Quelle est la fonction et l’importance des traces des apprentissages ? Christine Bauducco et Chrsitine Chaillol, professeures des écoles – la première à la retraire, la seconde toujours en poste, répondent à la question dans leur livre « Construire les traces des apprentissages maternelle ». Elles proposent aussi aux enseignants et enseignantes de maternelle de construire un classeur des savoirs pour rassembler les « traces construites par les élèves en fin de séquence ». Christine Bauducco répond aux questions du Café pédagogique.
Pourquoi s’intéresser aux traces et en particulier aux traces des apprentissages en maternelle ?
La mise en place du carnet de suivi des apprentissages et l’engouement pour les AIM (Atelier Individuel de Manipulation) ont multiplié l’utilisation des traces. À cela, s’ajoute la distance prise avec les exercices sur fiches qui a conduit les professeurs des écoles, de manière tout à fait compréhensible, à produire de nombreux supports écrits pour rendre visibles des activités qui restaient invisibles. Un foisonnement de traces, sous forme de cahiers de réussites, carnets de progrès, brevets, plans de travail qui florissent d’ailleurs sur les réseaux sociaux. Lors de mes conférences et animations sur le recueil « classeur des savoirs », sujet de notre précédent livre, la question des enjeux, de la nature, et de l’usage des traces était récurrente. Les questionnements des enseignants, la richesse des échanges et la capitalisation d’expériences, nous ont convaincu, Christine Chaillol (co-auteure) et moi, d’aller plus loin et d’écrire sur les traces parfois intitulées à tort, traces des apprentissages. Tout l’intérêt de ce travail a été de dévoiler l’implicite inscrit dans des traces pensées à hauteur d’enfant mais rédigées par l’adulte. Mais aussi d’établir les liens existants entre traces et pratiques pédagogiques, ce que nous illustrons en proposant la mise en place du dispositif classeur des savoirs. Nous démontrons combien la question des traces dans les classes de maternelle est un sujet essentiel.
La question des traces vous semble donc importante au cycle 1 ?
En effet. Notre analyse montre combien les traces utilisées dans les classes reflètent autant qu’elles influencent les gestes et postures des enseignants. Par exemple, lorsque les élèves utilisent des traces supports individuels d’activités validant de nombreuses compétences de motricité fine comme enfiler, visser, pincer, transvaser, etc… Ou lorsqu’elles sont organisées autour de rubriques – vie sensorielle, vie pratique, vie intellectuelle, leur enseignant adhère vraisemblablement à des pratiques inspirées de la méthode Montessori et orientées vers une conception individualisante du travail scolaire. Un enseignant qui met en œuvre un référentiel-mémoire-collectif comme le classeur des savoirs, recourt à un enseignement explicite ayant du sens pour lui et ses élèves. Il prend en compte la dimension collective dans les apprentissages. Il permet aussi la mémorisation et la restitution juste des compétences acquises.
Les recueils de traces des apprentissages sont nombreux. Comment les différentiez-vous ?
Pour les cahiers de réussites, de progrès, les brevets, on parle d’outil de l’élève, toutefois le repérage des apprentissages est le plus souvent – pour ne pas dire toujours – apporté, formulé et formalisé par le maitre. En général, l’élève intervient sur ces outils à sa demande, en collant une gommette verte ou une photo, en coloriant une vignette, en tamponnant une image. L’élève n’a pas explicité, verbalisé et mis en forme lui-même ce qu’il a appris ou ce qu’il sait comme dans un classeur des savoirs, voir même, simplement ce qu’il a réussi à faire. C’est là tout l’intérêt de s’interroger sur le contenu, la forme de ces traces et sur leur lisibilité par des enfants. Avec de petits tests et de nombreux exemples, nous montrons que des traces des apprentissages très largement illustrées, colorées, voulues à hauteur d’enfants, contrairement à ce qu’elles peuvent laisser croire, ne permettent pas toujours aux élèves de saisir le sens des activités, de s’approprier les apprentissages, de comprendre les enjeux de l’école.
Auriez-vous un exemple ?
On peut pointer entre autres, l’écart surprenant qui existe entre l’emploi du pronom JE et les termes utilisés ensuite. Un JE qui laisse penser que c’est l’élève qui a identifié les objets d’apprentissage, que c’est lui qui a dicté les mots transcrits par l’enseignant. Par exemple « JE… suis capable de tracer des lettres en respectant les points de départ et la chronologie des gestes » ou « J’…utilise le comptage dénombrement pour quantifier une collection ». Lorsque l’élève viendra tamponner cette compétence, même accompagnée d’une illustration – qui peut aussi questionner, que comprendra-t-il ? Saisira-t-il le lien avec ce qu’il a fait ? Quelle restitution en fera-t-il ?
Vous proposez des grilles de lecture pour l’analyse des traces utilisées par l’enseignant. Comment cela peut-il l’aider ? Existe-t-il une typologie de ces traces ?
Des typologies ont été décrites et proposées par des chercheurs comme Dominique Bucheton qui identifie 3 grands types d’écrits : écrits de synthèse, de travail et de recherche, de modélisation. Aurore Promonet, quant à elle, définit 5 catégories de traces écrites : traces support, produit, mixte, texte ou traces récit. Pour notre part, toujours collées à la réalité de la classe, nous nous sommes attachées à définir ce qui constitue vraiment les traces des apprentissages et leurs fonctions. Pour par exemple, ne pas confondre traces des apprentissages et traces des activités, pour différencier trace modèle d’exercice réussi et trace d’un savoir acquis… Ce que nous proposons aux enseignants, c’est d’identifier les paramètres des traces écrites qu’ils utilisent en appui sur ces grilles d’analyse. Nous apportons de plus un éclairage sur des points de vigilance. Des éléments qui devraient les aider dans leur réflexion sur les traces des apprentissages mises en œuvre dans leur classe et les accompagner sur des choix possibles ou lorsqu’ils construiront, avec beaucoup de créativité et d’investissement, leurs propres outils et leurs propres traces.
Vous mettez en avant le dispositif « classeur des savoirs ». De quoi s’agit-il ?
Le classeur des savoirs est un recueil collectif, en un seul exemplaire, des traces construites par les élèves en fin de séquence. Cet outil amène les élèves à comprendre et à rendre compte de ce qu’ils apprennent à l’école en l’explicitant, en le verbalisant puis en le formalisant par une trace écrite. Cette dernière est matérialisée par une fiche insérée dans un classeur, témoin de leur parcours scolaire. Pour que les élèves, et non le maître, aient la capacité de laisser une trace de leur apprentissage et non des activités auxquelles ils ont participé, l’enseignant doit lors de ses préparations se demander : « Qu’est-ce que je veux que mes élèves apprennent ? Qu’est-ce que je veux qu’ils retiennent ? ». Deux questions qui sont, pour nous, fondamentales, car elles permettent une identification juste des objets d’apprentissages et des enjeux cognitifs inscrits dans les situations que le maitre va proposer et qu’il pourra alors faire comprendre et partager avec ses élèves. C’est pourquoi cet outil est à la fois un outil pour les élèves et pour les enseignants. Une enseignante associe judicieusement « le classeur des savoirs » à l’image d’un iceberg dont la partie émergée, exposée à la vue de tous serait représentée par l’outil, par les fiches produites, et la partie immergée, la plus vaste et cachée par la méthodologie de l’enseignant, par les démarches mises en œuvre autour de la conscientisation des apprentissages par l’élève. Des témoignages de professeurs des écoles confirment qu’un des intérêts de l’outil est d’inspirer des démarches favorisant le développement d’un enseignement explicite et d’ouvrir la voie à des changements de posture qui contribuent à la réussite des élèves.
De plus, cet outil peut être inscrit dans un projet d’école, ce support alors partagé par les enseignants facilite la mutualisation, offre un cadre de travail collectif qui inscrit une linéarité et une cohérence dans le parcours de l’élève tout au long du cycle 1.
Pour optimiser la mise en œuvre de ce support de traces spécifique « le classeur des savoirs », nous présentons une méthodologie ancrée dans des témoignages d’enseignants et dans la réalité du contexte de la classe. Nous expliquons comment sa mise en œuvre apporte des pistes pour l’enseignement souvent problématique du langage et de la langue, combien il renvoie une image valorisante de l’école maternelle auprès des parents. Et petit plus, combien il simplifie la vie des enseignants pour le remplissage du carnet de suivi.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
« Construire les traces des apprentissages maternelle » de Christine Bauducco et Christine Chaillol. Retz. ISBN : 9782725643533