, peu importe leurs différences. Comme les élèves de ce dispositif ULIS qui ont présenté un roman photo sur les expériences capillaires. « Lorsque j’ai entamé une discussion sur les différences et ce concours, un élève m’a confié qu’il en avait assez qu’on touche ses cheveux sans autorisation« , explique l’enseignante qui est montée sur scène avec sa dizaine d’élèves. « Nous avons décidé de montrer que, en effet, nos cheveux étaient très différents, mais au-delà de cela, nous ne le sommes pas tant que ça ».
Lutte contre les stéréotypes dès le plus jeune âge
Mais pourquoi un tel concours ? Ce concours est né d’un constat : « On ne naît pas raciste, on le devient. Cette vérité est la pierre angulaire de la Fondation Éducation contre le racisme, pour l’Égalité« , déclare la fondation soutenue par Lilian Thuram. « Le racisme est une construction intellectuelle, politique et économique. Nous devons prendre conscience que l’Histoire nous a conditionnés, de génération en génération, à nous voir d’abord comme des Noirs, des Blancs, des Maghrébins, des Asiatiques… Nos différences deviennent des inégalités générées par des mécanismes de domination qu’il est nécessaire de déconstruire. N’est-il pas temps de nous considérer avant tout comme des êtres humains ? Nos sociétés doivent intégrer l’idée pourtant simple que la couleur de la peau, le genre, la religion, la sexualité d’une personne ne détermine en rien son intelligence, la langue qu’elle parle, ses capacités physiques, sa nationalité, ce qu’elle aime ou déteste. Chacun de nous est capable d’apprendre n’importe quoi, le pire comme le meilleur. »
Ce constat, Lilian Thuram, ancien joueur de football et vainqueur de la Coupe du Monde de 1998, le fait depuis près de vingt ans. « J’ai créé cette fondation alors que j’étais encore joueur de football à Barcelone, en 2008« , nous raconte-t-il. « En discutant avec les enfants, je me suis rendu compte qu’ils ne connaissaient pas l’histoire du racisme. Pour eux, le racisme était presque normal. Il me semblait donc important de leur montrer que non, le racisme n’est pas normal. Il est le résultat d’une construction, d’histoires racontées. » Selon le champion du monde, il était donc essentiel d’intervenir pour modifier ces représentations. « Participer au concours Nous Autres contribue à la déconstruction de ces représentations« , argue-t-il. « Et cela est possible dès le plus jeune âge. Cette déconstruction devrait même commencer dès le plus jeune âge, car très tôt nous sommes conditionnés aux préjugés. » Et lorsqu’on s’étonne de son implication dans un tel projet, Lilian Thuram rétorque : « On peut être joueur de football et s’intéresser à la société« .
Pour lui, c’est grâce aux enfants que la société de demain peut espérer devenir plus égalitaire. « Ce sont les enfants qui changent la société, les adolescents qui remettent en question les concepts de la société dans laquelle nous vivons et en rejettent certains. Historiquement, ce sont eux qui font évoluer la société vers plus d’égalité. » Le concours coorganisé par sa fondation contribue à la construction d’une société plus égalitaire.
Au ministère, le discours du joueur de football fait l’unanimité. « Avec ce concours, les élèves s’engagent dans les enjeux de l’EMC« , explique Sébastien Valenti du Bureau de l’égalité et de la lutte contre les discriminations de la DGESCO. « Ils travaillent sur des questions de citoyenneté, de développement de l’esprit civique, d’analyse et d’identification des stéréotypes et des préjugés liés aux origines. C’est une initiative prometteuse et intéressante, car il existe peu d’actions ciblant un public aussi jeune. »
Lilia Ben Hamouda