Dans cette courte interview, le réalisateur Matti Geschonneck revient sur le tournage du filme La conférence
Pour quelles raisons avez-vous tenu impérativement à l’unité de lieu (la villa et ses abords), l’unité de temps (la matinée du 20 janvier 1942) et le choix d’un « personnage principal » de ladite conférence ?
Ce qui m’a impressionné, c’est le côté ordinaire et les formalités de cette réunion, qui n’a duré en tout que 90 minutes.
En filmant ce moment historique de basculement, l’organisation planifiée du meurtre de masse de 11 millions de personnes, tous les Juifs des pays d’Europe de l’Est et de l’Ouest intégrés au Reich, quelles questions de mise en scène vous êtes-vous posées ?
L’essentiel à mes yeux réside dans la tonalité du film. Tenir une « conférence avec petit déjeuner », comme s’il s’agissait d’une réunion de travail d’ entreprise, c’est ça qui est obsédant – tout le monde sait ce qu’il faut faire, mais pas comment s’y prendre.
Votre représentation du déroulement de la conférence nous confronte de façon saisissante et concrète à la sauvagerie et à l’inhumanité de l’entreprise génocidaire. Quels effets avez-vous souhaité produire ?
Nous voulions montrer ce que les gens sont capables de faire. Lors d’une simple réunion d’information, ils ont organisé la déportation et l’anéantissement des Juifs d’Europe pour être les seuls à exister.
Le gouffre qui sépare le vocabulaire technique, les données chiffrées, la mécanique administrative de l’horreur de la mise en œuvre de l’extermination nous remplit d’effroi. Comment êtes-vous parvenu à mettre en lumière l’intensité dramatique de l’enjeu?
Cela n’a pas été [pour les bourreaux] un événement spectaculaire ni même monstrueux mais une conférence, semblable dans son expression comme dans sa tenue à un conseil d’administration. J’ai eu la chance de travailler avec des comédiens incroyables en parfaite concordance avec la complexité du projet.
En bref, comment avez-vous filmé des mots volontairement abstraits de telle façon que les spectateurs les reçoivent comme des mots qui tuent et déshumanisent ?
La préparation a été essentielle. Nous avons dû travailler avec prudence et minutie. Il ne s’agit pas d’un documentaire mais d’un film de fiction. Nous disposions du procès-verbal de la réunion de Wannsee mais pas d’un protocole détaillé. Nous n’avons qu’une idée assez restreinte de la façon dont la plupart des participants se sont exprimés et ont agi. Mes comédiens étaient-ils capables de se comporter comme l’ont fait ces hommes-là ? Nous avons veillé à ne pas tomber dans les stéréotypes de représentation des nazis que l’on voit dans d’autres films. Les acteurs incarnent ici les participants d’une conférence sobre et disciplinée.
A partir d’un travail fouillé de documentation et de la connaissance du « compte-rendu » succinct de la réunion, vous avez relevé le défi que vous vous étiez fixé en réalisant une fiction apte à susciter en nous un grand choc émotionnel. Avez-vous constaté ce phénomène chez le public, au moment de la sortie de La Conférence dans votre pays, l’Allemagne ?
Je sais que les chiffres de fréquentation en Allemagne ont été extrêmement élevés. De très nombreux spectateurs ont été sensibles à ce film. J’en ai été surpris.
Pensez-vous que votre fiction historique, dans sa forme dépouillée, donne accès à la singularité de cet événement considérable, actant et mettant en œuvre la Solution finale, et parvienne à toucher profondément les jeunes ?
Tout ce que j’espère, c’est que notre film incitera les spectateurs à réfléchir sur eux-mêmes. Nous n’avons pas choisi de les séduire. Nous montrons que l’indifférence alimente l’absence de pitié. Nous racontons l’histoire de ces gens-là, qui ont réellement existé, un jour, il n’y a pas si longtemps.
Propos recueillis par Samra Bonvoisin
Traduction de l’anglais : Emmanuèle Danger et S. B.