« On établit un lien très fort entre processus cognitifs et émotionnels ». C’est ce lien qu’Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève, développe dans « Comment les émotions viennent aux enfants » (Nathan). L’ouvrage s’adresse en priorité aux parents. Dans cet entretien, Edouard Gentaz montre son intérêt pour les enseignants et la réussite scolaire des enfants.
Pourquoi faut-il s’intéresser à quelque chose d’éphémère comme les émotions ? Quel lien ont-elles avec les apprentissages ?
Les émotions sont partout. Elles sont éphémères mais incessantes. Des recherches convergentes montrent qu’il n’y a pas de dissociation entre la cognition, le raisonnement, et les émotions. On établit un lien très fort entre processus cognitifs et émotionnels. On a longtemps cru que les modes cognitifs et affectifs étaient disjoints. Piaget, par exemple, dans Psychologie de l’intelligence, évoque en une seule page ce qui relève de l’affectif pour dire que ce n’est pas son domaine. Et dans les milieux professionnels, les enseignants par exemple étaient formés à mettre à distance les émotions. Cela a duré jusqu’aux années 1980. Depuis une trentaine d’années, on fait le lien entre cognitif et émotions. Par exemple, chez les professionnels de santé on sait que c’est important de traiter l’empathie. Dans le milieu scolaire, depuis une vingtaine d’années, des chercheurs étudient la relation entre la performance scolaire et les compétences émotionnelles. Il y a une convergence de données pour montrer que, quand on apprend et raisonne, nos processus émotionnels sont liés aux processus cognitifs. Ils s’alimentent l’un l’autre.
Faut-il apprendre à développer les compétences émotionnelles des élèves ?
Oui, pour plusieurs raisons. Parce que c’est lié aux apprentissages scolaires et à la réussite des élèves. Mais aussi pour la santé mentale des enfants. On peut travailler dessus explicitement ou indirectement en utilisant d’autres activités. Par exemple, en maternelle, avec le jeu du faire semblant.
Depuis 4 ans, je travaille sur les compétences émotionnelles avec une cinquantaine d’enseignants. On travaille avec les enfants à identifier les émotions et à identifier les conséquences de ces émotions. Par exemple on part d’images représentant des visages exprimant des émotions et on apprend à identifier les émotions. On peut faire le même travail à partir de postures corporelles par exemple quand le personnage porte un masque. On fait le même travail d’identification avec les sons en racontant un conte. Et on travaille sur la compréhension des émotions, les situations qui les fait naitre et les conséquences qu’elles peuvent avoir.
On pense souvent que c’est un trivial de reconnaitre une émotion. Mais ce n’est pas le cas et les enfants ont du mal à les identifier. Ila apprennent ainsi à décoder les émotions des adultes et à réguler leurs propres émotions. Ils mettent à jour des stratégies pour baisser leur niveau d’motion. Ils observent celles qui fonctionnent et celles qui ne marchent pas. C’est important que les élèves trouvent la stratégie qui leur permettra de baisser leur niveau se stress par exemple. On obtient des résultats vraiment prometteurs.
La famille et l’école enseignent la morale. Peut-on enseigner les émotions morales ?
Ce sont des émotions très liées aux relations sociales qui sont travaillées par l’école et la famille. Il faut une bonne connaissance des normes sociales pour travailler par exemple la culpabilité ou la honte. Ces émotions morales sont sous tendues par le travail des parents. Mais elles vont être aussi travaillées en classe par un travail sur les relations interpersonnelles, par exemple comprendre le point de vue des autres. Mais ces émotions se construisent plus tardivement que les premières émotions. C’est avec l’âge que l’on découvre que tout le monde ment et parfois pour le bien de l’autre. Il faut distinguer mensonge anti social et mensonge utile.
Votre livre s’adresse prioritairement aux parents. Propose t-il des conseils aux enseignants ?
Il comporte des clés de compréhension pour les enseignants. C’est important pour eux de connaitre le lien entre émotion et cognition. Cela permet d’avoir de meilleures relations avec ses élèves. Ca peut aider aussi à mieux gérer les troubles du comportement en classe et de mieux associer les parents dans des cas de ce genre. Enfin les nouveaux programmes de maternelle posent clairement la question du bien être de l’enfant.
Propos recueillis par François Jarraud
Edouard Gentaz, Comment les émotions viennent aux enfants, Nathan, ISBN 978-2-09-2493199, 12.90€
Edouard Gentaz : Les neurosciences, la recherche et l’Ecole