Roxana, Alina, Mirela, Andrea… Toutes elles ont dû se battre pour inscrire leurs enfants à l’école. Dans des situations de grande précarité, vivant en hôtel social, en bidonville, en squat…, elles ont essuyé des refus d’inscription sous prétexte qu’elles n’avaient pas tous les documents, notamment que leur résidence dans la commune n’était pas prouvée. Souvent il leur a fallu aller en justice pour obliger les mairies à les inscrire et à respecter ce qui est un droit en France : le droit à l’éducation pour tous les enfants vivant sur le territoire national.
Avec le « Collectif des Mamans – L’École pour nos Enfants » et l’association ASKOLA, elles poursuivent aujourd’hui ce combat pour d’autres familles, issues comme elles de la communauté rom et aussi d’autres origines, vivant dans le 93, un département qui abrite un grand nombre de populations fragiles. Trois mamans racontent ici leur combat pour un droit dont on n’imaginait pas qu’il pouvait être encore bafoué en France.
Roxana Putureanu, 2 enfants, vit à Stains (Seine-Saint-Denis) : « Neuf mois pour pouvoir inscrire ma fille à l’école »
« En 2020, j’ai voulu inscrire ma fille Francesca à l’école. En janvier, je suis partie à la mairie de Stains mais ils ont refusé parce que je n’avais pas d’adresse administrative. On est installé sur un terrain à Stains, dans une cabane. Ils m’ont dit d’aller au CCAS (centre communal d’action sociale) pour avoir une domiciliation. Mais là, ils ont refusé. Il fallait que mon enfant soit inscrit à l’école, ça aurait été la preuve que j’habite bien à Stains.
Je suis retournée trois fois à la mairie pour inscrire ma fille, chaque fois ils ont refusé. Avec la médiatrice de l’association ASKOLA qui m’accompagnait, on a proposé que je sois domiciliée à l’adresse de l’association ou encore chez une amie. Mais non, ils voulaient l’adresse du CCAS qui demandait un certificat de scolarité.
Ça a duré neuf mois. C’était trop de déprime. Je pleurais, je pensais que j’arriverais jamais à inscrire ma fille à l’école. C’est humiliant d’être refusée comme ça.
Alisa, la médiatrice d’ASKOLA, m’a alors mise en contact avec un avocat. J’ai porté plainte devant le tribunal administratif de Montreuil et le juge m’a donné raison. Deux jours après, le 21 septembre 2020, Francesca a été inscrite à l’école.
Quand je suis allée à la mairie pour l’inscrire, ils m’ont dit que je n’aurais pas dû aller au tribunal, que j’aurais dû discuter avec eux, qu’on aurait trouvé une solution. J’ai répondu que je ne voulais pas au départ mais que c’est eux qui m’avaient poussée.
Francesca est entrée au CP. Si elle avait été inscrite en février 2020, elle serait allée en maternelle et elle aurait été mieux préparée. Là, elle a pris du retard et elle a dû redoubler le CP. Elle a passé un test récemment et on a eu les résultats : il n’y a rien d’inquiétant, elle avait besoin de s’adapter. Elle aime bien l’école : quand il y a eu la grève, elle voulait y aller.
J’ai très mal vécu tout ça. Pourquoi ils m’ont refusée ? Parce que je n’ai pas d’adresse ? Moi je dis que c’est à cause de la pauvreté. Au guichet de la mairie, dès qu’ils ont vu que j’habitais en bidonville, ils ont refusé. Ils sont contre les personnes pauvres, ce n’est pas seulement les origines.
C’est très important que mes enfants aillent à l’école, pour qu’ils apprennent à lire et à écrire, qu’ils aient une bonne éducation, un bon travail, un bel avenir. Qu’ils ne soient pas pauvres comme leurs parents, qu’ils ne passent pas par là.
On est plusieurs mamans à avoir déposé le 7 septembre 2022 un recours devant le tribunal administratif de Montreuil contre le Recteur de l’académie de Créteil, Monsieur Auverlot. On demande une réparation pour ces refus. Dans sa réponse, le recteur, qui défend la mairie, dit que ce n’est pas humiliant d’être refusée et que ce n’est pas le refus et les 9 mois d’attente qui ont provoqué le retard scolaire de Francesca mais son manque d’investissement. Comment on peut mettre la faute sur une enfant de 7 ans ? Et s’il devait attendre neuf mois pour inscrire son enfant, il ne trouverait pas ça humiliant ?
Je voudrais m’adresser à Monsieur Auverlot : je voudrais lui demander que tous les enfants en précarité, quelle que soit la nationalité, aient leur droit respecté d’aller à l’école. Comme recteur, il a le pouvoir de le faire respecter. Au « Collectif des Mamans – l’École pour nos Enfants », on demande l’arrêt des refus d’inscription.
Beaucoup de monde nous soutient, pas seulement dans le bidonville. On a lancé une pétition qui a plus de 25 000 signatures. J’ai même eu le soutien de la directrice de l’école de Francesca. Quand on était devant le tribunal administratif de Montreuil, elle a vu à la télé que je faisais partie du collectif. Elle m’a dit « bravo pour ce que vous faites », j’ai senti la solidarité.
Je n’ai qu’une seule demande : que tout le monde ait un droit égal à l’inscription à l’école. Ce n’est pas une faveur, c’est un droit, notre droit. »
Alina Dumitru, 2 enfants, vit à Saint Denis (Seine-Saint-Denis) : « Ils disaient que je n’avais pas tous les papiers »
« C’est quand j’ai déménagé de Saint-Ouen à Saint Denis que j’ai eu des problèmes pour réinscrire mes fils à l’école. C’était en novembre 2022. Je suis allée à la mairie de Saint Denis. J’avais tous les papiers : le certificat de radiation de leur école de Saint-Ouen, les certificats de naissance, l’attestation de domicile, les papiers d’identité des parents… Pourtant, ils m’ont baladée pendant deux-trois jours.
Ils me disaient que je n’avais pas tous les papiers, que mes documents n’étaient pas originaux, qu’ils pouvaient être faux. J’avais beau insister et leur expliquer : « mais regardez, le tampon est rouge, c’est bien l’original, ça ne peut pas être une photocopie ». Ils ont aussi demandé les certificats de vaccination alors que ce n’est pas obligatoire pour une inscription à l’école. Je les ai apportés, ils croyaient qu’ils n’étaient pas à jour.
Le troisième jour, j’étais vraiment fâchée, j’ai pleuré. Mes enfants voulaient aller à l’école, et moi je faisais des aller-retours entre la mairie et la maison. J’ai montré que je parlais assez bien français. Les deux premiers jours, j’ai pas trop parlé, je voulais voir comment ça se passait, je ne croyais pas qu’on pouvait refuser… Mon cœur était gros d’humiliation, c’est comme si on n’avait pas notre place ici.
Heureusement, le troisième jour, un monsieur est passé dans le bureau, peut-être que c’était le directeur de la Mairie. J’ai entendu qu’il disait aux autres que je faisais partie du collectif des mamans. Je lui ai parlé de la loi qui dit que tous les enfants en France doivent aller à l’école. Il a dit que j’avais tous les papiers et qu’on pouvait m’inscrire.
Je ne demande pas grand-chose : la scolarisation de mes enfants. Je ne veux pas qu’ils tombent dans la drogue, dans les trafics, dans l’alcool… Je veux qu’ils aient une bonne éducation, un bon travail. Je demande juste qu’ils aient droit à l’éducation comme les autres. Rien de plus.
On habite dans un hôtel social, c’est un hébergement qui n’est pas stable. Demain ou après-demain, je peux me retrouver à Bobigny ou ailleurs. J’ai fait une demande DALO (droit au logement opposable) pour avoir un logement social plus vite, on va voir. J’ai peur que si je change d’hôtel, j’ai à nouveau des problèmes pour inscrire mes enfants.
C’est pour ça que j’ai rejoint le Collectif des mamans : pour arrêter avec les refus de scolarisation, pour qu’on ait, comme les autres, le droit à l’école. Je ne me bats pas que pour mes enfants mais pour tous les enfants.
Pourquoi ces refus ? Je crois qu’il y a aussi du racisme. Ici on entend souvent que les Roumaines sont sales, qu’elles vivent en bidonville, etc. En France on dit qu’il y a « égalité », « fraternité », etc. Mais ce n’est pas ça qu’on vit en fait. »
Mirela Gheorghe, 1 enfant, médiatrice scolaire à ASKOLA et porte-parole du « Collectif des Mamans » : « Chaque mairie fait ses règlements sans respecter la loi »
« Aujourd’hui je suis médiatrice scolaire à l’association ASKOLA, j’accompagne les familles en précarité qui ont des difficultés à inscrire leurs enfants à l’école. Je suis également porte-parole du « Collectif des Mamans – L’École pour nos Enfants ».
Moi aussi, j’ai connu des difficultés pour inscrire ma fille en 2013, l’année où on est arrivé en France. En février, on a passé le premier mois en bidonville à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). Puis on a été expulsé et on a commencé à être baladé d’hôtel en hôtel avec des intervalles où on était dans la rue.
En septembre, on a été installé dans un hôtel stable dans le 17ème arrondissement à Paris. J’ai voulu inscrire ma fille à l’école. Quand on était dans la rue, on avait rencontré un bénévole du Secours catholique, Geoffrey. Avec lui, on a fait une attestation de domicile dans une association du 15ème arrondissement.
Je suis alors allée à la mairie du 15ème pour inscrire ma fille Delia qui avait 8 ans à l’époque. On a déposé le dossier complet avec l’attestation d’hébergement de l’hôtel du 115, la domiciliation de l’association du 15ème, ma carte d’identité, le certificat de naissance de ma fille, son passeport …
Mais ils ont refusé. Ils ont expliqué qu’ils ne pouvaient pas l’inscrire parce qu’on n’avait pas de lieu stable d’habitation. Je ne savais pas quoi répondre, je parlais très peu le français à l’époque. Heureusement le bénévole m’accompagnait. Il a lu dans mon cœur ce que je voulais dire parce que c’est exactement ce qu’il a dit : même si on habite dans la rue, même si on est hébergé, l’enfant a droit à l’école.
Grâce à lui, j’ai pu inscrire ma fille en novembre 2013. Je n’aurais pas été accompagnée, Delia n’aurait pas été inscrite parce que je serais repartie sans savoir quoi dire. Et ma fille aurait perdu une année ! C’est la frustration de voir que le droit fondamental à l’école n’est pas respecté qui est à l’origine du collectif.
J’ai commencé comme médiatrice scolaire à ASKOLA en novembre 2019. Depuis, j’ai rencontré quasiment tous les parents qui vivent des refus d’inscription scolaire. Toutes les mairies du 93 disent la même chose : il faut des liens avec la ville pour inscrire l’enfant et pour cela elles demandent une domiciliation au CCAS. Or le CCAS demande un certificat de scolarité. C’est un cercle vicieux !
Pourtant la loi est claire : depuis le décret du 29 juin 2020 (entré en vigueur en septembre 2020) on peut justifier de son domicile « par tous les moyens », y compris par une attestation sur l’honneur.
Les familles pourtant n’y arrivent pas. Elles doivent être accompagnées et encore, même quand on les accompagne, elles ont parfois des refus et elles doivent recourir au tribunal administratif.
C’est une discrimination essentiellement à cause de la pauvreté. Il n’y a pas que les familles roms qui sont touchées, il y a aussi des familles roumaines, algériennes, syriennes…
Ces enfants invisibles aux yeux de l’Éducation nationale, on ne sait pas exactement combien ils sont dans le 93. Pour le savoir, nous demandons que les mairies donnent un récépissé chaque fois qu’une famille dépose un dossier, preuve qu’il a bien été déposé.
À ASKOLA, qui est basée à Saint Denis, nous sommes quatre médiatrices et nous travaillons sur tout le 93. Parmi les enfants que nous suivons, 64 ont été victimes de refus depuis septembre 2020.
Il y a une phrase qu’on entend systématiquement au guichet dans les mairies : « c’est la règle dans notre mairie, on fait toujours comme ça ». Chaque mairie fait ses règlements sans respecter la loi. Le recteur M. Auverlot a le pouvoir et le devoir de changer les choses mais il ne le fait pas, il nous méprise.
Chaque enfant qui fait sa rentrée, c’est une victoire pour nous. »
Recueillis par Véronique Soulé
(1) sur Change.org : https://chng.it/sK6hwyk5JX.