Dans l’enseignement d’une langue vivante, la participation orale est un enjeu important. Pour autant, ce n’est pas un exercice évident pour les élèves comme le souligne Julie Plouvier, professeure d’anglais. Elle propose quelques pistes pour accompagner les élèves à lever leur peur de prendre la parole devant leurs pairs.
L’enseignement des langues repose sur le développement de compétences linguistiques qui appartiennent à deux grandes catégories: la compréhension et l’expression, orales et écrites. La compréhension est une activité langagière dite de réception (lire, écouter, construire du sens à partir d’informations relevées) tandis que l’expression est une activité de production (parler en continu ou en interaction, écrire).
Les activités de production mettent en jeu des compétences particulières, car contrairement aux activités de réception, l’apprenant construit des énoncés à partir de son bagage linguistique – vocabulaire, structures grammaticales et syntaxiques, etc. Ainsi, lorsque l’élève produit, il donne à connaître son degré de maîtrise de la langue, parfois non sans gêne, qu’il soit en difficulté ou en réussite. Il est plus facile de gérer ce sentiment lors d’une production écrite car les échanges n’engagent généralement que deux individus, c’est-à-dire, l’élève (rédacteur) et le professeur (lecteur/correcteur). Il n’en est pas de même pour l’oral, surtout à partir de l’adolescence, du collège jusqu’aux études supérieures, voire plus tard dans le cadre professionnel.
Un manque de participation constaté
Les situations d’expression orale en classe de langues sont souvent liées au groupe (restitution d’une leçon, exposé, participation), et beaucoup de nos élèves, nous le savons, sont inhibés par la peur de se tromper, voire de paraître ridicule aux yeux de leurs camarades. Aussi, constatons-nous régulièrement, voire quotidiennement dans nos classes, que nos élèves ne “participent” pas ou peu, ou qu’ils sont “passifs”. Il est vrai qu’en tant qu’enseignant de langues, la participation est un outil de manipulation très important. Plus les élèves participent, plus ils s’entraînent, et l’entraînement est l’une des clés du progrès. En ce sens, nous préparons nos séances de telle sorte que l’expression orale puisse avoir une part conséquente par le biais d’activités mettant en jeu cette compétence. Cependant nous sommes parfois confrontés à un silence qui peut devenir frustrant pour l’enseignant car la participation comme objet didactique est nécessaire au bon développement du cours tel que préparé en amont.
Mais alors, que faire? Lors d’une situation où mes questions sont restées sans réponses, j’ai proposé aux élèves (3ème) de réfléchir et d’analyser les raisons pour lesquelles ils ne voulaient ou ne pouvaient (inhibition) s’exprimer en classe. La réponse a été claire et univoque: “parce qu’on a peur du jugement des autres”. La classe est pourtant très sympathique et l’ambiance de travail y est sereine, mais ce qui se joue dépasse le cadre de l’école. Il faut être performant à tous points de vue, dans toutes les disciplines, mais aussi dans son style de vie, car les réseaux sociaux ont ouvert une fenêtre sur l’intimité des adolescents, qui se jugent alors en permanence. Prendre la parole lorsqu’ils sont interrogés peut être d’une grande violence pour certains élèves, qui plus est s’ils sont de nature timide ou introvertie.
Les pédagogies coopératives
Pour revenir à notre salle de classe, quelles sont alors les solutions que nous pouvons mettre en œuvre? Les pédagogies coopératives sont un réel levier pour développer la confiance en soi, car c’est surtout de cela dont il s’agit. Permettre à chaque élève de proposer son expertise ou son aide à un moment donné est très valorisant mais aussi gratifiant. Relever les progrès plutôt que pointer les échecs, donner sa place et son sens à l’erreur, permettre de se tromper et de recommencer pour réussir, sont des actes pédagogiques sur lesquels s’appuyer afin de favoriser l’estime de soi et le plaisir d’étudier. En mettant en place le plan de travail et les ceintures de compétences, j’ai pu constater que lorsqu’il devient naturel pour les élèves de travailler ensemble sur un objectif commun, alors la communication en langue étrangère se fait avec une plus d’aisance et de confiance, chacun selon ses capacités. La langue prend une part de plus en plus importante dans les échanges et j’entends plus fréquemment les élèves interagir en anglais.
En outre, le recours à la coopération au sein du groupe permet une participation active des élèves lors des phases de découverte d’une nouvelle notion. Suite au constat évoqué plus haut, lors de questions adressées au groupe classe, je décompose la restitution en trois phases: une phase de réflexion individuelle (l’élève prend des notes dans son cahier), une phase de mise en commun en groupe pendant laquelle les élèves énoncent leurs réflexions, débattent, se mettent d’accord ou non, puis une phase de restitution collective, chaque groupe apportant son hypothèse par le biais d’un rapporteur. Toutes les hypothèses sont écoutées puis infirmées ou validées. Les deux premières phases sont chronométrées, les élèves savent combien de temps leur est donné. Ces temps peuvent varier de quelques secondes à plusieurs minutes, selon la difficulté de la question posée ou du problème à résoudre.
Cette mise en œuvre a prouvé son efficacité immédiatement. Les élèves s’engagent pleinement dans les débats, avec une volonté de trouver la solution ou la bonne hypothèse. Lorsque le temps imposé est restreint (10, 20 ou 30 secondes) alors se mettent en place des échanges très dynamiques, à la manière d’un challenge que tous les membres du groupe doivent relever. On remarque alors une montée d’adrénaline et des visages ouverts, souriants, prêts à relever le mini-défi.
Dédramatiser l’erreur
Enfin, dédramatiser l’erreur est crucial afin de favoriser l’expression orale. En effet, en langues vivantes, l’acquisition de connaissances sert à communiquer avec autrui, c’est-à-dire, transmettre et comprendre des messages. Elle peut très bien s’établir sans que les énoncés produits soient parfaits et c’est là tout l’enjeu du travail du professeur de langues: donner les outils nécessaires et les faire manipuler afin qu’un échange soit possible. Il est important que les élèves puissent se dégager du regard exigeant voire parfois dépréciatif qu’ils se portent pour libérer la parole et permettre la construction des échanges.
Un exemple d’activités en langues vivantes : les cartes de conversation
Je propose aux élèves une variété de cartes de conversation, sur lesquelles figurent des questions ouvertes (what’s your favourite film? Who is your best friend? Do you prefer the beach or the swimming pool?). Ils choisissent un partenaire puis ils ont entre 5 à 6 minutes pour échanger. La consigne est la suivante: parler le plus possible, en évitant les pauses, la fluidité primant sur la qualité de la langue. Si un mot n’est pas connu, ils peuvent avoir recours à une périphrase, utiliser le langage non-verbal, ou changer de carte. L’objectif est le 100% anglais. En naviguant dans les groupes à l’écoute des élèves et en leur prêtant main forte concernant le vocabulaire, je m’aperçois que la consigne est respectée, sans effort particulier. Cette activité est une vraie réussite dans le sens où elle prouve aux élèves qu’ils sont capables de communiquer, de comprendre et d’être compris. Cerise sur le gâteau, ils apprécient beaucoup ce rituel.
Julie Plouvier
Mise en oeuvre détaillée : In Julie’s classroom (page Facebook)