Pour Daniel Bloch, père du bac professionnel, il faut dépasser les postures car « raisonnablement, ce ne seront pas des organismes de conseil qui pourront proposer la marche à suivre. Il faut redonner sens à un dialogue respectueux et direct entre le monde de l’école et le monde de l’entreprise, un dialogue stratégique aujourd’hui inexistant, afin de dégager une stratégie convergente du système éducatif et des entreprises ».
Le Président de la République s’était engagé, lors de la campagne électorale, à réformer l‘enseignement professionnel. Un engagement confirmé depuis. Ce qui peut être tenu comme une critique de la politique conduite au cours du quinquennat précédent par Jean-Michel Blanquer dès lors que celui-ci avait placé l’enseignement professionnel, au même titre que l’école élémentaire, au premier rang des priorités de son département ministériel. Avec au bout du compte, seulement quelques mesures considérées le plus souvent comme de simples gadgets.
Une réforme qui doit être à la hauteur des enjeux
A l’heure où une réindustrialisation de notre pays s’impose, pour assurer son indépendance et sa sécurité, à l’heure où la montée en gamme de nos produits apparait comme une nécessité afin de combler les déficits de son commerce extérieur, la réforme de l’enseignement professionnel doit être à la hauteur des enjeux. Il s’agit notamment dans le secteur industriel, de produire davantage de diplômés à tous les niveaux, du CAP au diplôme d’ingénieur, en passant par les baccalauréats professionnels, les BTS et les bachelors professionnels. Mais sans pour autant pouvoir échapper à des transformations de nature qualitative, portant sur les niveaux de compétence à acquérir, et en remettant en cause, autant que nécessaire et sans tabous, les durées actuelles de formation pour que ces niveaux de compétences, plus exigeants, puissent être atteints. Il ne s’agirait donc pas, comme au cours de la première année de ce nouveau quinquennat, de passer des heures à négocier de nouveaux équilibres entre les heures consacrées aux formations « scolaires » et celles dédiées aux formations en entreprises, mais bien d’accroître les unes comme les autres, tout en favorisant les orientations des jeunes, des filles comme des garçons, vers les filières industrielles. Notamment, et ce n’est qu’un exemple, par le niveau des rétributions accompagnant les périodes de stage.
Un dialogue entre le monde de l’école et de l’entreprise pour une stratégie commune
Et, raisonnablement, ce ne seront pas des organismes de conseil qui pourront proposer la marche à suivre. Il faut redonner sens à un dialogue respectueux et direct entre le monde de l’école et le monde de l’entreprise, un dialogue stratégique aujourd’hui inexistant, afin de dégager une stratégie convergente du système éducatif et des entreprises. L’histoire de l’enseignement professionnel établit qu’il n’y a là rien d’impossible. C’est sur le socle d’un tel dialogue qu’au milieu des années 80, Jean-Pierre Chevènement, a été conduit à créer le baccalauréat professionnel – un diplôme construit ex-nihilo – et qu’avait été planifiées, sur quinze ans – avec ultérieurement l’apport du plan Universités 2000 – les étapes d’une transformation majeure du système éducatif. A l’échéance de l’an 2000, les objectifs avaient été atteints, avec un doublement du nombre de bacheliers, du nombre de techniciens supérieurs, mais aussi d’ingénieurs. Ainsi, par exemple, le nombre de diplômes du baccalauréat délivrés chaque année a autant augmenté, en quinze ans, de 1985 à l’an 2000, que depuis sa création… 175 ans plus tôt.
Lycées des métiers, Campus des métiers : quel bilan ?
Les vingt années qui ont suivies n’ont été marquées que de quelques pierres blanches, rapidement recouvertes de sable, avec tout d’abord la création par Jean-Luc Mélenchon – alors Ministre délégué aux enseignements professionnels – des Lycées des métiers, un grand projet ambitieux, avec une labélisation exigeante et un vigoureux suivi national. Rappelons les objectifs qu’il leur avait fixé dans l’ouvrage Manifeste pour une école globale, paru en 2002. « Le lycée des métiers réunit les filières professionnelles et technologiques, les cycles pré et post baccalauréat : il conduit aux diplômes professionnels nationaux, du CAP au BTS et à la licence professionnelle. Il reçoit des lycéens et des étudiants en formation initiale, sous statut scolaire et en formation par apprentissage, des titulaires de contrat de qualification et des salariés en formation continu. Il accueille et accompagne les candidats à la validation des acquis de l’expérience. Il offre la diversité des parcours de formation et l’ensemble des passerelles qui permettent de passer de l’une à l’autre. Il constitue un centre de ressources et un vecteur d’éducation et de formation tout au long de la vie ». C’est lui aussi qui fustige (Libération, 9 juin 2000) « Le mépris de [la] classe [bourgeoise] qui entoure ses élèves et qui accable leurs enseignants et les établissements qu’ils font vivre. » Quitte sur ce sujet à polémiquer avec François Dubet [Libération, 6 juin 2000] qui le considère compte tenu de son attachement aux enseignements préprofessionnels en lycée professionnel, comme un « social-traitre. » Que sont, aujourd’hui, ces Lycées des métiers devenus ? Refermés sur eux-mêmes, sans plus de labellisation ni de commission de suivi nationale, bien loin de répondre au cahier des charges initiaux, ils ne sont guère plus que de simples signalétiques, à grande distance des grands espoirs qu’ils avaient suscités. Digérés par la bureaucratie.
Une mésaventure à laquelle les Campus des métiers et des qualifications, créés avec les mêmes objectifs, sous forme là encore d’un label, n’ont qu’en partie échappés. Le conseil des ministres du 5 mars 2014 en fournissait le cahier des charges, proche à beaucoup d’égards de celui qui avait été fixé aux Lycées des métiers. : « Ces campus, centrés sur des filières spécifiques, ciblent un secteur d’activité défini en référence à la nouvelle stratégie nationale de filières impulsée par le ministère du redressement productif. Ils forment le deuxième étage des pôles de compétitivité en offrant aux entreprises en croissance et aux filières économiques d’un territoire des formations professionnelles initiales d’excellence et des jeunes formés à des métiers d’avenir. »
Il s’est agi dans un premier temps, Najat Vallaud-Belkacem étant alors ministre de l’Éducation nationale, d’aller au-delà d’un simple label en coordonnant leurs actions au niveau académique et régional, en les constituant notamment comme points d’appui à une politique d’aménagement des territoires, en leur ouvrant accès aux programmes d’investissement d’avenir (PIA), en leur apportant des directeurs opérationnels, en assurant, au niveau national, leur montée en puissance selon un mode projet. Mais un élan lui aussi largement brisé, ces Campus ayant été, eux aussi, « rattrapés par la patrouille » au départ de la Ministre. Ainsi le Comité National Education – Economie (CNEE), un organisme de haut niveau lieu de dialogue « au sommet » entre le monde de l’Education et celui de l’Économie, en charge notamment de leur suivi, et qui avait participé à leur expertise, est rapidement dissous. Les fonctions des campus en matière d’aménagement du territoire se réduisent dès lors qu’ils prennent la forme de réseaux académiques, voire interacadémiques. L’apport des PIA et le soutien des Régions permet néanmoins à un petit nombre d’entre eux de répondre aux espoirs qu’avaient suscités leur création. Mais ces campus, pas plus que leurs directeurs opérationnels, n’ont toujours pas véritablement de statut…
Si une réforme de l’enseignement professionnel doit avoir lieu, trois conditions, semble-t-il, doivent être réunies, pour qu’elle s’inscrive dans la durée. Tout d’abord qu’elle prenne appui sur une instance de haut-niveau associant l’Éducation nationale aux grands organismes socioprofessionnels, en étant susceptible de bénéficier de l’appui des organismes compétents en matière de prévisions démographiques et d’emploi, pour en finir avec un cycle de réformes sollicitées ni par les enseignants ni requises par les entreprises et en veillant à désenclaver l’enseignement professionnel secondaire. La deuxième condition : qu’il lui soit associée une loi de programmation, avec une mise en œuvre selon un mode projet, analogue à celle mise en place lors de la période s’étendant de 1985 à l’an 2000. Et troisième condition, qui n’est pas la moins importante, que cette réforme ne se réduise pas à des mesures « adéquationnistes », mais qu’elle prenne en compte, en priorité, la formation des élèves de l’enseignement professionnel en tant que personnes avant que de les considérer comme des rouages d’un système à vocation économique. Ce qui serait un chemin sans issue.
Daniel Bloch