Francesca Pasquini a déposé une proposition de loi sur la cantine scolaire. « On a envie que les enfants mangent de la viande et du poisson de meilleure qualité, qui soit label rouge, de production locale. On a envie d’enclencher une réflexion autour du mieux manger à l’école » explique la députée EELV-NUPES, professeure des écoles jusqu’en juin dernier. Lors de cet entretien, elle présente sa proposition de loi et livre quelques réflexions sur l’école.
Vous déposez aujourd’hui une proposition de loi le « mieux manger » à l’École. De quoi s’agit-il ?
Cette proposition de loi « mieux manger », dans son article 2, aborde la question de l’alimentation à l’école et la nécessité de s’habituer dès le plus jeune âge à une alimentation végétalisée. Actuellement, les élèves français mangent deux fois plus de produit carné qu’il n’en faudrait. Et cela a des conséquences sur la santé, en faisant augmenter le taux d’obésité, et des conséquences sur le climat, sur la planète car la production de viande abîme les sols, consomme des ressources rares en eau, et contribue à la déforestation et émet des gaz à effet de serre puissants. On a commencé un petit tour des cantines de France, à Lyon, à Bordeaux, à Autun, à Besançon ou encore Saint-Denis, on a travaillé avec des collectivités qui ont été au-delà de ce qui a été imposé jusqu’à présent et qui proposent donc deux repas végétariens par semaine. On s’est aperçu que là, où on commence à mettre en place deux alternatives végétariennes par semaine et/ou l’alternative végétarienne quotidienne, cela permet d’investir dans de la viande locale et labellisée ainsi que dans du poisson de bonne qualité. Et cela a aussi comme conséquence de réenclencher une réflexion vertueuse autour de l’alimentation : comment proposer des repas végétariens savoureux ? Et d’expliquer aux enfants pourquoi il faut plus végétaliser leur assiette, de faire aussi en sorte qu’ils soient force de proposition à la maison, en disant j’ai mangé tel légume ou telle légumineuse à l’école, et j’ai bien aimé. Par leur expérience à la cantine, les enfants deviennent moteur du changement. Une étude montre que, si on passe à un repas végétarien de plus par semaine, sur le nombre total de repas donné dans la restauration scolaire, on arrive à faire baisser de 12% les émissions de gaz à effet de serre. Avec cette proposition de loi, on a envie que les enfants mangent de la viande et du poisson de meilleure qualité, qui soit label rouge, de production locale. On a envie d’enclencher une réflexion autour du mieux manger à l’école. Cette proposition de loi est une première étape. On a demandé à la commission éducation et des affaires culturelles, et on l’a obtenue, une mission d’information « l’adaptation de l’Ecole aux enjeux climatiques » pour travailler de manière plus ample et introduire une réflexion sur l’éducation à l’alimentation, le rôle à donner à la cantine – qui est finalement sous investie-, au personnel des cantines, sur la formation des chefs afin qu’ils soient acteurs et intervenants dans l’éducation à l’alimentation. Il y a un volet alimentation, mais aussi un volet sur le bâti scolaire et les programmes scolaires.
Quelles oppositions sur ces propositions rencontrez-vous, peut-être, en terme de coût notamment ?
On a été étonné, à Bordeaux ou Besançon par exemple, il n’y a pas eu de familles opposées au passage aux repas végétariens. Toutes les collectivités nous ont dit la même chose, les villes ne se sont pas limitées à introduire un deuxième repas végétarien, mais ce repas a été un élément déclencheur dans une réflexion sur le « comment » : comment on fait pour expliquer aux enfants, comment on fait pour mieux former les chefs, comment on fait pour acheter plus local, comment on fait pour changer le cahier des charges et pour que des entreprises achètent de saison et local. Si on substitue avec des produits transformés, ça coute cher, si on fait un effort pour cuisiner brut et limiter le gaspillage, ça coûte moins cher, voilà ce qui ressort des auditions et des rapports. Les familles ont perçu toute cette réflexion. L’alternative végétarienne permet aussi à davantage d’enfants de manger à la cantine, cela élargit donc le panel des enfants, ce qui est important puisque cela est parfois leur seul repas équilibré et complet de la journée. Les collectivités rencontrent des problèmes de place pour accueillir tous les enfants, il y a aussi un enjeu de répondre à tous les besoins de toutes les familles.
Aujourd’hui députée, quel regard portez-vous la situation de l’École que vous avez quittée il y a peu ?
Je suis est très engagée sur la question de l’Ecole depuis le début de mon mandat. Je suis très inquiète par la tournure que ça prend, comme beaucoup de parents, ou d’élèves, comme la communauté éducative dans son ensemble. J’avais placé de l’espoir dans le mandat de Pap Ndiaye mais je le vois se décomposer au fil du temps. C’est un mandat qui est assez mou, plein d’éléments de langage ou d’effets d’annonce en disant que la priorité c’est l’école. Mais en réalité, on ne voit rien qui avance, comme par exemple, la question de l’inclusion et des AESH. On a une situation qui est catastrophique dans ma circonscription (Hauts-de Seine, 92), en termes également de présence d’assistantes sociales, de psychologues scolaires avec des familles qui se trouvent de plus en plus en difficulté, difficulté financière, ou encore de familles qui ne se sentent pas écoutées. On a des collèges qui se sont mis en grève dans ma circonscription, à Asnières et Colombe par exemple, contre la baisse des DHG [Dotations Horaires Globales, l’enveloppe des moyens horaires attribuée à un établissement scolaire du 2nd degré], sujet qui revient souvent. On a l’impression que l’État n’investit plus dans l’éducation et l’avenir des enfants. L’Etat est prêt, par contre, à mettre des moyens, dans des dispositifs comme le SNU, 2 à 3 milliards d’euros en cas de sa généralisation bien que personne n’en ait envie, les jeunes en premier lieu. Dans ce panorama, je suis plutôt inquiète. Et le fait qu’on n’ait pas eu une seule minute de discussion à l’assemblée pour discuter du plus gros budget de l’Etat, c’est quand même gravissime. Il faut plus de moyens humains dans l’Education Nationale, il est urgent de redorer le métier d’enseignant. Les enseignants ne sont pas là pour faire de la garderie, les cinq ans de Blanquer ont fait beaucoup de mal. Le mépris dont il a fait preuve envers les enseignants a également touché la perception des parents. Et cela ne passe pas que par la question des salaires, il faut redonner confiance aux enseignants, en l’avenir, et cela passe aussi par les conditions de travail.
Par où commencer ?
Déjà, il y a le mal-être des enseignants, c’est une profession qui est en souffrance. Il y a une question de confiance, la question salariale en période de forte inflation, il y a le mal-être des familles qui perçoivent de plus en plus le mal-être de la profession et qui s’inquiètent de voir qu’elles confient leur enfant à une institution malade. Il y a le mal-être des directions d’école qui observent des situations devant lesquelles elles restent impuissantes. Et il y a le mal-être des élèves, de la maternelle jusqu’à l’université pour des raisons qui sont diverses selon les tranches d’âge. Je pense à l’élève qui est décédé pendant le bac – il y a quelques jours, on n’a même plus la sensibilité de prendre en compte le choc. C’est d’une extrême violence, certes c’est une situation isolée, mais elle montre qu’on ne prend plus en compte l’individu, l’enfant, et ce qu’il peut ressentir. C’est ce qui peut résumer le tout.
Propos recueillis par Djéhanne Gani