Faut-il se contenter de si peu et si mal ? C’est la question qui va se poser aux enseignants. Car les mesures de revalorisation annoncées le 20 avril par Emmanuel Macron ne répondent ni aux attentes des enseignants ni aux observations des syndicats. Le président de la République semble plus soucieux de multiplier les rémunérations à la carte, permettant aux hiérarchies locales de reprendre en main les enseignants, que de reconnaitre réellement les difficultés du métier. Plutôt que d’écouter les représentants des enseignants, là aussi, Emmanuel Macron avance seul, imperméable aux besoins d’une profession épuisée à qui il en demande encore plus.
Un effort d’attractivité ?
C’est difficile de critiquer une « revalorisation« . D’abord parce que les intéressés ont été tellement paupérisés au fil des années, que le moindre euro sera bon à prendre. Certes les enseignants ont toujours été payés chichement. Mais le blocage du point d’indice pendant la dernière décennie a creusé l’écart non seulement entre les professeurs français et leurs collègues européens mais aussi, par le jeu des primes, entre eux et les autres fonctionnaires. Concrètement un professeur qui percevait le même salaire qu’un officier de police gagne aujourd’hui autant qu’un gardien de la paix. On comprend que la profession soit devenue peu attractive.
Reconnaissons que mis au pied du mur, le ministère fait des efforts pour améliorer les débuts de carrière. C’est uniquement là que l’évolution de la rémunération se voit, en partie d’ailleurs grâce aux mesures antérieures. Et encore, à la condition d’oublier que les nouveaux professeurs ont perdu une année de salaire en M2.
En fait de revalorisation, le ministère ne se soucie que du recrutement initial, comme si le métier devait devenir, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons, un passage temporaire dans une vie de travail. Pour le reste de la carrière, il y a peu de changement. La hausse de l’ISAE ou l’ISOE compense la seule inflation de 2023. Quant aux mesures d’accélération de carrière, elles ne vont concerner que 5000 promotions supplémentaires à la hors classe, 3000 à la classe exceptionnelle en 2023 (on verra pour la suite !). Une paille pour un corps de 850 000 professeurs. Le taux d’accès à la classe exceptionnelle par exemple passera, selon le ministère, de 10% à 10,5%. La meilleure prise en compte de l’ancienneté hors éducation nationale pour les nouveaux professeurs va dans le même sens d’améliorer l’attractivité. La revalorisation est imperceptible pour les milieux et fins de carrière. Ajoutons que le ministère ne se soucie quand même pas des autres éléments qui rendent la carrière peu attractive : mutations, progression de carrière, relations hiérarchiques, définition même d’un métier où les « guides » verts, orange ou rouges se multiplient.
La poursuite d’un projet idéologique
Ce n’est pas le seul point très idéologique de cette revalorisation. L’essentiel de la communication présidentielle repose sur le « pacte« . On va revaloriser les enseignants à condition qu’ils travaillent davantage. Le ministère a beau avoir évalué lui-même le temps de travail réel des enseignants (plus de 40 h par semaine), il affiche l’idée que les enseignants peuvent travailler davantage. D’où la multiplication des missions qui seront facturées au détail, à l’heure ou au forfait, avec un tableau des tarifs très précis. Tout cela entretient une certaine image des enseignants qui n’est pas pour rien dans la dévalorisation du métier.
Mais c’est très cohérent avec la pensée du président. Toute la partie « pacte » de la revalorisation aura l’avantage de creuser les inégalités entre les enseignants, jugés sans doute trop égalitaristes et avec un trop fort esprit de corps. La distribution des postes de directeur dans le premier degré, celle des heures supplémentaires et des IMP dans le second, ont déjà montré que tous les enseignants n’en profitent pas. Les femmes, sur qui reposent davantage les tâches familiales, en bénéficient beaucoup moins que les hommes. Les corps les moins chargés en heure de cours peuvent en réaliser beaucoup plus que les autres.
Mais l’effet va plus loin encore vers les objectifs présidentiels. Ce qui se met en place, étape par étape, c’est la rémunération à la carte. On ne touche pas à la grille salariale. On la corrode. Surtout on donne à la hiérarchie locale des moyens d’action sur les enseignants. Cette volonté a d’ailleurs été exprimée lors du Grenelle de l’éducation. Les directeurs d’école, les IEN, les chefs d’établissement auront davantage de moyens pour récompenser les enseignants jugés « méritants » et désavantager les autres. Le renforcement des hiérarchies immédiates est inscrit dans le projet macronien depuis la loi de transformation de la fonction publique.
Une revalorisation refusée par les représentants des enseignants
On ne s’étonnera donc pas que ces mesures soient prises alors qu’elles sont expressément refusées par les représentants des enseignants. Le ministère communique beaucoup sur la « concertation » avec les syndicats. Mais la réalité c’est que presque tous ont claqué la porte le 6 mars pour marquer leur refus des mesures de « revalorisation », y compris les syndicats « réformistes« . La communication avec le ministère est au point mort. Et les premières réactions syndicales du 20 avril sont très critiques aussi bien du coté de la FSU que chez les « réformistes« .
Visiblement E Macron pense plutôt séduire les parents et les grands parents en promettant de mettre les professeurs au travail. Réussira-t-il à les convaincre qu’en multipliant les heures de « soutien » (soutien au primaire, aide en 6ème, devoir fait obligatoire) faites en plus des cours et sans coordination avec eux et les remplacements des heures d’une discipline par un professeur d’une autre discipline dans le second degré, cela va améliorer le niveau des élèves ? Pense t-il convaincre les parents ou les grands parents ?
Revaloriser le métier d’enseignant nécessiterait une autre politique. Revaloriser c’est améliorer les grilles indiciaires et non multiplier les primes. Il y faudrait déjà un budget qui augmente plus vite que l’inflation annuelle, ce qui n’est pas le cas. Pour un corps de 850 000 fonctionnaires et compte tenu de la dégradation du niveau des rémunérations depuis des années, il faudrait, comme pour la défense, une loi de programmation pluri annuelle. Il n’est pas possible de revaloriser réellement la profession en une seule année. Cela demande un quinquennat. Or les prévisions budgétaires transmises au Parlement annoncent une hausse de 2% seulement du budget de l’éducation pour 2024 et 1% pour 2025.
Emmanuel Macron ne revalorise pas les enseignants. Il poursuit sa politique. Il déconstruit étape par étape le service public d’éducation en y introduisant une gestion inspirée du privé. Il fait évoluer le métier en dégradant la liberté des enseignants et en transformant ce métier d’un engagement en un travail temporaire. En une décennie, obstinément, E Macron peut réellement « libéraliser » l’École.
François Jarraud