Le 12 avril dernier, la mairie de Paris organisait un colloque sur les nouveaux enjeux éducatifs et sociétaux auxquels l’école doit faire face. L’occasion pour le café pédagogique d’avoir un entretien avec la maire, Anne Hidalgo. Les nombreuses fermetures de classes prévues à la prochaine rentrée dans la capitale, les spécificités des écoles parisiennes et l’analyse de la politique menée par l’actuel occupant de la rue de Grenelle sont au menu de cette interview. « Le ministre de l’Éducation est une personne que j’apprécie. C’est un grand intellectuel, un homme qui pense la République. Mais il n’a pas de projet pour l’École » nous a-t-elle déclaré.
À Paris, 178 classes fermeront l’année prochaine. Vous avez adressé une lettre au Ministre pour demander que le recteur revienne sur ces fermetures. Avez-vous été entendue ?
Avec Patrick Bloche (Ndlr : adjoint chargé de l’éducation), nous avons rencontré le Ministre à la rentrée des vacances de février, il refuse de revenir sur ces fermetures. C’est un non ferme. C’est d’ailleurs assez étonnant car chaque année, lorsqu’il y a des fermetures de classes, il y a quand même un espace de discussion. Là très clairement ce n’est pas le cas. Ils ont acté cette décision. Il n’y a pas de volonté politique de faire autrement.
Je ne peux pas accepter la fermeture de l’équivalent de 19 écoles. La baisse démographique, c’est une occasion à Paris, mais aussi partout en France, de repenser le projet de l’École. De repenser ce que signifie la réussite éducative en 2023, à un moment où il faut redonner du sens, remettre des sujets comme le rapport au vivant au cœur des enseignements.
Depuis des années, les évaluations menées au sein des pays de l’OCDE mesurent non seulement nos faibles performances mais disent aussi que c’est autour de l’éducation par projet que l’on trouve des solutions. Nous sommes dans un modèle de réussite éducative extrêmement figé qui renvoie au 19ème siècle. Nous sommes au 21ème, et cela le gouvernement n’en tient toujours pas compte.
La baisse démographique se profile sur plusieurs années, comment anticipez-vous les choses à Paris ?
Est-ce que la baisse démographique doit entraîner une baisse des moyens alloués par la ville de Paris aux jeunes de l’école maternelle au collège? Ma réponse est non. Nous devons au contraire faire en sorte que ce temps et cette évolution puissent être mis à profit pour améliorer l’accueil des élèves et les apprentissages. Nous ne réduisons pas les moyens qu’il s’agisse des ateliers périscolaire ou du nombre professeurs de la ville de Paris. Ce sont plus de 700 agents municipaux qui interviennent sur le temps scolaire sur des activités sportives et culturelles, c’est un dispositif unique en France dont nous sommes très fiers. On continue d’investir car je suis persuadée que des groupes plus petits d’enfants permettent de meilleurs apprentissages – c’est d’ailleurs ce que nous a vendu le gouvernement avec les dédoublements. Des effectifs restreints permettent aux enseignants de développer des pédagogiques nouvelles.
Paris se dit être une ville verte. Que faites-vous pour que les écoles soient dans cette dynamique ?
Nous avons construit et rénové des écoles pour adapter notre ville aux changement climatiques. Nous avons ainsi développé plus d’une centaine de cours Oasis. Dans ces cours, on plante des arbres, on remet de la pleine terre pour que les enfants soient dans un rapport plus direct à la nature. On les ouvre aux habitants du quartier, aux familles, le samedi et pendant les vacances scolaires.
On multiplie aussi les rues aux écoles. Ces sont des rues fermées à la circulation afin de permettre aux enfants de jouer de façon sécurisée et dans un environnement plus vert. C’est une façon de montrer que l’école a sa place dans le quartier, qu’elle y joue un rôle, qu’elle le rythme et l’apaise.
Et au niveau de la restauration scolaire ?
La ville de Paris propose deux repas végétariens par semaine à tous ses élèves. Une grande partie de nos fournisseurs sont en circuit court. Nous avons établi des liens, notamment avec les agriculteurs de l’Yonne et de la Seine-et-Marne qui travaillent sur des terrains appartenant à la ville autour des rivières alimentant en eau la capitale. Nous mettons ces terres à disposition avec comme impératif de travailler sans pesticides.
Sur la mixité scolaire, que pensez-vous de la proposition de rattachement du 93 à l’académie de Paris ?
C’est vrai que c’est difficile pour les élèves de dépasser les barrières qui existent en Seine-Saint Denis. Des barrières très puissantes qui pèsent sur un certain nombre d’établissements de ce département. Ce n’est pas juste, il faut lutter contre cela. Il y a beaucoup de liens entre Paris et la Seine-Saint-Denis. Pour autant, une méga académie serait inadaptée et diluerait des moyens de l’éducation nationale qui sont déjà limités. Big n’est pas forcément très beautiful.
Et les autres pistes, comme Affelnet, les binômes de collèges ou un changement de carte scolaire ?
Affelnet a plutôt bien fonctionné. Sur la carte scolaire, c’est un travail permanent que nous menons avec les maires d’arrondissement. La ville de Paris est très dense. Nous avons des écoles qui accueillent un public favorisé à quelques centaines de mètres d’écoles accueillant un public défavorisé. Nous travaillons donc rue par rue la sectorisation avec une volonté de mixité scolaire.
Nous menons aussi un travail sur les « réputations » d’établissements – souvent acquises injustement. Nous y développons les dispositifs de type école bilingue ou à horaires aménagés. On diversifie l’offre scolaire afin de rendre ces établissements plus attractifs.
Il y aussi les exemples de binômes de collèges tels que Berlioz et Coysevox qui sont une réussite. Mais ce n’est une réussite que grâce aux formidables équipes pédagogiques et aux parents qui ont joué le jeu. Ça ne peut être l’Alpha et l’Omega d’une politique de mixité Mais c’est une très bonne piste lorsqu’il y a une volonté de la communauté pédagogique, des parents d’élèves et des maires d’arrondissements.
Plus généralement, que pensez-vous de la politique menée actuellement au niveau de l’éducation ?
Le ministre de l’Éducation est une personne que j’apprécie. C’est un grand intellectuel, un homme qui pense la République. Mais il n’a pas de projet pour l’École. Annoncer de telles suppressions de postes alors que les résultats de notre système éducatif dans les classements internationaux sont alarmants est aberrant. Il existe d’autres modèles à suivre comme les pays scandinaves ou l’Allemagne.
En France, nous sommes incapables de sortir de notre modèle étriqué. Un modèle dans lequel pour réussir, il faut passer par une prépa, puis par une grande école. Une partie de l’élite de notre pays ne pense pas le changement et souhaite conserver ce modèle qui aujourd’hui abîme une partie de la jeunesse. Nous sommes dans un moment de grands bouleversements avec la question du changement climatique, celle des grandes inégalités qui fracturent notre société, de la révolution numérique qui bouleverse les relations entre les individus et les modes d’apprentissage… Si tous ces défis mis bout à bout ne font pas changer de modèle, de vision de ce que doit être l’École, alors on recule. Ce manque de créativité flingue l’école de la République.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda