Dans son film, « Liberté Égalite Laïcité », le réalisateur Jean Crépu revient sur les mots « laïcité » et « valeurs de la République » qui reviennent dans le débat public, et plus particulièrement à l’école. « Quel sens ont-ils encore dans ce lieu d’éducation et d’apprentissage et comment sont-ils transmis et partagés par tous ? Le film va à la rencontre de celles et ceux, pour qui ils représentent une réalité quotidienne, une confrontation parfois tendue, mais aussi un espace d’échanges dans le respect mutuel ». Un documentaire qui donne à voir la réalité de la classe, et le rôle fondamental de l’école et des enseignants, que le réalisateur n’hésite pas à qualifier de « gardiens de la société de demain ». Il répond aux questions du Café pédagogique.
Pourquoi un tel documentaire ?
J’avais déjà participé à la réalisation d’un film qui suivait des jeunes d’éducation prioritaire dans leur parcours à Sciences Po. Je suis resté en contact avec le proviseur du lycée où nous avions tourné. Il était très engagé dans le parcours citoyen des élèves, dans la sensibilisation et la transmission des Valeurs de la République.
L’idée à commencer à germer. J’ai cherché à savoir comment les enseignants appréhendent une réalité de terrain a priori pas toujours évidente. Je voulais aller voir de plus près ce qu’ils vivaient. J’avais aussi comme objectif de sortir de la région parisienne, souvent médiatiquement éclairée. C’est ainsi que je me suis retrouvé à la Cluse et à Echirolles. La temporalité n’a pas été idéale, je voulais suivre sur un assez long terme les établissements et le Covid-19 est arrivé. Mais j’ai été accueilli par des personnes qui m’ont ouvert leurs portes, des personnes engagées au quotidien.
Qu’avez-vous appris de cette immersion ?
Plusieurs choses. On voit bien que la question de la laïcité est centrale car pas elle n’est pas forcément bien saisie, perçue. Je me suis rapidement compte du travail que cela représentait pour que ce principe soit bien compris. Pour échapper à l’interprétation souvent véhiculée de « la laïcité m’empêche de » cela nécessite un vrai travail. Les enfants, les élèves subissent des influences diverses et variées. Des influences familiales, des influences des réseaux sociaux, de ce qu’ils entendent ici et là… Tout cela arrivait très embrouillé dans la classe, cette notion était donc difficile à appréhender. J’ai voulu mettre la laïcité au centre de ce documentaire car toutes les valeurs de la république y sont liées selon moi. Et puis, je me suis rendue compte que la mixité sociale était un élément du débat.
C’est-à-dire ? La mixité sociale permettrait de mieux faire vivre les valeurs de la République ?
Le débat est possible quand il y a une mixité sociale, quand il y a une différence de vision des choses. Cela garantit un débat qui permette de faire avancer les choses. C’est apparu très clairement de mes observations, mais bon je n’en tire aucune généralité. Mais quand même. Dans les lieux où je suis allé, dans les rencontres que j’ai faites, l’importance de cette mixité s’est imposée à moi. Les questions, les problèmes soulevés au quotidien doivent pouvoir être mis en débat. On doit pourvoir en parler. Je me suis rendu compte du travail des enseignants pour ouvrir la parole là-dessus. Et cela, c’est beaucoup plus simple quand il y a des gens d’origines culturelles, sociales différentes. C’est moins facile quand 95% de la classe vient du même milieu et a la même conception des choses…
Et le rôle de l’enseignant dans ce débat ?
Dans les scènes auxquelles j’ai pu assister, j’ai pu me rendre compte de la difficulté pour l’enseignant d’animer le débat, de le canaliser, de le recentrer. On voit très bien à certains moments que ce n’est pas simple. Je n’ai pas voulu mettre la poussière sous le tapis.
Vous parlez des scènes où le meurtre de Samuel Paty est évoqué ?
Oui tout à fait. On voit comment tout ce qui vient de l’extérieur vient se confronter dans la salle. À l’école primaire, l’évocation du drame est venue sans que l’on s’y attende. On sent que cela reste là, que ça marque, que ça reste en creux. Dans le collège, j’ai été confronté à ce qui peut être dit dans les classes, à la difficulté que cela pouvait représenter en tant qu’enseignant de recevoir cette parole, toutes ces paroles. Les enseignants ont les mains dans le cambouis. Finalement les vrais questions, c’est : comment on fait ? Comment on maintient le débat ? On voit bien que certains élèves sont scandalisés par les propos qu’ils entendent. Même dans le couloir, hors caméra, les élèves ont continué de discuter, de débattre. L’école a un rôle crucial au sens où elle permet le débat, l’échange – y compris dans ce qu’il y a de difficile, de polémique. L’école permet de déconstruire pour reconstruire ensemble. Son rôle est crucial, d’autant plus aujourd’hui.
J’ai été agréablement surpris de voir dans un collège, d’autant plus en éducation prioritaire, la qualité de la tenue des débats. Les arguments étaient riches, beaucoup d’élèves réagissent avec un certain niveau de réflexion qui m’a surpris. Je me suis dit que c’est bien, c’est pas perdu. Je ne veux pas donner dans l’angélisme, des problèmes il y en a mais on aurait tort de noircir le tableau.
Je rends hommage à ces enseignants qui œuvrent au quotidien. Eux œuvrent au vivre ensemble. Tous les jours, ils sont devant des élèves avec parfois des choses qui peuvent être difficiles à entendre, choquante mais ils font le job. Ils entendent, ils accompagnent la réflexion, ils font vivre les valeurs de la République. Ils sont les gardiens de la société de demain.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Pour voir le film :
Séance au cinéma Cluses à Cluse le mardi 28 mars à 20h
Et sur France 3, Jeudi 30 mars à 22h45 et en preview dès aujourdhui