Peut-on apprendre le cinéma et sa pratique par l’enseignement ? Si oui, comment ? Quels chemins empruntés pour écrire un scénario en particulier ? Frédéric Sojcher, directeur du département spécialisé en la matière à l’Université de Paris 1 Sorbonne, scénariste et réalisateur lui-même, nous propose, avec « Le Cours de la vie », son cinquième long métrage, une fiction originale, en forme de masterclass « in vivo », apportant des pistes insoupçonnées à ces questions cruciales. Le cinéaste et son complice, Alain Layrac, auteur de l’ouvrage « Atelier d’écriture » (Hémisphères, 2019) et dialoguiste ici, imaginent une situation dramatique propre à susciter la réflexion chez les auteurs en herbe et les jeunes fans de cinéma attirés par l’exercice de cet art.
Immersion en plein cours dispensé par une scénariste exceptionnelle
Noémie (Agnès Jaoui, à l’interprétation vibrante), scénariste talentueuse et renommée, venue de Paris à l’invitation de son « amour de jeunesse », Vincent (Jonathan Zaccaï, au jeu retenu), directeur d’une école supérieure de cinéma à Toulouse, s’apprête à donner une masterclass inhabituelle en amphithéâtre devant les étudiants de dernière année. En dépit de la posture modeste et de l’attitude généreuse de la dite enseignante, l’auditoire se montre d’entrée de jeu à la fois intrigué, voire impressionné. Nous-mêmes sommes saisis immédiatement par la mise en abyme introduite par le choix de la comédienne Agnès Jaoui, autrice et réalisatrice elle–même, et non des moindres, pour incarner ce personnage central, face à de jeunes adultes pour la plupart non professionnels, apparaissant pour la première fois à l’écran.
Pourtant, loin de creuser l’écart, le déroulement de cette longue séance, le temps d’une journée de printemps -interrompue par quelques pauses à l’extérieur, maillons d’une autre histoire de la vie entre adultes, Noémie et Vincent en l’occurrence, laquelle continue à s’écrire dans l’actualisation d’un passé douloureux et au fil de ses déchirures présentes- libère peu à peu la parole des étudiants et éveille leur imagination grâce à la façon patiente, rigoureuse et créative dont la praticienne aguerrie du scénario ouvre sans cesse de nouvelles portes.
Sans dévoiler les détails de la méthode chère à Noémie, laquelle n’a rien à voir avec la description de recettes ou la révélation de secrets, nous appréhendons, en même temps que les élèves s’en emparent, la ‘méthode’ d’écriture proposée à partir de l’observation des autres et de soi-même ; comment de l’expérience vécue constituer les jalons de constructions inédites, faire surgir l’imaginaire en posant l’hypothèse ‘et si…’.
Au fond, nous découvrons, dans ce petit laboratoire et cette unité de lieu, de temps et d’espace propre au théâtre, à quel point la réalité et la fiction se mêlent, le cinéma et la vie se nourrissent l’un de l’autre pour qui sait aimer intensément.
Inachèvement de la vraie vie, cinéma, cœur révélateur
Dans les plis de la fiction visible (la masterclass et ses avancées au fil de la relation tissée entre la professeure invitée et ses élèves occasionnels), se dessine par bribes l’histoire d’amour que deux étudiants en cinéma, Noémie et Vincent, trente ans plus tôt ont connue dans la fougue de la première fois ; un bref amour de jeunesse que Noémie a rompu par un départ précipité, accompagné d’une lettre d’adieu conservée et jamais ouverte par Vincent, comme on garde la trace d’une blessure inguérissable. Nous comprenons peu à peu que l’un et l’autre, par des chemins divergents, ont ‘refait’ leur vie, noué d’autres liens conjugaux et familiaux, connu d’autres tourments et pertes. Et que peut ressurgir au-delà de la peine et du trouble une tendresse profonde, intacte.
Et la rencontre tardive provoquée dans un cadre professionnel par le directeur de l’école de cinéma avec celle qui est devenue scénariste reconnue, à travers un acte de transmission (l’enseignement de l’écriture cinématographique à une nouvelle génération) possède un pouvoir cathartique et permet à cette lointaine ‘passion secrète’ d’affleurer à nouveau dans une expression délicate et apaisée.
Au-delà des intentions du réalisateur concernant les troubles amoureux des aînés ainsi réactivés, les personnages adultes (Vincent, Louison pourtant incarnée avec finesse par Géraldine Nakache, le patron du restaurant et aspirant-scénariste…) ont parfois du mal à exister tant la fiction est littéralement irradiée par la présence exceptionnelle d’Agnès Jaoui, sa puissance de jeu et son pouvoir d’aimantation.
Son parcours artistique fécond hors des sentiers battus rejaillit ici dans la mise en scène du travail accompli avec les élèves en cinéma jusqu’à ce spectacle collectif chanté et dansé dans la cour de l’école. Un ensemble fictionnel magnifié par la composition musicale du grand Vladimir Cosma. Dans la peau de Noémie, scénariste, enseignante et amoureuse de la transmission, Agnès Jaoui irrigue le cœur du film de Frédéric Sojcher de correspondances foisonnantes entre l’amour et la création, l’art et la vie. Une leçon sans ostentation pour tous les aventuriers, présents et à venir, du 7ème Art.
Samra Bonvoisin
« Le Cours de la vie », film de Frédéric Sojcher-sortie le 10 mai 2023