Professeur d’espagnol depuis maintenant plus de 20 ans, Franck Tarin utilise des outils numériques au quotidien avec ses élèves. Un peu touche à tout, il a posé son cartable à Nantes, au Havre, à Paris, enseigné en FLE, à des étudiants passant le DULCIF (Diplôme d’Université Langue et Civilisation Françaises), en hôpital de jour, au Micro-lycée de Paris… Enseignant spécialisé, il a aussi travaillé avec des élèves présentant des troubles importants des fonctions cognitives. Depuis plusieurs années, il appartient GIPTIC – Groupes d’Intégration Pédagogique des Technologies de l’Information et de la Communication – de Paris.
Vous utilisez les supports numériques pour vos séances en classe. De quoi s’agit-il ?
Tous mes cours sont numérisés et projetés en classe sur tableau numérique interactif. Après avoir utilisé Open-Sankoré, c’est aujourd’hui Genially qui a ma préférence. J’ai la chance de pouvoir bénéficier en classe d’un accès wifi stable. L’autre avantage est que cet outil permet de créer des présentations interactives, esthétiques – certains élèves sont sensibles à la qualité visuelle des documents sur lesquels ils/elles vont travailler – et qui regroupent l’intégralité des ressources en un seul lieu – textes, iconographies, vidéos, sons, liens… En outre, il est possible de permettre aux élèves d’accéder à ces supports en ligne.
Utiliser Genially m’a aussi incité à m’intéresser aux Escape Game en vogue dans le milieu de l’éducation depuis quelques années déjà. Ce type de ludification ne m’a jamais convaincu personnellement mais m’a donné l’envie de commencer à scénariser certaines séquences sous une forme que je nomme « Aventures virtuelles ». Il s’agit d’intégrer les documents authentiques d’une séquence et les différentes activités sous forme d’histoire que les élèves vont suivre à leur rythme, parfois en effectuant des choix qui vont influer sur le déroulé de celle-ci. Dans ce cas, les élèves sont les héros et héroïnes de l’histoire et deviennent acteurs et actrices de leurs apprentissages. Pour passer d’une étape à la suivante, il faut saisir un code que l’on obtient à la fin d’un quiz qui reprend les connaissances étudiées.
Les quiz et autres exercices interactifs sont un autre outil que j’utilise de plus en plus. Je les crée sur le Moodle de l’Environnement Numérique de Travail de l’établissement, ensuite je les intègre dans les Geniallys. Utiliser les outils de l’ENT permet aussi de respecter le RGPD. D’une part, ils permettent aux élèves de mieux identifier les connaissances importantes à retenir – et donc d’expliciter le cours. D’autre part, les élèves retiennent mieux ces connaissances grâce au feedback immédiat qui leur est donné en cas de mauvaise réponse. En cas de bonne réponse, une petite phrase d’encouragement les motive à poursuivre. A ma plus grande surprise, mes élèves sont très demandeurs de ce type d’activités qu’ils sont capables de recommencer un très grand nombre de fois jusqu’à obtenir 100% de bonnes réponses. Je les encourage à réaliser ces tentatives multiples en dehors du temps de cours, depuis leur smartphone, ce qui fait que certains élèves qui ne travaillaient plus du tout hors temps de classe reprennent petit à petit cette habitude. Ils reviennent aussi au cours suivant plus sereins et, pour certains, fiers d’avoir retenu ce qui a été travaillé auparavant. Ainsi, à force de répétition, et sans s’en rendre compte, ils/elles mémorisent le vocabulaire, la structure de certaines phrases, les connaissances étudiées, rouvrent à l’occasion leur cahier pour chercher les éléments qui leur permettront de répondre correctement. Etant donné que ces quiz sont mis en place dans des phases de reprise ou d’entraînement – et non d’évaluation, les élèves acceptent plus facilement de faire des erreurs, de reprendre les éléments qu’ils n’ont pas mémorisés et, finalement, gagnent en confiance en leurs capacités et en plaisir à apprendre.
Que ce soit les documents du cours, les exercices interactifs, les traces écrites du cahier, toutes les ressources sont mises à disposition des élèves par des liens et/ou des QR codes. Cependant, j’évite de multiplier les logiciels et applications que j’utilise pour ne pas perdre les élèves qui ont besoin d’un cadre ritualisé plus sécurisant. De plus, la tenue d’un cahier de cours reste indispensable, ne serait-ce que pour matérialiser le travail fait en classe.
Pour quels bénéfices pédagogiques ?
Les bénéfices pédagogiques sont évidemment nombreux, même si parfois il n’est pas évident de les identifier immédiatement. Une meilleure acceptation de l’erreur, le travail sur la confiance en soi et l’estime de soi, l’importance pour certains élèves d’être sécurisés dans leurs apprentissages… Mais d’autres bénéfices peuvent être relevés. L’utilisation de ces logiciels permet de modifier la posture enseignante, décentrer le cours de l’enseignant qui devient un auxiliaire qui aide à progresser, qui est aux côtés des élèves. Nous travaillons ensemble sur un objet commun qui peut être source d’affects mais qui n’en a pas intrinsèquement : l’outil informatique ne juge pas. Il n’est pas toujours évident d’opérer ce changement de posture ni d’accepter de ne plus être la personne qui maîtrise le savoir et le communique de façon descendante aux élèves. Pour les élèves, cet aspect relationnel est plus sécurisant.
Le tableau numérique interactif permet aux élèves d’être en mouvement pendant le cours en réalisant certaines activités au tableau. Ils doivent se mettre en mouvement physiquement et donc « faire » pour penser, se mettre en mouvement pour mettre le cerveau en marche, « apprendre par corps ». Cela permet aussi de mettre en place des situations où les élèves doivent collaborer les uns avec les autres, s’entraider, s’inter corriger, dialoguer pour progresser ensemble. Pour nombre de mes élèves à besoins éducatifs particuliers, ces principes ne vont pas de soi.
Ces outils aident les élèves à identifier et mettre en place des stratégies de travail efficaces qui correspondent à leur profil d’apprenant. Les supports numériques permettent de différencier les approches et de proposer plusieurs chemins vers l’acquisition de connaissances et la maîtrise de compétences. Avoir un « stock » important, constitué au fil des années, de cours, d’activités, d’exercices d’entraînement, de documents authentiques variés, etc., permet aussi de s’adapter à des situations particulières, en fonction de l’état psychologique d’un élève ou d’une classe à un moment donné – capacité de concentration, capacité à entrer en communication, capacité de penser – en référence aux postulats de Burns sur la notion de variabilité des apprenants. Cette grande adaptabilité, quasi immédiate, permet aussi de réguler les apprentissages, par exemple en reprenant immédiatement une notion oubliée mais nécessaire pour réussir une activité donnée.
Et puis le numérique permet de mettre en œuvre une pédagogie qui prend en compte les apports des sciences cognitives, notamment du point de vue du travail sur la mémoire. Pour des élèves parfois empêchés de penser, il n’est pas facile d’être disponible pour les apprentissages. Pour des élèves présentant des troubles « dys », il peut être décourageant d’être constamment confrontés à des difficultés qui paraissent insurmontables. Toute réussite devient alors un jalon essentiel pour permettre aux élèves de reprendre pied.
Ma principale préoccupation est que mes élèves prennent plaisir à venir en cours d’espagnol, que ce soit une parenthèse agréable, voire attendue. Retrouver le plaisir d’apprendre, de découvrir, avoir l’occasion d’être surpris, interpellé.
Et pour l’oral , quels outils utiliser ?
Un des outils de base pour l’apprentissage de l’oral, consiste à utiliser un enregistreur. Il en existe de multiples : Vocaroo, mon-oral.net, Digirecord, Quizinière. La majeure partie de mes élèves a beaucoup de mal à accepter l’enregistrement, à accepter de laisser une trace, à accepter de se réécouter. Je m’efforce donc d’accompagner les élèves les plus réticents pas à pas, parfois en commençant par un simple travail de prononciation sur des mots isolés. Puis, je mets en place des supports pour faciliter l’expression orale : des cartes mentales d’abord avec des mots clés ou des amorces de phrases, puis avec des images/dessins. Ces stratégies permettent aux élèves de structurer et d’organiser leur pensée. Une fois de plus, il s’agit de rassurer / sécuriser les élèves.
Un mot sur le groupe GIPTIC auquel vous appartenez ?
L’académie de Paris possède une délégation académique au numérique éducatif (DANE) qui conduit et met en œuvre la politique du numérique éducatif. La DANE réunit tous les membres des GIPTIC – Groupes d’Intégration Pédagogique des Technologies de l’Information et de la Communication – constitués en début d’année pour mettre en place les orientations d’un projet annuel commun et en fin d’année pour dresser un bilan des actions menées. Ces groupes se réunissent par champ disciplinaire. Les langues vivantes sont regroupées dans un seul et même GIPTIC, ce qui permet d’enrichir les échanges car, même si les programmes du CECRL sont communs, l’enseignement de chaque langue peut avoir ses spécificités. Il peut être intéressant de transférer certaines pratiques particulièrement développées dans l’enseignement d’une langue à une autre.
C’est un groupe de réflexion qui propose chaque année un programme d’ateliers aux enseignants lors d’une demi-journée de présentations d’usages du numérique appliqués aux langues vivantes étrangères. L’objectif est d’informer et de former les collègues désireux de développer l’usage des TICE dans leur enseignement. Les collègues qui souhaitent approfondir une présentation peuvent s’inscrire à une demi-journée de formation qui revêt un aspect plus pratique avec, par exemple, la prise en main d’un outil ou d’une application particulière. Ils/elles peuvent bénéficier de l’expertise de terrain des collègues membres du GIPTIC pour les guider, leur exposer les avantages et les limites de l’outil utilisé ou bénéficier de préconisations pour mettre en place ces outils avec plus d’efficacité. Ces ateliers peuvent aussi être l’occasion de favoriser les échanges, de réfléchir entre pairs sur les apports des outils informatiques au service de l’enseignement.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda