Dans cette tribune, Laurence De Cock, évoque l’association Prox’RaidAventure qui intervient dans les écoles et les collèges pour « rapprocher la police et la population ». Maniement d’armes, menottage, palpations sont au menu des ateliers qui – étrangement – ont lieu dans des établissements accueillant majoritairement des élèves issus de milieux populaires.
Jamais à court d’idées lumineuses et avec un sens du timing remarquable, l’Éducation nationale s’est fendue d’un nouveau partenariat destiné à « rapprocher la police et la population » avec l’association Prox’RaidAventure sponsorisée notamment par les plus grandes fortunes françaises : Dassault, Bettencourt, Mulliez, Bouygues, et fondée par Bruno Pomart, ancien policier du Raid, chroniqueur aux Grandes gueules de l’info sur RMC.
Ainsi, le 21 mars 2023, tous les Collégiens de cinquième du collège Germaine Tillion ; dans le 12ème arrondissement parisien, ont participé à un « parcours citoyen » initié par la mairie, la police municipale, et cette association. Il est précisé que les activités proposées visaient notamment à « améliorer les relations entre les jeunes et les forces de sécurité » et « modifier les comportements réciproques entre les jeunes et les policiers ». On ne niera pas que, sur ce point, il y a du boulot comme en témoignent les très nombreux témoignages de violences policières perpétrées par la BRAV sur des manifestant.e.s souvent jeunes et pacifiques, lors des manifestations contre la réforme des retraites. Et pourquoi pas ? Puisque l’association vante des « activités ludiques » et qu’elle a obtenu le soutien de la mairie écologiste du 12ème arrondissement qui a parlé d’une « journée sportive et citoyenne intense et joyeuse » (tweet du 21 mars de l’adjointe aux inégalités et à l’exclusion).
Mais les photographies qui ont circulé de cette journée via le compte Twitter de @fxcoudert offrent une tout autre image de cette journée : atelier de découverte de gestes et techniques professionnels en intervention, maniement des bâtons de défense et des armes, menottage, palpation, techniques d’interpellations, « afin que lors d’un prochain contrôle, les gestes des policiers ne soient pas interprétés ».
Certains ont revêtu une tenue de maintien de l’ordre pour effectuer un parcours d’obstacles. Fort heureusement les parents d’élèves s’en sont émus, notamment à la FCPE :
« Ils ont vu comment utiliser une tonfa, des menottes. On leur a demandé s’ils aimaient la police, c’était clairement de la promotion de la police » explique une mère au journal 20 minutes.
L’affaire interpelle, à commencer par la complicité d’une mairie qui ne voit pas spontanément le problème, alors que, disons-le simplement, tout cela est juste délirant.
Délirant de considérer comme éducatif un atelier de démonstration de l’arsenal punitif de la police ; délirant d’armer les enfants dans un cadre scolaire ; délirant de se tortiller les doigts en pointant le bon et le moins bon de l’initiative comme s’en est défendue la municipalité.
Avons-nous à ce point perdu le sens de ce qu’est l’école publique ?
Naturellement cette association est aussi pleinement impliquée dans le SNU et les arguments sont les mêmes : valeurs de la république, citoyenneté et blabla. Du lever au drapeau en passant par la « démonstration du savoir-faire des forces de sécurité », l’atmosphère commence à se brunir sérieusement partout et il est plus que temps de résister à ces effluves toxiques pour nos enfants.
Quels enfants ? Le collège Germaine Tillion est un collège composé en bonne partie d’enfants de milieux populaires. L’année dernière, le même partenariat avait été proposé à des élèves de Saint-Denis, en classe élémentaire cette fois, et à l’initiative du maire Mathieu Hanotin. Parents et enseignants s’en étaient aussi fortement émus, et à raison : les mêmes activités avaient été proposées à 200 enfants entre sept et dix ans, le tout au square Gabriel Péri où les affrontements entre la police et les dealers sont réguliers (L’Humanité, 11 octobre 2022). Usage de tonfa, placage ventral, tout y était aussi passé. Fortement mobilisés, parents et enseignants ont obtenu la fin du partenariat. Eux avaient très bien compris ce qui se jouait derrière ces ateliers : ciblage des enfants des quartiers populaires criminalisés ; sensibilisation à la légitimité de la répression et de l’usage de la violence dans les techniques de maintien de l’ordre. En ce moment, l’association sévit en Guyane où elle accompagne les élèves de la classe « Papayo » du collège REP+ Paul Kapel au « dépassement de soi » dans le cadre d’une « classe police et sécurité » destinée à former professionnellement les jeunes aux métiers de la police : « Réceptifs aux entrainements ludiques, les jeunes manient bouclier et bâton de défense tout en simulant un mouvement de manifestants en direction de la préfecture » … (France-Guyane, 24 mars 2023). Vertigineux.
Ce partenariat n’est donc pas que grotesque ou pathétique, il est dangereux par le discours qu’il porte sur la société, et pour les enfants qui subissent cette propagande. En jouant sur la fascination des armes et des performances, notamment sportives, il véhicule l’image d’une masculinité définie par la force, la virilité et la violence. C’est exactement ce contre quoi l’école a à se battre aujourd’hui, et c’est le travail fourni par les enseignants et association d’éducation populaire depuis des années. Surtout, il légitime un rapport à la citoyenneté et au droit qui ne repose que sur la nécessaire obéissance et le tout répressif. Ce faisant, l’approche critique de l’usage de la force et de la violence est empêchée. Or c’est cela qu’il nous incombe de travailler avec tous les enfants. Et c’est notre métier, laissez-nous faire. Nos élèves ne sont pas la caution éducative d’une police qui, en ce moment, donne une piètre image de son rapport à la pédagogie et à la jeunesse.
Laurence De Cock