Dans une tribune parue dans Ouest-France, l’avocat honoraire spécialiste en droit public et de la santé et professeur à Sciences-Po, Michel Poignard défend l’intérêt du SNU dans le cadre d’une sauvegarde du pacte républicains entre les citoyens. Jean-Michel Bocquet, ancien directeur du MRJC – fédération d’éducation populaire qui a la particularité d’être gérée par des jeunes qui apprennent en même temps qu’ils gèrent et organisent leur séjour- a souhaité lui répondre, estimant que Michel Poignard pose « quatre questions faussement naïves pour défendre l’existence du SNU. Pour Michel Poignard, les réponses à ces questions semblent évidentes, elles sont, pourtant, loin de l’être ».
Michel Poignard compare le SNU à un voyage scolaire ou un stage à l’UCPA. Qu’en dites-vous ?
Le Service National Universel s’appuie sur une pédagogie ultra-traditionnelle, de forme scolaire et guider par une seule idée : il faut rééduquer la jeunesse, par le sport, l’endurcissement, les apprentissages descendants, la vie en collectif uniforme. Cette forme pédagogique est violente pour toute personne qui n’arriverait pas à s’y soumettre. Elle est – très – proche des pédagogies autoritaires des colonies pénitentiaires du début du siècle. Redresser les corps pour redresser les âmes. J’ose croire que l’école et l’UCPA sont plus ouvertes, que l’uniformité et le redressement ne sont plus les seules règles de vie qui s’y appliquent.
Et puis, le modèle pédagogique recherché est celui du voyage scolaire ou de l’UCPA alors, le Service National Universel ne permet pas de construire des mixités. L’école et l’UCPA organisent la séparation des publics et des enfants. L’école inclusive est encore loin d’exister, les cartes scolaires et les ségrégations territoriales séparent les enfants de classes favorisées des enfants en situation de pauvreté ou en difficulté scolaire. L’UCPA organise ces séjours avec des prix, des thèmes, des lieux ou des activités qui là-aussi séparent les enfants : séjours pour riches, pauvres, filles, garçons, grands ou petits… Le modèle pédagogique de l’UCPA ne permet ni l’inclusion, ni la construction de mixités, ni la possibilité de vivre dans des espaces démocratiques donc d’éprouver la liberté, l’égalité et la fraternité/sororité.
Vous inscrivez le port de l’uniforme dans la lignée de groupements de jeunesse de sombre mémoire. Pourquoi ?
La dernière fois que l’Etat a décidé de mettre en place une structure obligatoire d’éducation hors de l’école, c’était en 1940 à la suite de l’armistice et donc de la suppression du service militaire : ce sont les chantiers de la jeunesse dirigé par le Général de la Porte du Theil. Il s’agissait d’apporter une formation morale et physique. Le projet est celui d’une éducation virile, idéologique, on y forme à l’obéissance, la discipline et l’autorité. Le gouvernement de Vichy souhaite inculquer aux jeunes français les valeurs permettant de « relever » le pays. Si les mots ont changé, l’absence de finalité claire justifiant de la mise en place d’une éducation d’état hors école ne peut que questionner sur ce qui justifie que des ados doivent se soumettre à une autorité forte, à des apprentissages contraints et une vie collective réglée par la discipline.
Mais si utiliser l’habillement pour affirmer une appartenance ne pose que peu de problème, notons que l’uniforme n’apparait plus que dans les mouvements scouts traditionnels, les mêmes qui séparent garçons et filles, qui prônent une éducation séparée et « à la dure ». Faut-il aussi rappeler qu’en France, il n’y a jamais eu d’uniforme d’état pour les enfants. La blouse de l’école n’est surtout pas l’uniforme des écoles anglaises, et que l’uniforme marque surtout la distinction entre les personnes, entre les militaires, les policiers, les soignants et les autres personnes. Depuis Milgram, tout le monde sait que l’uniforme marque une autorité, que les symboles sont forts et connus de tous. Au SNU, les uniformes sont bleu marine et blanc, pantalon, polo et casquette… bien proche de ceux de la Police. Un hasard ? Sans doute pas. Dans le contexte actuel de violences policières, notamment sur la jeunesse, ce choix n’est ni neutre, ni dénuer de sens.
Les levers de drapeaux et chants de La Marseillaise sont-ils tout autant connotés selon vous ?
Affirmer les valeurs de la République par un décorum est désuet. Il est désuet par le fait qu’entre l’affirmation de valeurs comme un étendard alors que des jeunesses ne vivent pas – voire plus – ces valeurs au quotidien. Donner à voir un décorum pour laisser croire que la République se vit ne fait que renforcer la désuétude. Quid de la liberté d’association avec le contrat d’engagement républicain ? Quid de l’égalité avec les pauvretés qui s’accroissent entre ville et campagne, entre centre métropole et banlieue ? Quid de la fraternité lorsque quelques milliardaires crament la planète demandant aux plus pauvres de serrer leur consommation et travailler plus longtemps ? Le décorum républicain est désuet si les citoyens n’éprouvent plus la République.
Pour autant, ritualiser l’éducation est important, il permet aux enfants de comprendre, de faire le lien entre idée et concret. Les rituels républicains sont importants, notre école et/ou notre république s’est construit sur la sacralisation. Mais que sacralise-t-on en mettant des enfants au garde à vous et en les faisant passer en revue par une secrétaire d’état ? Qu’ils sont les soldats de la République ? Qu’il faut combattre ? Mais combattre qui ? Qui est l’ennemi ? Un projet comme le SNU pourrait ritualiser un passage de la vie l’ado à adulte, c’est-à-dire le fait qu’à 18 ans on est en capacité de décider avec d’autres, de construire des consensus dans l’intérêt de tous, de réformer pour une société plus juste, plus égale… Ritualisons la démocratie, pas le décorum. Lorsqu’il ne reste que le décorum, le nationalisme est proche.
Sarah el Haïry use d’arguments tels que la lutte contre les discriminations, le respect de l’autre, la solidarité, la quête de fraternité mais aussi le désintéressement de la jeunesse, le prosélytisme, la xénophobie entre jeunes pour justifier son projet. Est-ce pertinent ?
Dans le projet du SNU ces sujets ne se vivent pas. Le SNU attire très majoritairement des enfants issus de famille dont les parents sont en uniforme. Le SNU n’est pas inclusif, il ne construit que peu ou pas de mixité, il est de forme autoritaire et virile, il ne dispose d’aucune instance décisionnelle structurée par un vote, bref, tous ces termes sont discutés mais pas vécus au SNU. La forme pédagogique impose et discipline, parle théoriquement des sujets mais ne permet en rien de faire vivre et donc de permettre un apprentissage de la démocratie, de la fraternité, de lutter contre les discrimination, etc.
Notre société vit une crise démocratique grave : le racisme, l’antisémitisme, le sexisme, les violences sur les enfants sont très présentes et sans réponse, la confiance des jeunes envers les politiques est faible, les solidarités malades, donc oui ces sujets sont d’actualité, il est même urgent de les mettre au travail. Mais ce n’est pas en parlant de ces sujets hors du monde pendant 14 jours que les changements se feront, surtout lorsque l’encadrement du séjour est du coté de ceux qui pensent qu’en imposant les choses changeront.
Mais alors, tout le SNU est à mettre à la poubelle ?
Depuis le début du projet de SNU, mouvements de jeunesse, chercheurs sur les jeunesse, en pédagogie, sur les questions militaires, militants de l’enfance et responsables éducatifs expliquent que le diagnostic ayant mené à l’idée du SNU portent des éléments justes : nécessité de construire des mixités, création d’espace permettant d’expérimenter la démocratie ou lieu d’égalité, volonté d’investir dans une politique de l’enfance et de la jeunesse. Les mêmes mettent en gardent sur le fait qu’un tel projet ne peut se faire qu’avec des finalités claires, partagées et construites sur un consensus national et qu’enfin il ne peut être obligatoire.
Les chercheurs sur le service militaire rappellent avec force que le service national n’a jamais été mixte et qu’il n’a jamais reçu l’ensemble de la population, qu’il n’avait pas vocation à construire l’unité nationale. L’image qu’il véhicule aujourd’hui est fausse, elle est d’ailleurs le plus souvent relayée par des personnes n’ayant pas fait leur service national. Tant que le projet de SNU n’est pas construit avec l’ensemble des acteurs, même – et surtout – ceux opposés à la forme scolaire, autoritaire et policiaro-militaire, ce projet ne pourra pas aboutir. Le premier travail à mener est de savoir pourquoi chaque enfant français – né en France ou vivant en France – devrait donner du temps pour l’Etat ? Si on peut être nombreux à penser que donner du temps pour participer à la vie de la Nation est indispensable : le faire pour l’Etat et pas des collectifs, associations, uniquement pour des causes choisies par l’Etat, dans le cadre d’une expérience de vie collective dirigée, sont autant de sujet qui pose question.
Sans finalités claires, partagées et construites sur un consensus national, rien ne peut aboutir.La force et l’autorité ne créent ni commun, ni appartenance, ni unité.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda