Vivien Mirebeau enseigne la philosophie en lycée. « J’ai toujours été intéressé par les sciences et les techniques, plus spécifiquement l’informatique et la programmation – que je pratique de façon irrégulière depuis mon adolescence » nous explique-t-il. Il a créé PhiloGPT pour « discuter » avec de grands et grandes philosophes. Il répond à nos questions.
Qu’est-ce que PhiloGPT ?
PhiloGPT est une extension pour le navigateur Chrome permettant à l’utilisateur de simuler un dialogue avec les grands et grandes philosophes de la tradition. Son interface ressemble à celle d’une application de chat classique, avec une zone au bas de la page permettant de saisir du texte, et une large zone centrale affichant l’historique de la conversation en cours. L’interlocuteur pourtant, n’est pas un humain : c’est Platon, Descartes ou Hume, incarnés par chatGPT.
D’un point de vue technique, comment tout cela fonctionne ?
Cette extension (gratuite et open source) repose entièrement sur les capacités génératives de chatGPT. Elle n’apporte que deux choses. D’abord, une interface de chat qui remplace celle de chatGPT. Pour cela, on s’appuie très largement sur les codes d’un projet opensource, chathub (développé par le programmeur chinois Wang Dàpéng). Ensuite, un jeu d’instructions envoyées à chatGPT pour cadrer les discussions de l’utilisateur. Précisons ce point. On appelle « prompt » le message qu’on envoie à un système d’intelligence artificielle. Ce prompt peut être précédé d’un « preprompt », un texte additionnel qui fournit des instructions destinées à cadrer la façon dont le système interprétera le prompt. Par exemple, si on se contente d’envoyer à chatGPT le prompt « quel est le plus haut sommet sur Terre ? », on obtiendra la réponse correcte que donnerait un agent conversationnel classique, utile et serviable : l’Everest. Cependant, si on fait précéder ce prompt du preprompt : « Imagine que tu es un Grec de l’Antiquité », la réponse devient l’Olympe.
L’idée sur laquelle repose PhiloGPT est la suivante : on fournit une interface de chat qui masque l’intégralité des preprompts, pour ne laisser apparents que les prompts de l’utilisateur et les réponses de chatGPT. L’utilisateur ne voit pas comment le personnage avec lequel il interagit a été explicitement renseigné à chatGPT, cela permet de créer l’illusion qu’il communique directement avec le personnage.
Il est nécessaire d’avoir un compte OpenAI (gratuit) et de s’y connecter pour faire fonctionner le système.
Quelles sont les fonctionnalités actuelles ?
L’utilisateur peut discuter avec 23 philosophes de la tradition, classés par période historique. Une fonctionnalité utile est intégrée sur la partie gauche de l’écran : des questions spécifiquement adaptées à l’interlocuteur sont suggérées à l’utilisateur, qui peut ainsi découvrir des thèses et des problèmes qu’il ne soupçonnait pas. Un écran de présentation donne quelques informations sur le philosophe, ses thèmes et ses concepts propres.
Quel est l’intérêt pédagogique de ce dispositif ?
Ce dispositif est pensé pour les élèves de Terminale. Il a d’abord l’avantage de suggérer un rapport ludique et détendu à la philosophie. Surtout, les capacités très impressionnantes de chatGPT permettent de répondre de façon souvent pertinente aux interrogations de l’utilisateur : en particulier, chatGPT est très efficace quand il s’agit de simplifier un concept, d’exemplifier une thèse, de commenter une citation. Les grandes idées des penseurs de la tradition sont déjà globalement intégrées dans les données d’entraînement du système, de sorte qu’un preprompt générique suffit souvent pour obtenir des réponses correctes.
L’usage le plus immédiat de cette extension, c’est une libre discussion avec les philosophes disponibles. On peut cependant imaginer des usages plus encadrés. On propose une question de dissertation à l’élève, et on lui fournit une liste de philosophes qui auraient une réponse intéressante à cette question (ex : Faut-il craindre la technique ? Descartes, Marx, Heidegger, Jonas…). L’élève explore les différentes réponses, et à partir des dialogues qu’il a pu mener, essaye de composer un plan qui mette en discussion les pensées de ces philosophes.
On peut aussi proposer à l’élève de poser une question à un philosophe déterminé, et de noter la réponse. Ensuite, on lui demande de vérifier que PhiloGPT a bien répondu de façon fidèle : il doit identifier les sources, et comparer ce qu’il lit dans les œuvres originales et ce que PhiloGPT affirme. Ce dispositif a le mérite de s’appuyer sur le sens critique de l’élève, et de l’inviter à un travail de recherche autonome – un travail qui ne peut pas être mené par chatGPT lui-même !.
Quelles en sont les limites ?
La limite principale tient au caractère erroné de certaines réponses, quand les informations demandées sont trop spécifiques. Par exemple, lorsque dans les premières versions vous demandiez à Descartes ce qu’est la générosité, celui-ci vous répondait un verbiage moralisateur sans aucun rapport avec le concept subtil développé dans les Passions de l’âme. Pour pallier cette faiblesse, l’idéal serait d’entraîner chatGPT sur le corpus complet des œuvres de chaque auteur – mais c’est une solution qui impliquerait un recours payant à l’API d’OpenAI. La solution déployée depuis la version 1.3 consiste à transmettre dans le prompt des éléments doctrinaux précis qui assurent une réponse correcte. Cela a nécessité la constitution d’une petite base de données interne répertoriant des explications sur les grands concepts et théories des philosophes de la tradition. Comme souvent dans les technologies actuelles d’IA, le système repose donc largement sur l’invisibilisation d’une intelligence tout à fait humaine.
Propos recueillis par Hans Limon