Claire Lommé participera au salon culture et jeux mathématiques qui aura lieu à la fin du mois à Paris. L’enseignante de mathématiques partage avec les lecteurs et lectrices du Café pédagogiques les questionnements qui l’ont traversé pour organiser ses différentes interventions. Et comme toujours avec Claire Lommé, on peut lire son amour pour les mathématiques en filigramme.
Du 25 mai au 28 mai se tiendra le Salon culture et jeux mathématiques, place Saint Sulpice à Paris. Cet événement est organisé par un consortium constitué d’associations, fondations et sociétés savantes. On y trouve des exposants, des intervenants, des animations, évidemment autour des mathématiques, mais pas seulement : c’est une grande fête qui permet aux scolaires et aux familles de profiter de tous les aspects surprenants, ludiques et fantaisistes des maths.
Cette année, j’ai l’occasion d’aller au Salon pendant quatre jours. Ce sera sans doute ma seule opportunité, alors je compte bien en profiter à fond. Je vais, comme chaque année depuis la création de cet événement, me promener dans les stands, retrouver des matheux et matheuses professionnels ou occasionnels, mais je vais aussi animer : des ateliers autour d’albums, d’autres sur les anamorphoses ou de pliage, des balades, une petite conférence, mine de rien ce sont 12 interventions que je vais faire vivre. Et devoir préparer tout cela m’a vraiment apporté beaucoup d’énergie, à un moment un peu entre deux eaux de l’année et de ma carrière. Au point de me donner envie de m’engager plus avant dans la médiation mathématique, d’ailleurs.
Mais créer un atelier n’est pas chose facile : je me suis heurtée à des obstacles de taille, qui m’ont amenée à devoir réfléchir autrement. J’ai l’habitude d’animer des séances de classes, y compris sur des temps contraints ou face à des publics que je n’ai jamais rencontrés. Pourtant, la médiation et des interventions d’enseignement, c’est très différent.
Premier obstacle : vous êtes avec moi ?
Je vais avoir en face de moi plusieurs publics différents : des classes en balade, des scolaires hors temps scolaire, des adultes non enseignants et des enseignants. A chacune et chacun il faut que j’arrive à donner quelque chose qui l’enrichit. Pour cela, je dois commencer par enrôler, puis maintenir un souffle suffisant pour faire surmonter les obstacles inévitables qui se présenteront. J’ai donc prévu de faire le clown comme d’habitude, de ne surtout pas me prendre au sérieux (ce qui tombe plutôt bien ; le contraire eût été compliqué), d’avoir en poche différents niveaux d’adaptation de toutes mes tâches (ce qui m’a demandé pas mal de boulot, quand même) et de préparer des appuis pour les personnes qui se trouveraient en trop grande difficulté pour pouvoir avancer : des amorces, du matériel coup de pouce, des variantes.
Cet obstacle-là, finalement, est plutôt aisé à gérer car c’est déjà ce que nous faisons au quotidien en classe, nous enseignants. Mais quand même : intervenir devant des publics en balade, même dans un contexte scolaire, c’est très différent. Ce public n’est pas « captif » de la même façon. Il y a là un aspect événementiel qui induit naturellement une attente, alors que l’école, pas toujours.
Deuxième obstacle : quelle heure il est, là ?
Mon gros obstacle à moi est là : la gestion du temps. Dans mes classes, quand je vois que je n’ai pas le temps, je reporte à la fois suivante sans hésitation. Dans les classes des collègues, en général on peut pousser un peu la séance d’après, ou me faire revenir une autre fois. Là, non. Catégoriquement non : une fois que c’est fini, paf, je commence l’atelier suivant. Il faut donc que ce que j’ai prévu tienne en 45 minutes. Et avec le temps de dire coucou au début et boujou à la fin, d’expliquer le quoi, le comment et le pourquoi, hé bien c’est assez tendu. Je ne suis pas certaine que ça marche, même si je me suis entraînée sur des cobayes, évidemment. Alors suspense, on verra. Je vais bien veiller à mon sommeil et à ma forme d’ici là, pour être concentrée a fond pour chaque intervention.
Troisième obstacle : mais qui êtes-vous ?
Un obstacle rigolo, c’est que je ne sais pas tout à fait qui j’aurai en face de moi : lorsque ce sont des groupes d’élèves, je sais que ce sont des écoliers ou des collégiens. Mais bon, entre des tout-petits, des CE1 et des CM2, ou entre des 6e et des 3e, la problématique est différente. J’ai donc ici encore adapté à fond. Sur les anamorphoses, par exemple, j’ai prévu un niveau cycle 2, un niveau cycle 3, un niveau cycle 4 et un niveau adulte. Mais avec les mêmes supports, parce que je pars avec une valise et c’est tout, et que la démultiplication de supports risque d’induire de la confusion dans ma tête, qui doit rester claire autant que possible. Je me laisse déjà sans cesse distraire par tout ce qui me surprend ou me paraît rigolo autour de moi, alors si je dois gérer des versions différentes de feuilles d’activités ou de matériel, c’est fichu. J’ai beaucoup aimé cette contrainte-là : simplifier pour rendre plus universel. Ca m’a pas mal pris le chou, mais je crois que j’ai réussi.
Quatrième obstacle : pourquoi on est là, déjà ?
C’est bien gentil, de penser à susciter et attiser l’intérêt, de prévoir un atelier express qui ne peut pas déborder sur le temps imparti et de se préparer à s’adapter à des groupes de la maternelle à la troisième, mais encore faut-il savoir pourquoi on est là, toutes et tous. Alors en principe c’est simple : pour faire des maths, ok. Mais c’est quoi, FAIRE des maths ? Et c’est quoi, faire des MATHS ? Il m’a fallu dégager l’anecdotique, qui parfois m’amusait tant, pour accéder au cœur de ce que je propose, et au lien avec les notions des programmes ou avec les compétences qui décrivent l’activité mathématique. La plupart du temps cela n’a pas été compliqué, grâce à l’expérience de formation et d’animation dans les classes d’écoles et de collèges qui font appel à moi, mais c’est toujours régénérant de se reposer cette question : qu’est-ce que l’activité mathématique, et comment placer les tout-petits, les jeunes enfants, les préados, les ados ou les adultes en situation de vivre cette activité en en profitant pleinement, et pas seulement comme un bon moment ludique (ce qui serait déjà ça, mais j’espère bien plus).
Maintenant, il me reste à finaliser la préparation matérielle : collecter les feuilles, les crayons de couleur, la pâte collante dont j’ai besoin. C’est cette petite partie hyper concrète mais absolument cruciale dont je dois m’assurer, et je pourrai remplir ma valise, pour partir faire vivre mes si belles et si joyeuses mathématiques. Si vous passez là-bas, venez donc me faire un coucou, si le cœur vous en dit.
Claire Lommé