Pour No Ghetto, la boîte à outils qui fait office de Plan mixité présentée par le Ministre est insuffisante. Selon l’association lyonnaise, des empêchements structurels empêchent ce Ministre, mais aussi les précédents, d’avancer sur le dossier de la mixité sociale à l’école. Pierre Obrecht, membre du bureau de No Ghetto, nous livre l’analyse de l’association.
Qu’est-ce que No Ghetto?
No Ghetto est une association constituée en 2019 par des habitants de la banlieue lyonnaise qui découvrent un projet de construction d’un collège entre deux zones urbaines sensibles. Convaincus que ce site d’implantation sera à l’origine d’un “collège Ghetto”, ils tentent de sensibiliser la collectivité locale – la métropole de Lyon – pour qu’elle trouve un autre lieu de construction, en vain jusqu’à présent. Depuis, l’association s’est enrichie de nouveaux membres et de nouvelles compétences. Nous sommes arrivés à la conclusion que les collectivités locales qui pourraient utilement œuvrer pour plus de mixité sociale dans les collèges ne le font pas car le risque politique et électoral est trop important. A l’exception de quelques élus courageux, les départements continuent à raisonner de manière capacitaire en construisant le nombre de classes nécessaires pour leur démographie scolaire, sans jamais se soucier de la question de la mixité sociale et d’origine au sein des établissements. Un tel aveuglement est désormais impensable car, depuis la publication des IPS, la ségrégation sociale, qui était bien visible, est désormais objectivable.
Pas de plan pour la mixité finalement, déçu?
Tout d’abord, il convient de remercier l’actuel ministre d’avoir remis la question de la mixité sociale à l’école à l’agenda politique. Depuis la loi du 8 juillet 2013, cette notion avait consciencieusement été oubliée ! Ce n’est pas parce que le chantier est difficile qu’il faut s’acharner sur celui qui tente de l’engager. Mais en effet, comme de nombreux enseignants, chercheurs ou même simples citoyens qui s’inquiètent du peu de mixité sociale dans les collèges, la réduction du plan mixité à la présentation d’une “boîte à outil à l’attention des recteurs” est plus que décevante. Cette déception s’explique aussi par le contraste entre l’ambition affichée par Pap Ndiaye et la feuille de route minimaliste donnée à son administration. Sans communication officielle à ce jour, il faut s’en remettre aux informations dont la presse s’est fait l’écho. La situation politique actuelle étant complexe, le gouvernement n’aurait pas jugé opportun d’ouvrir une nouvelle boîte de pandore… Mais il faudra bien un jour traiter cette question qui dépasse selon nous la seule dimension éducative. Même si les études démontrent qu’un collège socialement mixte ne nuit en rien à la réussite scolaire, nous nous mobilisons d’abord pour faire en sorte que tous les élèves de la 6eme à la 3eme aient la possibilité de faire l’expérience de l’altérité. C’est une condition nécessaire et indispensable à la vie en société. Or, actuellement, l’urbanisme comme l’internet produisent de l’entre soi et de la communauté. L’urbanisme en raison de politiques de logement erratiques qui n’arrivent pas à casser les ghettos, qu’ils soient de riches comme de pauvres. L’internet à cause des bulles de filtres informationnelles générées par des algorithmes qui définissent un univers toujours plus homogène. On produit ainsi des générations de gamins qui vivent dans des univers géographiques et cognitifs séparés. Il ne faut pas s’étonner ensuite si, quand ils se rencontrent, cela produit des étincelles ! C’est la raison pour laquelle nous nous mobilisons pour que le collège demeure cet espace de rencontre et de mélange d’élèves de différentes origines, de différents milieux.
Vous évoquez un empêchement structurel qui empêcherait le ministre d’agir pour plus de mixité sociale à l’école dans le public et dans le privé. De quoi s’agit-il?
Le ministère comme les responsables de l’enseignement privé l’ont bien expliqué. Il ne peut pas y avoir de mesures réglementaires contraignantes pour plus de mixité sociale car chaque établissement privé est somme toute une entreprise indépendante. Le secrétariat général pour l’enseignement catholique avec qui discute le ministère n’a aucun pouvoir sur ses écoles, chacune définissant comme elle l’entend sa politique tarifaire et son recrutement. Autant dire que le “Protocole Mixité” qui devrait être signé entre l’Etat et l’Enseignement catholique n’est qu’une simple promesse sans aucun engagement réel. D’autant plus que le critère a priori retenu – le pourcentage de boursiers – n’est pas celui que nous devrions désormais retenir pour mesurer la mixité sociale : l’indice de position sociale.
Cette impuissance réglementaire dans le privé se retrouve pour l’enseignement public. Le ministre a beau demander à son administration de viser une réduction de 20% de la ségrégation d’ici 2027, les recteurs n’y pourront pas grand-chose. Puisque la majeure partie de la ségrégation provient de la sectorisation scolaire et que celle-ci dépend en dernier ressort des collectivités territoriales, si les élus des conseils départementaux ne veulent pas avancer sur ce dossier, rien ne se passera. Les politiques d’attractivités des établissement ont prouvé leurs limites et ce n’est pas parce qu’une classe de latin-grec sera créée aux Minguettes qu’on cassera les collèges ghetto. Tout ministre qu’il est, Pap Ndiaye ne pouvait donc pas s’appuyer sur ses seuls pouvoirs pour avancer sur la question de la mixité sociale.
Quelles solutions préconisez-vous?
Tout d’abord, notre association a toujours évité de parler de l’école privée, même si nous n’ignorons pas le problème. Ré-ouvrir la guerre scolaire est selon nous la meilleure manière de provoquer des réactions disproportionnées qui se soldent en général sur un statu quo.
Or nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle et maintenant, il faut agir.
Puisque la ségrégation scolaire a pour principale origine la ségrégation géographique, le collège nous semble être le bon échelon pour mettre en place des politiques de mixité sociale. Il est difficile d’imposer à des élèves d’élémentaire des trajets trop importants et les spécialités choisies dans les classes du lycée diminuent l’efficacité d’un ajustement de la sectorisation. Les conseils départementaux sont donc en première ligne pour agir, mais le plus souvent ils ne font rien. Et pour une bonne raison : Changer la sectorisation et promouvoir la mixité sociale c’est s’assurer d’une bronca de la part des parents, quelles que soient leurs origines d’ailleurs. Et le propre d’un élu, c’est d’éviter de faire trop de mécontents…
L’article L 213-1 du code de l’éducation prévoit actuellement que les départements peuvent modifier la sectorisation pour améliorer la mixité sociale. Nous préconisons de changer la loi et de remplacer cette possibilité par une obligation. Les élus locaux seraient donc obligés de prendre en compte la dimension de mixité sociale pour choisir le site d’un nouveau collège ou pour ajuster la carte scolaire. Mieux, ils pourront s’abriter derrière cette obligation imposée par l’État pour expliquer qu’ils ne peuvent pas faire autrement. Et pour rendre le dispositif cohérent, il conviendrait aussi de confier aux départements la gestion des demandes de dérogation actuellement curieusement confiées aux rectorats. Nous aurions ainsi des élus locaux responsables disposant de l’ensemble des manettes. C’est notre côté girondin ! Des élus dont les décisions – ou les non-décisions – pourraient d’ailleurs être contestées devant le juge administratif si par exemple un département refusait obstinément de ne pas changer sa sectorisation pour diminuer le taux de ségrégation désormais mesurable par les IPS. Mais il faut pour cela, comme cela a été le cas pour imposer un pourcentage de logements sociaux dans toutes les communes, une loi qui oblige et qui fixe un cap. C’est la raison pour laquelle nous continuons à tenter de convaincre des parlementaires de la nécessité d’une proposition de loi transpartisane. Sur un sujet comme la lutte contre la ségrégation scolaire, il ne nous semble pas impossible de trouver une majorité… c’est tout du moins ce que nous croyons !
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda