Fabienne Maillard, sociologue et professeure de sciences de l’éducation à l’université Paris 8 et Vincent Troger, chercheur associé au CREN – Centre de Recherche en Éducation de Nantes sont tous deux des spécialistes de la question du lycée professionnel. Ils réagissent aux annonces présidentielles du 4 mai dernier.
Pour Vincent Troger, il n’y a pas vraiment de changement par rapport à la réforme de 2018. « Partenariats renouvelés avec les entreprises pour l’insertion des jeunes, taux d’insertion de chaque formation rendu public, suppression des filières peu insérantes … Toutes ces annonces n’ont rien de nouveau. Depuis 40 ans, on recycle les mêmes idées. Mêmes l’indemnité de stage est une idée qui remonte à Claude Allègre… ». Le chercheur explique ce recyclage d’idées par le manque de marche de manœuvre possible. « Depuis qu’il existe, le lycée professionnel a pour fonction de former les ouvriers, aujourd’hui des employés. Les solutions ne sont pas multiples. Soit on décide de faire des formations plutôt générales et à la sortie les entreprises finalisent les formations. Soit on décide de faire une formation en adéquation avec le bassin d’emploi en proposant des formations très précises qui font plaisir aux entreprises à court terme Cette dernière solution ne fonctionne jamais. Il faudrait enfin se rendre compte que les jeunes ne font jamais ce qu’ils avaient prévu de faire lorsqu’ils étaient à l’école, que parfois ils entrent dans une formation par défaut… Des jeunes qui cherchent en plus à mettre du sens dans leur métier ». Selon Vincent Troger, cela fait des années que les chercheurs le martèlent, mais les politiques n’entendent rien ou ne veulent pas entendre. « Les métiers changent vite, le marché de l’emploi est variable, les entreprises elles-mêmes ne savent pas trop quels seront les métiers de demain » ironise-t-il.
Une réforme décidée « en haut » complétement déconnectée de la réalité
Sur la référence constante à l’apprentissage, il tempère. « Cela fonctionne un peu plus, le jeune est dans l’entreprise, l’entreprise participe à sa formation. Et encore, les chiffres ne sont pas si nets. Et il ne faut pas oublier que tous les jeunes n’ont pas le même accès à l’apprentissage, comme à l’emploi. Le niveau de coloration de la peau, les origines jouent un rôle que nul ne peut nier ». Concernant les professeurs associés, il assure que cela fait trente ans que l’on en parle et que l’on dit « oh c’est une bonne idée, faut qu’on le fasse ! ». « Mais ce n’est pas si simple, il faut réussir à faire collaborer des personnes qui ont des logiques complètement différentes ».
Avoir 100% d’insertion à la fin du lycée professionnel, c’est donc « n’importe quoi ». « Et tout le monde le sait. Mais tout le monde court après. C’est si mal connaître les jeunes, le marché de l’emploi que de penser qu’il est possible que 100% des jeunes sortant de lycée professionnel entreront sur le marché de l’emploi. Ou c’est faire de fausse promesse. Le raisonnement de base de l’adéquation formation-emploi à l’échelle des 15-18 ans, cela n’a plus de sens. Cela n’en avait déjà pas beaucoup, cela en a encore moins aujourd’hui ».
Pour Vincent Troger, « il faudrait prendre du recul, se dire que le problème est beaucoup plus large que cela, que c’est la question de comment des jeunes dans une société relativement riche trouvent leur place en entrant progressivement sur le marché du travail et comment on les accompagne ». « Et quand il y a des métiers en tension, c’est le problème des entreprises, elles n’ont qu’à payer un peu plus leurs employés. Ce n’est pas le problème de l’École » tempête-t ’il.
« Macron s’amuse à refaire ce qu’il avait déjà essayé de faire en 2018, et ce que d’autres avant lui avaient essayé mais la vraie question est : est-ce que l’on fait de l’enseignement professionnel une alternative intéressante à l’enseignement général – une formation plus dans l’action, dans la réalisation que l’enseignement général où des élèves s’ennuient ? ». « Cette réforme ce sont des idées prises en haut qui leur semblent intéressantes mais qui sont complétement déconnectées de la réalité » conclut-il.
« Une réforme d’une absurdité invraisemblable »
Fabienne Maillard est beaucoup plus radicale. « C’est une politique rétrograde. Elle rappelle exactement ce qui s’est passé au XIXème siècle et ce contre quoi les politiques publiques se sont battues car cela ne fonctionnait pas. L’apprentissage n’est pas la bonne solution si on veut favoriser la polyvalence, l’adaptabilité, l’économie des connaissances. Si on veut faire en sorte que les compétences soient transférables » explique-t-elle en faisant le lien avec un apprentissage, « très coûteux pour l’État, donc nous, puisque France compétence affiche un déficit qui se calcule en milliard d’euros ». Selon la gratification est une façon « d’appâter » les élèves. « C’est une conception de la formation des jeunes qui est d’une absurdité invraisemblable ». « On paie la politique d’apprentissage, on va payer la gratification d’élèves pour qu’ils travaillent ! On permet aux entreprises d’avoir des travailleurs que l’on paie nous, c’est n’importe quoi » s’emporte Fabienne Maillard. Pour la chercheuse, il suffirait de généraliser le système de bourse déjà existant si l’enjeu est de permettre à des jeunes en grande difficulté sociale de poursuivre leur scolarité sereinement.
Sur le terme « excellence » beaucoup utilisé par les équipes de l’Élysée et le Président lorsqu’ils évoquent la voie professionnelle, elle ironise. « Quand ils ont rénové le CAP en 2002, ils évoquaient déjà l’excellence en l’associant aux jeunes en difficulté scolaire. La manière dont la voie professionnelle est traitée et cette réforme n’ont rien à voir avec une politique qui la valoriserait dans la hiérarchie scolaire. Il y a une méconnaissance totale de ce qu’est la voie professionnelle, de ce que sont les élèves et de ce qu’est le marché du travail. Je me méfie donc de l’emploi de ce qualificatif ».
Et pour le localisme, c’est pareil. « C’est le retour à avant la seconde guerre mondiale. Si on a arrêté, c’est parce que le diplôme n’était pas reconnu ailleurs que dans les entreprises locales. S’il n’y a plus de CAP départementaux, ce n’est tout de même pas par hasard… ».
Lilia Ben Hamouda