La vie scolaire est un des piliers du fonctionnement des établissements du second degré. Le Café pédagogique vous propose de partager quelques instants du quotidien d’un CPE – Conseiller Principal d’Éducation – dans cette nouvelle rubrique. « L’action du CPE, tout comme celle de l’enseignant, trouve sa place dans la relation éducative qu’il construit avec les élèves » explique Nicolas Grannec*, CPE. « La relation est une rencontre où chacun arrive avec son histoire, ses attentes, ses apports, ses zones d’intolérance ».
Le conseiller principal d’éducation est un acteur central d’un établissement scolaire dont les missions sont paradoxalement méconnues. Il y a, en effet, un réel décalage entre les représentations du rôle du CPE dans l’imaginaire collectif scolaire et la réalité de la pratique au quotidien. Cet écart complexifie l’action du CPE dans les mesures où les attentes et les objectifs ne sont pas partagés par les différents acteurs. Pour être plus précis, une grande majorité des collègues enseignants voient toujours le CPE comme un surveillant général s’occupant exclusivement de la discipline. Dans un article récent, Christine Focquenoy-Simmonet parlait à propos de cette figure d’autorité qu’incarne le surveillant général, d’un « ancêtre encombrant » qui perturbe toujours, plus de cinquante ans après la naissance du corps des CPE, son activité : « Les années 1950-60, théâtre d’une profonde évolution de la société et du système éducatif, constituent le terreau propice à l’éclosion du Conseiller principal d’éducation, en 1970. Le changement d’appellation marque une rupture qui recouvre une réalité professionnelle plus complexe, pour ce nouvel acteur scolaire. Les scories de l’héritage historique ne lui permettent pas d’être, toujours, “concepteur de son activité”, posture professionnelle préconisée dans la circulaire de mission de 2015 ».
Le CPE est-il condamné à rester le Sisyphe de l’Éducation nationale cherchant par son action et sa vision de l’éducation à se détacher de ce poids sans jamais réussir à y parvenir ? Question d’autant plus légitime que le rôle du CPE semble très peu abordé dans la formation des nouveaux enseignants. Les stagiaires CPE, que je reçois fréquemment, m’expliquent encore qu’ils n’ont pas de réels temps communs avec les stagiaires professeurs permettant d’échanger sur les représentations des métiers de chacun. Comment dans ce contexte couper le cordon de cet « ancêtre encombrant » ? L’une des solutions est peut-être de donner à voir le quotidien d’un CPE dans un collège REP+ de l’agglomération lilloise. J’ai donc saisi l’occasion offerte par le Café pédagogique de raconter des instantanés de vie d’un collège, de partager des réflexions sur le métier d’éducateur et de montrer que la réalité du métier de CPE est fort éloignée de celle du surveillant général.
J’aimerais revenir sur cette notion de « discipline » qui reste associée au métier du CPE. Il est intéressant de regarder quelle est la définition de ce mot. Le premier sens du dictionnaire est la suivante : « Punition destinée à faire respecter une règle ». Un deuxième sens explique qu’il s’agit d’une règle de conduite commune aux membres d’un corps, d’une collectivité ; obéissance à cette règle : « Faire régner la discipline dans une classe. Discipline militaire. Conseil de discipline, faisant respecter la discipline dans certains corps constitués ». Il peut aussi s’agir dans un troisième sens d’une règle de conduite que l’on s’impose. Enfin un quatrième sens renvoie à une branche de la connaissance, des études. Il me semble aussi intéressant de s’arrêter sur les synonymes de ce mot : « loi, règlement, règle(s) de conduite, obéissance, docilité, soumission, matière, art, domaine, science, sujet ». Pour de nombreux acteurs de la communauté éducative, le CPE devrait, par son action, soumettre les élèves à des règles de conduite fixées par le règlement intérieur du collège. Normaliser les comportements des élèves afin de les conduire dans le droit chemin. Comme les surveillants généraux d’antan, tels qu’ils sont représentés dans les œuvres de fiction, comme le rappelle Christine Focquennoy-Simmonet : « Les surveillants généraux fictionnels imposent une discipline répressive, la soumission des élèves au respect d’un ordre rigide, la surveillance omnipotente et l’obéissance qui remplacent toute relation éducative ».
Dans le collège dans lequel j’exerce, le climat scolaire apparaît particulièrement dégradé et nous gérons quotidiennement des incidents qui vont de l’incivilité à la violence physique. Une partie des collègues rejette la faute sur la vie scolaire qui selon eux serait trop dans l’écoute des élèves et pas assez dans une « discipline répressive » proche de la tolérance zéro. Il s’agit là bien entendu d’un raccourci dans la mesure où la mise en place d’un climat scolaire serein ne se résume pas à la mise en place d’une politique sécuritaire. L’action du CPE, tout comme celle de l’enseignant, trouve sa place dans la relation éducative qu’il construit avec les élèves. La relation est une rencontre où chacun arrive avec son histoire, ses attentes, ses apports, ses zones d’intolérance. La relation se construit dans la confrontation avec les apports et les zones d’intolérance de l’autre. Les élèves de mon collège sont pour la plupart issus de milieux défavorisés et ils ne maîtrisent pas les normes scolaires telles qu’attendues par l’institution. Il y a donc tout un travail à mener avec eux pour leur faire comprendre la nécessité de se fixer des règles communes pour qu’ils puissent vivre une scolarité et entrevoir un horizon des possibles. Je ne suis pas persuadé que la punition ou la sanction, même si elles sont nécessaires dans certains cas, peuvent se substituer à un dialogue avec les élèves. Tenter de normaliser un comportement que nous jugeons inadapté selon nos propres valeurs ou normes est une pratique qui peut aussi s’avérer dangereuse, car elle rejette dans les marges ceux qui refusent ou ne comprennent pas l’intérêt de s’y soumettre.
D’où l’importance de construire du commun avec les jeunes qui nous sont confiés. A la différence du « vivre ensemble », la construction du commun ne cherche pas à « semblabiliser » (verbe inventé par Fernand Deligny) l’autre, c’est-à-dire à « reconnaître en l’autre une identité commune avec la mienne, “se mettre à sa place” en quelque sorte. Autrement dit, chercher à connaître l’autre en voulant saisir à toute force son intériorité amène ensuite à le reconnaître, c’est-à-dire paradoxalement à faire de l’autre son semblable et nier toute altérité véritable au profit d’une identité illusoire. Reconnu l’un l’autre à partir de leurs propres différences voilà les individus réunis dans un même ensemble où les positions sont asymétriques et où celui qui cherche à connaître en vient in fine à chercher à se reconnaître dans l’autre » (selon Michael Pouteyo). Construire ce commun suppose d’accorder une attention particulière à l’autre, celui qui vient de l’extérieur, et que nous devons apprendre à accueillir avec hospitalité. Pour Fernand Deligny, « L’erreur la plus commune est de nous ensembler sans vergogne ». Tout éducateur devrait garder à l’esprit cette recommandation, afin de respecter l’altérité des enfants qui lui sont confiés. Car c’est peut-être à ce niveau que se situe la différence essentielle entre le surveillant général qui cherche à « semblabiliser » l’autre, et le CPE qui se fixe pour but de construire un commun où chacun apprend à vivre avec l’autre.
Nicolas Grannec*
L’auteur écrit sous pseudonyme.