Dans cette tribune, Claude Lelièvre revient sur les « palmarès des lycées », l’enjeu d’une telle publication et la rivalité public-privé qu’elle entretient.
Il y a tout juste trente ans, l’Express a publié sous le titre choc « le classement secret du ministère » un premier ‘’palmarès’’ des lycées. Cela n’était pas sans rapport – et cela l’est resté toujours depuis de façon plus ou moins apparente – avec la question de la rivalité public-privé.
François Bayrou venait d’être nommé en mars 1993 à la tête du ministère de l’Éducation nationale dans le gouvernement de cohabitation dirigé par Edouard Balladur. Une réforme de la loi Falloux est immédiatement lancée, visant à déplafonner la possibilité pour les collectivités locales de subventionner les investissements des établissements d’enseignement privé. Le Conseil constitutionnel est saisi, et le 13 janvier 1994 il prive la loi de son article 2, ce qui la vide d’une partie de son contenu. Le 16 janvier, plus de 500 000 personnes manifestent. Le projet est abandonné.
C’est le dernier très grand mouvement d’affrontement sur la question public-privé, même si cette rivalité a persisté sous des formes plus ou moins vives. Et la publication des palmarès d’établissements en est à la fois une occasion toujours renouvelée et un vecteur.
Claude Thélot, alors directeur de la DEPP, répond vertement à l’article de l’Express : « Contrairement à ce que vous indiquez, ces indicateurs ne sont pas secrets, puisqu’ils ont été diffusés il y a un an à chaque recteur […], afin qu’il les mette à disposition des chefs d’établissement et s’en serve comme outils d’animation et de pilotage. […] Les indicateurs que vous avez publiés, retenus seuls, tronquent et biaisent la réalité de chaque lycée ». Claude Thélot avait en effet le souci d’aller dans le sens de la réussite du plus grand nombre et d’outils pour accompagner et promouvoir cette ambition, et non pas de ‘’classer’’ et encore moins de promouvoir des ‘’palmarès’’.
Pour Claude Thélot et la DEP, ce qui est capital, c’est de tenir compte des caractéristiques des élèves que les lycées accueillent et de leur offre de formation : si un lycée présente une valeur élevée pour un indicateur, est-ce dû au fait qu’il a reçu des élèves ayant un très bon niveau scolaire, ou au fait qu’il a su, tout au long de la scolarité, développer chez eux les connaissances et les méthodes de travail qui ont permis leur succès ?
Pour chaque taux observé est ainsi calculé un taux attendu ou prédit. Ils correspondent aux taux moyens des lycées accueillant des élèves aux caractéristiques identiques. La valeur ajoutée d’un indicateur est l’écart entre le taux observé et le taux attendu. Elle évalue l’apport propre de l’établissement, compte tenu du profil initial de ses élèves. C’est ce qu’on appelle les IVAL.
Un palmarès ou un contre-palmarès, un choix rédactionnel qui en dit long
On peut remarquer que les différentes composantes de la presse ne mettent pas en valeur de façon prioritaire les mêmes indicateurs et leurs résultats livrés par la DEPP. On en prendra pour preuve deux exemples tout à fait significatifs : le choix du « Figaro » et celui du « Café pédagogique »
Comme l’indique le « Figaro Étudiant » du 29 mars, « si les indicateurs sont communs, chaque média les pondère comme bon lui semble. Au ‘’Figaro’’, nous avons accordé plus d’importance à la réussite scolaire, tout en tenant compte des autres indicateurs. Le taux de réussite au bac 2022: la part de candidats ayant réussi l’examen. Le taux de mentions au bac 2022 : la part de candidats ayant obtenu une mention assez bien, bien, très bien lors de l’examen. La capacité à garder les élèves de la seconde au bac: taux d’accès au bac depuis la seconde. Cet indicateur montre si l’établissement garde tous ses élèves admis en seconde ou s’en débarrasse en cours de route […]
Pour départager les ex aequo, nous avons classé les lycées en fonction de la valeur ajoutée sur le taux de mention. Il s’agit de la différence entre le taux de mentions réel et celui «attendu d’élèves comparables scolarisés dans des établissements comparables» comme le précise la Depp. Si sa valeur ajoutée est positive, c’est que l’établissement fait mieux qu’un autre établissement au profil socio-économique comparable ». On est loin de ce qui motivait Claude Thélot en priorité…
A l’inverse, le « Café pédagogique » a publié le 29 mars un « contre palmarès » : « depuis, plusieurs années, ce sont les établissements qui accompagnent le mieux leurs élèves de la seconde au bac que la rédaction met à l’honneur. Cette année, les grands gagnants ex æquo sont les lycées généraux et technologiques Balaté, de Matoury en Guyane, et Louise Michel d’Épinay-sur-Seine en Seine-Saint-Denis ».
En 1994, le ministre de l’Education nationale François Bayrou a choisi de rendre public les résultats de chaque lycée à la session 1993 selon les indicateurs de la DEP . En les présentant aussi selon leur appartenance au public ou au privé. Ce qui est presque toujours en honneur, trente ans après, généralement sous forme de pastilles différenciées – le plus souvent bleue pour les établissements privés, et rouge pour le établissements publics. Une opposition nettement entretenue depuis trente ans.
La guerre de trente ans est-elle finie ? On n’en prend guère le chemin si l’on en juge par l’extension aux collèges pour le DNB de ce qui était jusqu’alors l’apanage des lycées pour les baccalauréats. Avec, dans la présentation qui en a été faite, un point d’orgue significatif : si l’on classe les 500 meilleurs collèges selon la note à l’écrit, 78,4 % sont des établissements privés sous contrat, et 21,6 % publics hors éducation prioritaire. A contrario, classés selon la valeur ajoutée de la note à l’écrit, les 500 meilleurs collèges se répartissent entre le privé sous contrat (49,2 %), le public hors éducation prioritaire (35,8 %), le public REP (6 %) et REP+ (7 %).
Bref, sous les enjeux des types d’indicateurs pertinents, l’antique ‘’question scolaire’’ datant de plus de deux siècles : la rivalité public-privé.
Claude Lelièvre